Ambrose Akinmusire, A Rift In Decorum
Ambrose Akinmusire, A Rift In Decorum
(live at the Village Vanguard)
Né à Oakland, Californie, Ambrose Akinmusire vient à peine d’avoir dix-neuf ans lorsqu’il participe à son premier enregistrement, un « live » à Montpellier avec les « Five Elements » de Steve Coleman album paru chez Label Bleu (« Resistance is Futile », enregistré en 2001). Un enregistrement comme Coleman aimait les entreprendre à l’époque, c’est-à-dire liés à des ateliers dans lesquels s’exprime de façon spontanée la musique sur des pièces improvisées ou de vieux standards revisités. Si cet enregistrement est évoqué, ce n’est pas tant pour la présence du trompettiste que pour l’esprit de liberté qui me fascinait dans les projets de Steve Coleman. Et parce que le double album d’Ambrose Akinmusire a fait resurgir le souvenir de cette galette de 2001 : une musique d’écoute réciproque, d’interaction, de plongeon dans l’inconnu. Comme cette première pièce de plus de douze minutes intitulée Maurice & Michael (sorry i didn’t say hello) et qui ouvre magistralement le concert au « Village Vanguard » où l’abstraction domine sans troubler la fascination qu’engendre l’élégance de Sam Harris (piano) ou le drumming aérien de Justin Brown, que l’on retrouve dans Brooklyn quatre plages plus loin. « A Rift in Decorum » est aussi un album de climats, de contrastes : A Song to Exale to (diver song) nous entraîne dans les profondeurs avec ses sonorités étouffées, sa langueur obsédante. Ambrose Akinmusire décrit ainsi la musique de son nouvel album : « J’ai vraiment pénétré l’exploration des extrêmes… Ainsi vous trouverez une pièce où nous jouons beaucoup de matière, puis vous aurez quelque chose qui est plus frugal… presque comme un Nocturne de Chopin. » Contrastes aussi sur la longueur comme le petit et sensible intermezzo de deux minutes intitulé Purple qui précède Trumpet Sketch de près de quinze minutes avec ses envolées free de Sam Harris au piano, puis un dialogue enflammé entre Justin Brown et le trompettiste. Un album qui au-delà de tous ses contrastes, révèle une constante écoute de l’équipe vis-à-vis de ses partenaires, du vrai jazz d’aujourd’hui bâti sur des matériaux d’hier, du grand art.
Jean-Pierre Goffin