Bààn : la rencontre du deuxième type
Ces derniers temps, on a vu éclore chez nous quelques duos batterie / claviers œuvrant dans des zones différentes… De Glass Museum (néo-classique) à Schntzl (nettement plus free), de Beraadgeslagen (electro-jazz) à Bààn… Bààn : soit le claviériste Pascal N. Paulus et le batteur Jean-Philippe De Gheest, tous deux à la recherche de nouvelles sensations psychédéliques. Rencontre en descente de scène…
Vous provenez d’horizons musicaux différents. Où avez-vous trouvé votre point de convergence ?
Pascal N. Paulus : Il s’agit avant tout d’une rencontre humaine. Nous nous entendions bien, on a donc essayé de construire quelque chose à deux…
Jean-Philippe De Gheest : Cela remonte à l’école de musique. L’évolution a été naturelle, jusqu’à l’enregistrement du premier album.
Ça fait donc un petit moment que vous jouez ensemble…
J.D. : Avec la période COVID, ça nous projette en effet assez loin… On souhaitait garder une trace de cette rencontre. Nous avons enregistré une répétition, avec plein d’improvisations. Au terme de celle-ci, chacun est rentré chez lui avec une bande. Nous avions pour mission de sélectionner nos passages préférés. Au bout du compte, nous avions choisi tous les deux les mêmes passages. Si bien que le premier album est essentiellement constitué de matière brute. Nous n’avons apporté pratiquement aucune modification.
«Notre musique est le reflet de notre rencontre. Nous n’avons pas décidé de faire du jazz, du rock ou quoique ce soit d’autre.» Jean-Philippe De Gheest
Comment définissez-vous votre musique ? J’entends du jazz, mais aussi du rock psychédélique, du krautrock, le Pink Floyd des débuts…
J.D. : En fait, c’est assez simple : notre musique est le reflet de notre rencontre. Nous n’avons pas décidé de faire du jazz, du rock ou quoique ce soit d’autre.
P.P. : Bien sûr, toutes les références que tu cites sont évidentes. A la base, nous avons décidé de faire une musique instrumentale… Rien que nous deux, pas de voix. On aime les voix… Chacun de nous travaille de son côté avec des chanteurs ou des chanteuses (Melanie De Biasio en ce qui concerne Pascal… NDLR) et on adore ça ! Ici, nous faisons face à un autre challenge. On travaille uniquement avec nos instruments… Rien d’autre !
Dans ce cas, est-ce qu’on ne peut pas parler de jazz ? De musique improvisée ?
(ensemble) : Oui, clairement…
La structure des morceaux semble être redondante : le clavier démarre, on cherche le son, la mélodie prend forme… et enfin le rythme suit…
P.P. : Au fur et à mesure de notre collaboration on suit en effet une méthode. Nos morceaux deviennent plus écrits. Il y a la mélodie, les thèmes, les gimmicks…
«J’aime cette idée de rapprochement des cultures francophone et néerlandophone. Bruxelles est une chouette ville pour ça.» Pascal N. Paulus
Au juste, que signifie le terme « Bààn » ?
J.D. : « Bààn », c’est un son… Il nous est apparu naturellement. Nous avons essayé d’autres noms, mais c’est celui qui nous convenait le mieux. On a rajouté les accents en référence à la culture flamande, une culture que nous partageons tous les deux. Ceci dit, ces deux accents posent problème… Les sites américains ne les reconnaissent pas… Finalement ça nous pénalise un peu.
P.P. : J’aime cette idée de rassemblement des cultures francophone et néerlandophone. Pour ma part, je suis originaire de Liège. Je trouve que Bruxelles est une chouette ville pour ça…
Ce qui est moins le cas en Wallonie où les groupes flamands jouent peu…
J.D. : On ne rencontre pas particulièrement ce type de problème. Une grosse majorité de nos concerts se déroulent en Flandre ou à Bruxelles.
Parce que vous avez signé pour un label flamand ?
P.P. : Non, je ne pense pas. Notre agence de booking est installée en Flandre… Et le réseau est plus fourni au Nord. C’est chaleureux en Wallonie. On a fait la Zone (à Liège – NDLR) et le Rockerill à Charleroi… C’était vraiment bien !
Ce n’est quand même pas assez…
P.P. : Non, c’est clair… Question de subsidiations peut-être…
Il y a une nouvelle donne avec ce nouvel album : les morceaux sont plus courts…
J.D. : Oui, c’était une volonté. On voulait garder les improvisations, cette liberté dans notre musique, tout en la rendant plus compacte. C’est notre nouveau défi.
Garder cet effet hypnotique sur quatre minutes de temps, ce n’est sans doute pas facile !
P.P. : Ici, on parle du disque… ça n’a rien à voir avec ce qui se passe en concert.
«Quand on joue dans les festivals, les jeunes accrochent. Ils voient une vraie batterie, ils entendent le son des claviers…» Pascal N. Paulus
Ce soir (le groupe jouait à l’An Vert, à Liège – voir le reportage de JazzMania) , vous avez fusionné tous les morceaux pour en faire un seul.
J.D. : Oui, tout à fait… On sait que certains, les plus jeunes notamment, n’aiment pas qu’un morceau s’étire en longueur. En pratique, nous tentons de réduire la longueur pour faire des morceaux de moins de quatre minutes. Le rapport au temps n’est plus le même. Même quand on réalise un clip, on se doute que beaucoup de personnes ne le regarderont pas jusqu’au bout…
P.P. : On n’y arrive pas toujours… Ce soir, un morceau a duré près de dix minutes. Par contre, lors des soirées techno, les jeunes assistent à des sets de plus de deux heures sans interruptions… On se trouve un peu dans ce domaine-là… J’espère que ce challenge-là, on le relèvera un jour aussi. Quand on joue dans les festivals on voit bien que les jeunes accrochent. Ils voient une vraie batterie, ils entendent les sons un peu particuliers des claviers…
Ce n’était pas prévu ces dix minutes pour un titre ?
J.D. : Non, ce n’est pas voulu.
P.P. : En live, tout est différent. Il y a la symbiose avec le public, la qualité du son. Je jouais plus fort lors du soundcheck… On s’adapte en fonction de l’énergie que l’on ressent dans le public.
On a vu apparaître pas mal de duos clavier / batterie ces dernières années en Belgique…
J.D. : En effet… Nous, c’est juste une rencontre entre deux musiciens. On n’a pas réfléchi en termes d’instruments.
«L’avantage d’être deux, c’est qu’on ne perd pas de temps. Si un de nous deux n’est pas d’accord avec une idée, elle tombe à l’eau directement.» Jean-Philippe De Gheest
Cela dit, vous vous démarquez des autres duos…
J.D. : Je pense qu’il existe un besoin de restreindre les formations. Plus il y a de membres dans un groupe et plus il est compliqué à organiser, ainsi que d’obtenir des dates. Il faut accorder les agendas aussi. L’avantage, c’est qu’à deux il n’y a pas besoin de discuter trop longtemps. Si un de nous deux n’est pas d’accord avec une idée, elle tombe tout de suite. On ne perd pas de temps.
Vous connaissez la devise de votre label W.E.R.F. ?
J.D. : Oui, « le label jazz pas jazz »…
Je trouve que ça vous correspond assez bien.
J.D. : C’est certain ! Depuis quelques années, le jazz évolue, il s’ouvre à d’autres genres. Alors qu’il y a dix ans, il passait pour une musique ringarde. Aujourd’hui, les adolescents écoutent du jazz, ils adorent ça.
P.P. : Benny (Claeysier – le nouveau patron du label W.E.R.F. – NDLR) a fait le pari d’ouvrir de nouvelles voies. Il n’est pas obligé de respecter les codes du jazz. Il ne renonce à rien et ouvre de nouvelles perspectives. Le jazz, c’est la liberté…
J’ai cru comprendre que le titre de l’album, « Shadowboxing » fait référence à l’attitude du boxeur à l’échauffement.
J.D. : C’est l’idée d’être dans la préparation de quelque chose. On ne sait pas toujours ce qui va se passer, mais on se tient prêt, on est dans le mouvement. Il s’agit d’une préparation aussi bien physique que mentale. Il n’est pas question de combat… Mais on est confiant. Ça rejoint l’idée de base, le duo. Lors des répétitions, nous discutons beaucoup, on ne joue pas nécessairement.
Comme Kraftwerk… Ils discutaient beaucoup, buvaient du café et partaient faire de longues randonnées à vélo.
P.P. : On joue sans doute un peu plus qu’eux, mais en effet, il y a beaucoup d’échanges verbaux. On raconte notre vie, on fait des remises en question.
Bààn
Shadowboxing
W.E.R.F. / News