Catherine Graindorge : Catherine & l’iguane

Catherine Graindorge : Catherine & l’iguane

Alors que sa carrière solo prend de l’envol (Bozar, quelques festivals de jazz prestigieux…), Catherine Graindorge défend en parallèle « After Heaven », le quatrième album du groupe Nile On waX dont elle occupe un tiers du line-up. Rencontre.

Catherine Graindorge © Diane Cammaert

«J’ai imaginé ce que serait une vie de violoniste professionnelle dans la musique classique… Et j’ai renoncé !»

Tu es une joueuse de violon, un instrument particulièrement associé à la musique classique. C’est bien dans ce milieu-là que tu a commencé ?
Catherine Graindorge : Oui, tout à fait. J’ai démarré le violon vers l’âge de huit ou neuf ans, avant de suivre le cycle de l’Académie jusqu’à la fin. Mon professeur souhaitait que je poursuive mes études au Conservatoire. J’ai alors imaginé ce que serait ma vie en tant que violoniste professionnelle dans la musique classique… Et j’ai renoncé ! Ce n’est pas une vie pour moi…

C’est quoi dès lors tes premières émotions musicales ? Qu’est-ce qu’on écoutait chez toi ?
C.G. : Ma mère écoutait beaucoup de musique classique. Je baignais dans cet univers-là. Je me souviens particulièrement du Concours Reine Elisabeth que nous regardions à la télévision. Il y avait aussi des chanteurs plus engagés. Léo Ferré…

Catherine Graindorge © Robert Hansenne
Catherine Graindorge © Robert Hansenne

Comment en es-tu venue au rock, à l’ambient ? As-tu par exemple rencontré des gens qui t’ont poussée vers cette voie-là ?
C.G. : Non. On me pose souvent cette question : qui t’a influencée ? Mais en vérité, chez moi, tout vient spontanément. Quand j’ai démarré mes études de comédienne au théâtre, j’ai arrêté de jouer du violon. J’étais persuadée que si je ne consacrais pas suffisamment de temps au travail de l’instrument, je perdrais mes acquis. Il se fait qu’une fois sortie de l’IAD (l’Institut des Arts de Diffusion – NDLR), on m’a proposé le rôle d’une joueuse de violon. J’ai donc dû le récupérer. Plus tard, on m’a offert une carte blanche, des lectures sur Berlin, sur lesquelles je devais créer un fond sonore. J’ai acheté une première pédale pour faire des loops et tout s’est enchaîné vers cet univers musical là. J’ai abordé le rock en intégrant le groupe Monsoon dont j’ai remplacé le violoniste. On tournait pas mal… Joëlle Grignard, qui était dans Monsoon, a créé le label Depot 214 qui a publié mon premier album en solo (« The Secret of Us All » 2012 – NDLR) ainsi que les premiers albums de Nile On waX (d’abord sous le patronyme NOX – NDLR).

Il ne s’agit pas de revenir sur la carrière de ton papa (un avocat célèbre…) mais plutôt sur le contexte. Comment était-ce perçu, le fait qu’une jeune fille de la famille puisse se lancer dans une carrière artistique aléatoire ? A-t-on essayé de t’en dissuader ?
C.G. : Je ne proviens pas d’un milieu rigide avocat / cravate. Je proviens en fait d’un milieu de gauche, un peu bohème d’ailleurs… Certes, ils exerçaient tous les deux une profession libérale. Ma mère était pédiatre. En aucun cas on ne m’a poussée à faire la médecine ou des études de droit. Par contre, l’ULB (Université Libre de Bruxelles – NDLR) était un passage obligé. C’était la voie qui garantissait l’exercice d’un métier. Mais sans aucune pression, ça leur importait peu. J’ai étudié la musicologie…

«Au début de ma carrière solo, j’étais plus structurée, aussi bien au niveau du rythme que de la mélodie. Maintenant, je me rapproche davantage de l’ambient.»

En ce moment, tes projets se chevauchent, on va les aborder. J’imagine qu’ils étaient mûrement réfléchis de longue date… Il faut concilier tout ça !
C.G. : Oui, ça découle de la crise sanitaire que nous avons vécue… « Eldorado » est sorti en pleine pandémie. Impossible de faire des concerts. Je n’étais pas spécialement connue en Flandre, et encore moins en dehors de la Belgique… Le nouvel album de Nile On waX (« After Heaven » – NDLR) a été enregistré durant le confinement. Il ne sort que maintenant. Entre eux, il y a eu l’EP « The Dictator » que j’ai enregistré avec Iggy Pop. C’est lui qui m’a offert une plus grande visibilité. C’est grâce à lui que ça s’embrase un peu en ce moment.

Catherine Graindorge © Robert Hansenne

Selon ton sentiment, est-ce que « Eldorado », enregistré avec John Parish (un producteur réputé dans le rock alternatif), et « The Dictator » font partie du même concept ? Est-ce cet univers-là que tu présentes seule ou à deux en concert en ce moment ?
C.G. : Oui et non. Je pourrais sampler la voix d’Iggy Pop et la reproduire sur scène. J’y ai réfléchi, mais je me suis vite dit que ce serait un peu morbide (rires). Donc sur scène, je ne joue que le seul instrumental de l’EP (« Iggy » … NDLR). Pour le reste, c’est essentiellement « Eldorado » et quelques titres du nouveau projet « Songs for the Death » que j’ai présenté en quatuor à Bozar (en ouverture des Nuits Botanique – NDLR). Il s’agit davantage de mon état d’esprit actuel. Au début de ma carrière solo, j’étais plus structurée, aussi bien au niveau du rythme que de la mélodie. Maintenant, je me rapproche davantage de la musique ambient.

À Bozar, vous évoluiez à quatre. Il ne s’agit pas d’un projet spécifique ?
C.G. : Si, mais pour moi il reste un projet qui fait partie de ma carrière solo.

Même s’ils t’accompagnent ?
C.G. : Le claviériste, Simon Ho, a toujours été présent dans ma carrière solo. Il me connaît bien, il comprend mes objectifs. Puis il y a Pascal Humbert, avec qui j’avais déjà collaboré (Détroit, avec Bertrand Cantat – NDLR). Son univers musical est différent. Enfin, il y a Simon Huw Jones (chanteur du groupe rock alternatif And Also the Trees – NDLR) que je ne connaissais pas personnellement. Je souhaitais utiliser sa voix en spoken words plutôt que celle du chanteur. Elle ne doit pas supplanter le violon… Ils sont enthousiastes, nous enregistrerons en novembre… Mais c’est moi qui déciderai, ça reste mon projet (rires).

À Bozar, tes filles sont venues te rejoindre sur scène. Il devait y avoir de l’émotion pour vous trois !
C.G. : Oh oui ! C’était la première fois que je les invitais à me rejoindre sur scène. Elles ont bien assuré ! Il y avait du monde et on avait peu répété…

Maintenant arrive le nouvel album de Nile On waX. Un univers totalement différent. On rentre ici dans le post-rock…
C.G. : Oui, c’est différent… Il ne reste plus qu’un tiers de moi (rires). Avec le temps, je trouve que David (Christophe, basse – NDLR) prend lui aussi le rôle de mélodiste. Grâce à ses pédales d’effets. Ce qui n’était pas le cas au début de notre existence. Aujourd’hui, chacun apporte ses idées et son son, y compris Elie (Rabinovitch, batterie – NDLR). Ce n’est plus le violon et la section rythmique…

Nile On waX © France Paquay

«Quand nous jouons tous les trois, nous nous laissons prendre au jeu de l’improvisation. Et les voix ne viennent pas spontanément »

Dans ton projet ambient, tu ajoutes des vocalises, pas dans Nile On waX. Vous en avez discuté entre vous ?
C.G. : Oui, bien sûr. On en a un peu parlé. Mais quand nous jouons tous les trois, nous nous laissons prendre au jeu de l’improvisation. Et les voix ne viennent pas spontanément. Ceci dit, les voix ne sont pas omniprésentes dans ma carrière solo. Même si j’aime les mêler au son du violon, en faire une nouvelle texture sonore. J’avais un blocage, je pense.

Est-ce qu’on peut dire que, dans Nile On waX, tu ne portes pas entièrement le projet sur tes épaules, contrairement aux projets solos ?
C.G. : C’est Elie qui doit porter le poids du travail (rires). C’est lui qui écoute les bandes, qui se charge de l’organisation… Dans ma carrière solo, j’ai dû endosser tout ce travail moi-même. Je n’ai pas de manager. J’ai vu quelle différence cela faisait avec Iggy Pop… Son manager est omniprésent, il s’occupe de tout ! Sans cela, ça te prend toute ton énergie !

«Malgré l’effet Iggy Pop, je ne reçois pas beaucoup d’invitations pour jouer à l’étranger.»

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, vous m’aviez affirmé que vous vous « vendiez » très mal. Aujourd’hui, on parle beaucoup de toi… Qu’est-ce qui a changé ?
C.G. : Aujourd’hui, j’ai une bookeuse qui travaille assez bien dans le milieu du jazz. En Flandre notamment… Ce qui m’a permis d’être engagée dans divers festivals (Liège, Gand, … – NDLR) et dans des salles en Flandre (Ostende, Diest, … – NDLR). Puis il y a bien évidemment l’effet « Iggy Pop » qui joue. Ça ouvre des portes, même si je n’en ressens pas vraiment les effets.

Je suppose tout de même que ses fans se sont intéressés à l’EP « The Dictator » ?
C.G. : Oui, sans doute. Mais je ne reçois pas beaucoup plus d’invitations pour jouer à l’étranger.

Il est comment Iggy Pop ? Comment s’est faite votre rencontre ?
C.G. : J’ai été impressionnée par sa gentillesse et sa disponibilité, notamment lorsque nous avons tourné le clip à Anvers. Iggy Pop sait se mettre au niveau de ceux qui l’entourent. Des gens connus ou pas du tout. Il ne cherche pas à t’impressionner. La responsable presse de Glitterbeat pour l’Angleterre (le label qui a publié « Eldorado » – NDLR) a proposé le disque à la BBC où Iggy Pop anime une émission « Iggy Confidential » sur Radio 6. Il a apprécié « Eldorado » et a passé aussi un titre plus ancien. J’ai envoyé un message pour lui dire que je serais très honorée de pouvoir faire de la musique avec lui. Deux jours plus tard, il m’a répondu ! Puis tout s’est enchaîné. Neuf mois plus tard, le disque était prêt !

En duo au Gent Jazz Festival le 10 juillet. Informations : tickets.gentjazz.com

Nile On Wax
After Heaven
Tonzonen Records

Chronique JazzMania

Gent Jazz 2023
Du 5 au 15 juillet.
www.gentjazz.com

Focus JazzMania

Propos recueillis par Yves Tassin