Aka Moon, Aka Balkan Moon & Alefba
Aka Moon, Aka Balkan Moon & Alefba
(Outhere, Instinct Collection)
Il n’est pas de raison de déclarer de nouveau sa flamme à Aka Moon, ni d’expliquer pourquoi ce groupe a, aux côté de nombreux autres, un place particulière dans la discothèque qui environne et, partant, dans les pages de ce blog. Pour en savoir plus, se reporter ici ou là, ça économisera des touches de clavier. Il n’est nul besoin de déclarer de nouveau sa flamme à la musique des Balkans et de l’Europe Centrale, celle qui a ses pieds en Orient, ses yeux vers l’Occident et son cœur un peu partout. Là encore, allez voir le tag Budapest ici, les articles sur BMC chez Citizen Jazz, et puis divers indices ici, là ou encore ailleurs.
Alors voilà. Que dire d’une rencontre entre les deux ? Excitation ? C’est le mot. Et quand celle-ci est passée, excitation encore ? Soit, mais avec un peu plus de réflexion, si c’est possible, entre les sautillements guillerets. Il y avait de la fatalité à se rencontrer, entre nomades de la musique. Le trio belge avait récemment emprunté à la suite des pygmées AKA les chemins de la musique mandingue, ceux des traditions berbères et cubaines toutes ensemble, un big-band de DJ… On avait vu le batteur Stéphane Galland faire feu de toutes boussoles dans son surpuissant Lobi où l’on trouvait déjà le percussionniste turc Mısırlı Ahmet (présent ici) et un accordéoniste bulgare. Alors la rencontre devait se faire, elle s’est faitre à Royaumont, à l’occasion d’une Résidence à long terme du saxophoniste Fabrizio Cassol. Cela a permis de monter un programme absolument ahurissant autour des rythmiques et des voix bulgares qui ne recèlent aucun mystère mais sont le fruit de passage, d’échange, de mélange, de copie, d’appropriations de cette route entre Orient et Occident, entre Europe et Asie. La voix, c’est Tima Nedyalkova, et le résultat, il explose à peine les premières mesure de Baba dans un déluge de rythmes contraires, complexes, explosifs et caressés par le kaval de Nedyalko Nedyalkov. Baba, il faudrait qu’on le reste pour le bon mot, mais l’impression est celle-ci, la voix est tellurique, elle transperce d’émotion. Cassol chante à l’unisson dans l’alto, le soprano de Vladimir Karparov le seconde… Karparov est le liant de cet orchestre, celui qu’on ne devine pas mais qui est indispensable. Il a joué avec la plupart des musiciens invités au sein du Forkolor Quartet ou avec le grand Nenad Vasilic. Il a aussi joué avec Gebhard Ullmann, un hommage à Mingus. Les wagons qui se rejoignent, toujours ! Le procédé d’Aka Moon est semblable à l’habitude : celui de l’écoute mutuelle, sans esprit conquérant ou évangélisateur. C’est la musique traditionnelle qui est rencontré par le trio et non l’inverse. Ça change tout, et c’est ce qui fait que ça vit mieux que n’importe quel prêche “musique du monde”. Ici, en prime, il visite les Balkans en amis; mieux, en connaisseurs intrinsèques. Okio, diantre, Okio… Enregistré en public pour le festival Musiq’3 place Flagey à Bruxelles (ancienne Maison de la Radio belge), on est emporté, balloté par cette voix et tout le travail du trio et de leurs invités. Ils sont six en plus du trio, Stéphane Galland partage la rythmique avec Stoyan Yankulov, ce qui donne une envolée rythmique absolument stimulante sur Bulgarian Study ou la basse de Michel Hatzigeorgiou semble dominer un flot volcanique qui arrive de toute part et où se mêle le piano de Fabian Fiorini, fidèle comparse du trio, dont on avait déjà pu apprécier la rigueur rythmique sur Amazir. Mais ce n’est pas tout, car ce n’est pas un disque, c’est un festin.
Ce nouvel album d’Aka Moon sorti chez Outhere, qui semble bien décidé à consacrer une place de choix à Fabrizio Cassol est un double live. Aka Balkan Moon fait place à Alefba. La translation est mineure, on bouge à l’est, via la Turquie, vers les chemins qui mènent au Caire. Il y a une forme de gémellité. Mais ce voyage est moins festif, plus solennel. Les rythmiques sont moins mis en avant, mais plus complexes; on perçoit notamment l’influence de Galland sur ce second live, qui ressemble beaucoup à ce qu’il proposait dans Lobi. Le voyage d’Aka Moon dans la musique classique arabe est presque naturelle, ils y entrent en terrain connu, au milieu des voix de Khaled Alhafez et de la flûte du fidèle Magic Malik qui donne lui aussi de la voix (Monkey, déchirant, du bonheur pur). Il y a du lyrisme et de la puissance dans ce second live plus universaliste encore que le premier. Ainsi Sinaï et ce déluge de rythmes que vient exciter les soufflants et la guitare d’Emmanuel Baily et fait office de mirage au milieu des denses pulsations. Le double album est un coup de maître. Pouvait-il en être autrement ? Sans doute pas, mais l’important est de s’en délecter absolument.
Franpi Barriaux (SUN SHIP)