Aka Moon, Opus 111

Aka Moon, Opus 111

Aka Moon,

Opus 111 

OUTHERE MUSIC

Ce n’est pas parce que ce titre Opus 111 renvoie inévitablement à la 32e et dernière sonate composée par Beethoven et que Fabian Fiorini figure parmi les invités qu’il faudrait croire que ce nouvel album d’Aka Moon est conçu comme une série de variations autour de cette mythique sonate, ainsi que ce fut le cas pour “The Scarlatti Book”. C’est que, comme l’indique le livret, Fabrizio Cassol est parti d’une autre inspiration qui est venue se superposer à cette sonate pour créer d’autres correspondances : le texte She talks to Beethoven d’Adrienne Kennedy, un texte qui a été plusieurs fois mis en scène au théâtre. Adrienne Kennedy, de son nom de jeune fille “Hawkins”, avait des parents membres de la National Association for the Advancement of Colored People. Métisse elle a souffert du racisme à l’Université et a fait de l’ambivalence des métisses l’un des thèmes centraux de son œuvre théâtrale, comme dans Funny house Of A Negro. Une évocation de la complexité du racisme qui ne pouvait que plaire à Fabrizio Cassol, maître d’œuvre du projet “Strange Fruit”. Mais quel rapport avec Beethoven, direz-vous. Le texte d’Adrienne Kennedy met en scène une femme écrivaine vivant au Ghana en 1961 et qui, face à la disparition de son mari, trouve refuge dans la correspondance de Beethoven qui devient ainsi un fantôme consolateur (la pièce telle que montée aux Etats-Unis ne mettait en scène que deux personnages : la jeune femme et Beethoven). Se mêlent alors dans l’esprit de l’héroïne musique de Beethoven et musique populaire africaine, un peu comme dans le projet de Fabrizio Cassol. Ce qui explique le choix de deux invités : d’une part, le pianiste Fabian Fiorini et de l’autre, le chanteur d’origine congolaise Fredy Massamba. Fiorini est un des invités fidèles d’Aka Moon : il faisait déjà partie de l’équipe réunie en 2001 pour “Invisible Moon”, puis pour “Amazir” et “The Scarlatti Book”. Il est présent tout au long de l’album, particulièrement pour les plages Sonate 32 et Towards The Stars With Ludwig, longue improvisation solo autour de Beethoven qui clôt l’album. Par contre, Fredy Massamba est un nouvel invité d’origine africaine (par le passé Aka Moon a accueilli d’autres musiciens africains comme Baba Sissoko et les percussionnistes de Black Machine pour “Culture Griot”). Né à Brazzaville en 1971, Fredy Massamba est à la fois chanteur et percussionniste : il a ainsi fait partie des Tambours de Brazza. Fuyant la guerre dans son pays, il a fait escale à Bruxelles et a fait partie de Zap Mama. A son nom, il a enregistré, en solo, “Ethnophony” (2010) puis “Makasi” en 2013, avec cuivres et guitare rumba. Par ailleurs, Fabrizio Cassol a convié un troisième invité : João Barradas, un maître de l’accordéon contemporain: il a remporté de nombreux prix internationaux. Après des études à Lisbonne, il a pris des cours avec Greg Osby et a ainsi pu côtoyer Mark Turner, Jim Black, Miguel Zenon et son compatriote Carlos Bica. Il a enregistré “Surrealistic Discussion”, un duo avec tuba. Les 12 plages de l’album – 10 composées par Cassol, dont quatre avec des paroles écrites par Fredy Massamba, une de João Barradas et une de Fiorini – nous proposent un voyage aux résonances socio-culturelles entre l’Europe de Beethoven (Sonate 32, Opening 1.1.1, She Talks To Beethoven ou Towards The Stars ith Ludwig) et l’Afrique de Fredy Massamba (Chindila, Bee Is Black, Watumbu, The Black Spaniard). Au fil de l’album, l’alto aérien et volubile de Fabrizio Cassol, la basse puissante et pregnante de Michel Hatzi et le jeu inventif de Stéphane Galland, maître des polyrythmes, dialoguent avec le piano de Fiorini (The Melancholia of L. avec une belle intro d’alto ou Sonate 32, dont l’ intro de piano est suivie de ce qu’on pourrait assimiler à un Rhodes mais il s’agit de l’accordéon ). A d’autres reprises, le trio dialogue avec l’accordéon et l’accordéon synthé de João Barradas (Opening 1.1.1 avec des sonorités se rapprochant de grandes orgues; Lichnowsky Cadenza, ; She Talks To Beethoven avec un alto majestueux; Beyond Lands  et Mr Joy) et, à quatre reprises avec la voix ondulante de Fredy Mussamba (Chindila, avec belle into de piano, Bee Is Black, beau dialogue entre voix et alto; Watumbu avec piano en arrière fond et The Black Spaniard en accord avec l’alto).Un album représentatif de la personnalité de Fabrizio Cassol : mélange de cultures au travers de rencontres inattendues, kaléidoscope de références diverses et, en arrière-plan, une thématique humaniste au travers d’un brassage d’influences musicales et littéraires.

Claude Loxhay