An Old Monk
Théâtre National de Belgique, “An Old Monk”
de Josse De Pauw, accompagné par Kris Defoort (piano) avec Lander Gyselinck (batterie) et Nicolas Thys (basse électrique)
Dimanche 06 octobre, à 15h00, salle Jacques Huismans du Théâtre National de Belgique (TNB), dans le cadre de “Toernee Generaal”, un festival coproduit par le KVS (théâtre flamand de Bruxelles) et le TNB, il est l’heure du théâtre musical avec “An Old Monk”, créé à partir d’un texte de Josse De Pauw, comédien flamand le plus réputé par-delà les frontières du plat pays, et mis en musiques par le compositeur et pianiste Kris Defoort, désormais aussi connu pour ses opéras que pour ses enregistrements jazz en solo ou en trio.
La scène plongée dans une pénombre révèle le trio, piano, basse électrique et batterie, et, derrière un rideau, au fond du plateau, une paire de jambes intranquilles apparaît. L’introduction musicale, sur un thème aérien qui rappelle le lyrisme nordique des premiers enregistrements du label ECM couvre à peine ce jeu de jambes qu’on devine impatientes de monter sur le ring ! Ce même thème musical résonnera après un peu plus d’une heure de monologues, dialogues, trialogues avec la musique, vers le public, pour signer la coda d’une aventure artistique où la mise à nu individuelle se le dispute avec les interrogations existentielles qui nous envahissent tous, un jour ou l’autre. On l’aura compris, “An Old Monk”, c’est bien de Josse De Pauw qu’il s’agit, de sa vie, de ses rapports aux autres, du temps qui passe, de l’âge de son corps et d’un cerveau où cohabitent l’enfant, l’adolescent… confrontés à une carcasse qui a beaucoup vécu, fort bien vécu, mais qui sent comme une fin se profiler. Cet Old Monk voudrait enchaîner avec une autre vie, et encore une autre vie, même si la première, consommée avec gourmandise, était pas mal, même pas mal du tout, mais il doute, alors, rien de tel que danser un petit coup.
Josse De Pauw aime le jazz. Il confesse une passion pour le jazz. Pour lui, le jazz c’est la vie. Après l’avoir vu à l’oeuvre, on pourrait même l’imaginer s’exclamer, comme Archie Shepp, “Je suis jazz” ! En effet, d’un spectacle à l’autre, De Pauw doit sans aucun doute improviser, jouer ainsi avec les énergies lancées par la basse électrique de Nicolas Thys qui l’accompagne pour la partie chantée du spectacle, un chant qui déchire, prend aux tripes. Avec les suites harmoniques, respectueuses de l’univers de Thelonious Monk, et jouées avec brio et humilité par Kris Defoort, De Pauw entre en dialogue, défie du regard ou caresse la carcasse du quart-queue d’où résonne la note bleue. Il improvise aussi, à coup sûr, dans la manière dont les parties de son corps répondent aux frappes infligées sur les peaux et les cymbales par un Lander Gyselinck en communion avec le texte.
Faut-il le préciser, le choix de la musique de Thelonious Mont ne relève pas du hasard. La musique de Monk n’atteint-elle pas justement le sommet dans la rencontre entre légèretés mélodiques, minimaliste, et une approche harmonique dont on ne cesse de découvrir la complexité, la richesse et même le mystère ! De plus, quel amateur de jazz n’a pas assisté, en images, à cette attitude étrange de Monk qui en concert se lève, s’écarte légèrement du piano, pour un pas de danse, en tournant sur lui-même, comme à la recherche de connections avec d’autres dimensions ? Tout au long du spectacle, Josse De Pauw prononce la phrase, “danse un petit coup”, comme un leitmotiv, qui ponctue sa vie, ses vies.
Cependant, Josse De Pauw sait-il qu’un rhum populaire, au parfum dominant de vanille, fabriqué en Inde, parfois même proposé dans des bouteilles avec la silhouette d’un vieux moine, porte aussi le nom de Old Monk. Car, la gestuelle, la chorégraphie que De Pauw impose à son corps, se situe à mi-chemin entre la posture du boxeur avant de monter sur le ring, et celle d’un homme occidental, bourgeois et d’âge mûr, au cours d’une nuit fort alcoolisée qui le plonge dans les méandres de ses nœuds existentiels. Le spectacle est puissant quand De Pauw arpente le plateau, danse, chante, mais perd un peu de son intensité une fois De Pauw assis, interprétant son texte avec une voix portée par l’air expiré, contrainte, comme oppressée. Ou faut-il y voir une symbolique ? Assis, le vieux moine raconte une vie subie, assumée avec difficultés, et quand il se lève, c’est un homme debout qui affronte le destin, interpelle, crie, avant de danser un petit coup, au soir de sa vie, autour de minuit.
Philippe Schoonbrood