Alexey León : Influenciado

Alexey León : Influenciado

One World Records / Xango Music

L’album démarre sur un arrangement ultraléché de « Dat Dere », cette fameuse composition de Bobby Timmons qui fit les beaux jours des Jazz Messengers d’Art Blakey au début des années 60. On y fait connaissance avec une section rythmique haut de gamme incluant le contrebassiste Reinier Elizarde Ruano « El Negrón », le batteur Georvis Pico Milian et le percussionniste Pedro Pablo Rodriguez Mireles (trois musiciens cubains qui complètent également le quartet du pianiste Chucho Valdez) … mais aussi avec un tandem de souffleurs dont les improvisations sont marquées par la précision et l’impétuosité du jazz afro-cubain. D’un côté, le saxophoniste Alexey León, né à Cuba et élevé à Moscou (d’où le titre « De la Habana a Moscú »), fait preuve d’une belle maturité dans son jeu énergique tandis que de l’autre, le trompettiste Carlos Sarduy délivre des solos enflammés à la hauteur de sa réputation bien établie après avoir décroché plusieurs « Grammies ». Le répertoire offre également une autre reprise, « The Way You Look Tonight », le standard de Jerome Kern ici revisité dans un arrangement latin… Mais le meilleur est encore à venir avec les huit compositions originales du leader.

Toutes s’inscrivent dans la tradition d’un jazz cubain, mi hard-bop, mi latin, emmené par des rythmes complexes propres à libérer les solistes les plus inhibés. Ecoutez entre autres le titre éponyme qui résume cette esthétique ludique jadis embrassée par des Chano Pozo, Dizzy Gillespie et autres Machito. La virtuosité des musiciens y côtoie naturellement une luxuriance percussive, même si c’est la qualité d’écriture et d’arrangement qui finit par l’emporter. Dans un autre registre, « Kiev Station Blues », qui flotte en apesanteur, apporte une variété bienvenue, le saxophone sinueux s’élevant en volutes mélancoliques dans une atmosphère de fin de soirée. Sur « Ya voy », Alexey León a troqué son saxophone contre une flûte, un instrument qu’on sait, avec l’exemple de Paquito D’Rivera en tête, convenir parfaitement à ce genre de musique. Enfin, on n’oubliera pas de souligner l’apport décisif du grand pianiste cubain Caramelo de Cuba vu entre autres aux côtés de Celia Cruz, Jerry Gonzalez et Paquito D’Rivera.

Enregistré à Madrid et édité sur le label danois One World Records, ce quatrième disque d’Alexey León revisite avec maestria les canons du jazz afro-cubain. Hard-bop, blues, suavités mélodiques, orages polyrythmiques … tous les fondamentaux sont là mais repensés dans un nouvel éclairage qui joue sur les nuances. Comme quoi, on peut être influencé (« Influenciado ») et tracer quand même sa propre voie !

Pierre Dulieu