An Pierlé Quartet : la nouvelle voie
Guérie d’une maladie qu’elle a combattue avec détermination, mais aussi lassée des contraintes de la pop, An Pierlé nous revient en «quartet » avec un somptueux « Wiga-Waga » sous le bras, en guise de nouveau départ. Pourquoi on aime la blonde Gantoise et son alter ego Koen Gisen ? Question difficile… Mais vous en aurez sans doute une idée plus précise après avoir parcouru cet entretien.
An Pierlé Quartet © Isadora Gisen
«Finalement, cette pandémie est tombée au bon moment pour moi. J’ai été obligée de prendre du repos. On s’est tous dit que c’était pas grave, qu’on reporterait tout d’un an.» An
Notre première question s’adresse à An en particulier… Nous nous sommes inquiétés pour toi, comment vas-tu ?
An Pierlé : Très bien, merci ! Je suis tout à fait guérie… Et je me sens bien !
Ceux qui t’ont rencontrée savent que tu es une personne très positive. Mais après la maladie, tu as dû faire face à d’autres annulations de concerts, à cause de la pandémie cette fois. Comment fait-on pour garder le moral malgré tout ?
A.P. : Finalement tu sais, cette pandémie est tombée au bon moment pour moi. J’ai été obligée de prendre du repos. On avait de chouettes projets, mais on s’est tous dit : « c’est pas grave, on prendra le temps. On reporte tout d’un an… ». Il y avait quand même de la vie dans la maison. Koen enregistrait. Puis, il a fait une mauvaise chute de cheval… C’était à son tour de devoir se reposer (rires). Mais bien évidemment, nous regrettions de ne pas pouvoir jouer !
Et vous voici revenus avec ce nouvel album, «Wiga-Waga », qui s’éloigne un peu de l’univers auquel on est habitué chez vous… Quoi que ! Au fait, comment en êtes-vous venus à enregistrer avec deux fleurons du nouveau jazz flamand (soit Hendrik Lasure et Casper Van de Velde – NDLR) ?
Koen Gisen : J’ai enregistré deux albums avec eux, pour leur projet Schntzl. Ils étaient souvent à la maison. An faisait à manger (rire). C’était une atmosphère conviviale. De notre côté, on voulait entreprendre un travail de recherche sur les improvisations… Puis avec An, nous avons été accueillis en résidence au Musée des Beaux Arts de Gand. On a testé quelques batteurs qui avaient des dispositions pour l’improvisation.
A.P. : Oui, Dré Pallemaerts par exemple. On lui avait soumis le projet. On a fait un concert à trois, avec Koen. A cette époque-là, nous jouions déjà le répertoire de « Wiga-Waga ». Nous avons poursuivi sur cette idée d’improvisation avec Hendrik Lasure. Tout en cherchant un batteur. Mais c’était inutile : le choix de Casper Van de Velde s’imposait tant la complicité entre eux deux est forte ! Le quartet était complet ! L’entente entre nous est parfaite. Imagine un salon avec des fauteuils… Chacun tourne d’un fauteuil à l’autre en s’assurant de laisser une place aux autres. Notre quartet, c’est exactement ça.
«Après le spectacle «Sylvia», il fallait continuer sur cette dynamique avec les garçons… Il ne fallait surtout pas les lâcher» Koen
« Sylvia », le spectacle monté par Fabrice Murgia, et avec lequel vous avez beaucoup tourné dans la même configuration, a-t-il servi de déclic ou plutôt de répétition à grande échelle ?
K.G. : Un peu des deux en fait… C’était la suite logique de la résidence que nous venions de vivre. C’était important pour nous deux de continuer sur cette dynamique avec les garçons (c’est ainsi que Koen décrira plusieurs fois le duo Lasure / Van de Velde – NDLR). Ils sont si jeunes, avec une multitude de projets… Il ne fallait surtout pas les lâcher…
A.P. : Fabrice Murgia souhaitait une musique d’accompagnement qui se construise en « live » et en improvisation lors de chaque représentation. Notre quartet était parfait pour répondre à ses attentes. De notre côté, ça nous a permis de jouer régulièrement ensemble, de mieux nous connaître.
« Sylvia » a beaucoup tourné en effet…
A.P. : Oui, mais il y a eu beaucoup d’annulations aussi (rires).
«Les jeunes de la nouvelle vague sont devenus des musiciens de jazz «entre parenthèses», alors qu’avec la génération précédente, il n’y avait pas de parenthèses.» Koen
Koen, tu as produit plusieurs groupes de la nouvelle vague flamande du jazz. On a déjà parlé de Schntzl, mais il y a également eu Dans Dans ou Nordmann. Est-ce une nouvelle direction musicale que tu souhaites prendre ? Que penses-tu de cette scène ?
K.G. : Il s’agit bel et bien d’une nouvelle génération. Je pense que l’avènement de cette nouvelle vague a un rapport avec l’enseignement. Ce sont des musiciens fabuleux, formés dans les Conservatoires, mais il n’y a pas de dogmatisme chez eux. Ils sont ouverts à tout : au jazz, et surtout aux musiques improvisées. C’est là que réside la différence… Ils sont devenus des musiciens de jazz « entre parenthèses », alors qu’avec la génération précédente, il n’y avait pas de parenthèses (il rit). C’est facile pour eux de passer d’un style à l’autre, d’un genre à l’autre… Si tu prends des garçons comme Casper et Hendrik, ce sont des enfants prodiges, arrivés tôt dans la musique, alors qu’ils étaient encore fans de musique pop.
A.P. : c’est ce qui me frappe : ce sont de véritables fanatiques de musique !
K.G. : Pas d’ego, pas de jugement. Un bagage énorme ! Ils sont étonnants… J’apprends beaucoup à leur contact !
«Je suis un peu jaloux de la liberté musicale que l’on rencontre particulièrement dans le jazz. En vérité, j’en ai un peu marre de la pop» Koen
Pour ce nouvel album, vous avez utilisé les clichés du jazz pour lui donner une coloration dans ce sens : le mot « quartet » accolé à celui d’An Pierlé, une collaboration avec le label W.E.R.F., … Pour ma part, j’entends plutôt une « pop expérimentale »…
K.G. : Tu as raison : c’est de la pop expérimentale… L’utilisation du mot « quartet », c’est un clin d’œil, de l’ironie (il sourit). Ceci dit, je suis un vrai fan de jazz, depuis très longtemps… Quand j’étais jeune, je fréquentais mon voisin qui travaillait à la B.R.T. (l’ancienne appellation de la station de radio/télévision publique flamande – NDLR). Il avait accès aux archives de la Médiathèque, où se trouvaient des vinyles fabuleux. Il ramenait des trésors que l’on recopiait sur des cassettes audios. Je suis un peu jaloux de cette liberté musicale que l’on rencontre particulièrement dans le jazz… En vérité, j’en ai marre de la pop…
«A l’époque du White Velvet, on s’interrogeait quand on composait : «Est-ce que ça peut passer en radio?» C’est fini ce stress!» An
C’est sur cette voie du jazz que tu souhaites dorénavant t’orienter ? Plus envie de jouer avec le White Velvet (le groupe de rock que An et Koen ont formé – quelques albums studios à ce jour – NDLR) ?
K.G. : Personnellement, non ! (il regarde An comme s’il lui demandait son avis)
A.P. : Je m’amuse bien mieux en jouant notre musique aujourd’hui qu’à l’époque du White Velvet. Quand on composait, on s’interrogeait : « est-ce que ça peut passer en radio ? ». C’est fini, ce stress… Plus besoin de se demander si ça marchera ou non. Je me sens authentique, je ne joue que ce que j’ai vraiment envie de jouer ! La collaboration avec un label de jazz est un signal que nous envoyons à notre public. Quand il viendra voir le nouveau spectacle, il ne pourra pas réclamer nos vieux titres. Ce sera inutile.
K.G. : En vérité, nous entamons une nouvelle carrière… (An approuve) L’entourage est totalement différent.
A.P. : Tu as vu les chanteuses pop actuelles ? Elles sont si jeunes ! Pourquoi devrais-je m’imposer des supplices ? Les photos !? (elle rit)
«Monter notre propre studio d’enregistrement nous a permis de devenir indépendant, de ne plus laisser d’autres personnes avoir la mainmise sur notre musique.» An
L’authenticité, c’est quelque chose qui vous correspond en effet assez bien…
A.P. : A l’époque de « Helium Sunset » (un album publié en 2002 – NDLR), Koen a proposé que nous montions notre propre studio d’enregistrement. Une très bonne idée ! Koen a un talent pour l’enregistrement… Nous avons passé du temps à tester le studio, à nous exercer l’un avec l’autre… C’est ainsi que Koen est devenu un producteur reconnu. Mais ça nous a surtout permis de devenir indépendant. De ne plus laisser d’autres personnes avoir la mainmise sur notre musique. En vérité, les gens du show-business ne sont pas des artistes ! Je me souviens d’avoir dû me bagarrer pour que « Mud Stories » (son tout premier album, 1999 – NDLR) sorte en solo piano/voix… Puis, sous le prétexte que ce disque avait finalement connu un beau succès, ils ne voulaient plus que le second (« Helium Sunset » – NDLR) soit enregistré avec un groupe !
Il y a un recul par rapport aux diktats du marché : pas de site internet officiel, ni pour An, ni pour votre label Helicopter…
A.P. : Pour être franche, ce serait la seule raison pour laquelle je voudrais avoir plus de succès et être plus riche… Avoir les moyens de payer quelqu’un qui s’occuperait de tout ça ! L’aspect promotionnel est ce qui a de plus déplaisant dans la musique… Nous, on le fait très mal… Nous tentons de rester abordables, de répondre aux questions du public via les réseaux sociaux… C’est un aspect important du métier, surtout dans le milieu de la pop.
A ce sujet, comment avez-vous vécu le succès que vous offrait cette reprise incroyable de « Paris s’éveille » (la chanson de Dutronc leur a offert un « hit » en France – NDLR) ?
A.P. : On ne le nie pas… C’était chouette ! Nous sommes très fiers de cette reprise. Elle nous a permis de percer en France, où nous jouions au Bataclan et dans d’autres grandes salles… Ce succès nous a aidé pour constituer un public. Beaucoup n’ont pas suivi par après, mais nous avions construit une base de fans fidèles… Qui sont toujours là.
K.G. : Quand on joue en France, il y a encore du monde…
«Je pense que ce nouveau groupe se construira essentiellement en «live». Il est destiné à la scène.» An
La suite ? Je suppose que vous rêvez de partir en tournée avec « Wiga-Waga » ?
A.P. : On attend la fin de la crise sanitaire, mais il y a plein d’espoir ! Combiner des festivals avec les vacances de cet été, ce serait bien ! Je pense que le groupe se construira essentiellement en « live », il est destiné à la scène. On va démarrer par un « livestream » (voir infra – NDLR), même si ce n’est forcément pas aussi plaisant qu’un vrai concert. D’autre part, il n’y a plus beaucoup de disquaires… Or, les salles de concerts restent les endroits où l’on peut le mieux écouler nos disques.
An Pierlé Quartet © Isadora Gisen
Livestream exceptionnel au Handelbeurs de Gand ce soir (avec réductions sur le prix du disque).
An Pierlé Quartet
Wiga-Waga
Helicopter / W.E.R.F. / N.E.W.S.
Propos recueillis par Yves JB Tassin / Photos © Isadora Gisen et Koen Gisen