Christophe Bailleau : L’insatiable…
Né en France, en Bretagne et installé en Belgique depuis plus de trois décennies, Christophe Bailleau est un artiste pluridisciplinaire. Il passe d’un art à l’autre sans se fixer une ligne directrice. Il filme, il écrit, il dessine, il multiplie les collaborations musicales, se trouve proche de nos Transcultures mais aussi des Français des Pépinières Européennes de Création. C’est souvent en lien étroit avec ces associations que ses projets sont diffusés. Tout récemment c’est un disque publié sous son propre nom (avec de nombreux invités) qui vient de voir le jour : le captivant et séduisant « Shooting Stars Can Last ». Rencontre avec cet artiste aux multiples facettes et talents dont j’ai déjà donné beaucoup d’infos dans la chronique du cd. On aborde, pour débuter cette rencontre, le thème de la création musicale.
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes débuts en France ?
Christophe Bailleau : J’ai commencé à faire de la musique d’une manière sérieuse alors que je n’avais que quinze ans. J’ai démarré dans des groupes de new wave et de cold wave. Dans l’un d’eux jouait Pascal Obispo ! Ça m’amuse toujours de signaler cela ! Le groupe s’appelait « Words of Goethe » et on a fait la première partie de Marc Seberg. Mais aussi de Killing Joke. Pascal est parti après quatre ans pour faire une autre carrière ! Puis j’ai viré vers l’électronique parce que j’avais des amis qui jouaient dans des groupes industriels assez cultes. Des pionniers en Bretagne ! Après cela, je me suis retrouvé à Grenoble, chanteur d’un groupe électro-gothique…
«Il y a quelques années, je me suis lassé des trucs «commerciaux». J’ai alors décidé de ne plus faire que ce qui me plaisait.»
Ensuite tu arrives en Belgique…
C.B. : Et là je joue dans le groupe métal industriel « Das Gift » qui faisait partie de l’association « La Famille », avec Les Brochettes, Les Jeunes etc… On a tourné aussi avec Noise Gate. Puis j’ai joué dans le groupe flamand Neven et là ça cartonnait ! On a joué dans toute l’Europe, tous les week-ends. On passait à la radio, on avait même samplé dEUS ! Puis j’ai fait mon projet solo techno Glyth, avec lequel j’ai eu un hit qui passait régulièrement sur Radio 21. Mais je me suis lassé des trucs « commerciaux » et j’ai décidé de ne plus faire que ce qui me plaisait. Nous étions alors en 2001. Aux débuts c’était vraiment très expérimental et j’ai beaucoup travaillé avec le label gantois Kraak. J’ai joué, sous mon nom, à leur festival à Hasselt et six fois à Gand ! Entre 2003 et 2006, j’ai fait beaucoup d’albums dont un pour Carte Postale à Namur, mais certains ne paraissaient seulement qu’en France. Après j’ai fait surtout de la vidéo, tout en jouant dans pas mal de groupes, même de jazz. Je passais du rock à la pure dance en passant par le bruit. Il n’y pas d’hiérarchie ou de critères, même si j’aime faire un truc qui va passer en radio.
On en arrive donc à ce dernier album sur lequel jouent de nombreux invités. Ces noms s’imposaient ?
C.B. : J’ai souvent travaillé en collaboration et indiqué le nom des gens, notamment sur l’EP 5 titres sorti en 2021 sous mon nom « & guests ». C’était plus que des apports, j’avais vraiment fait ces titres avec eux. Certaines personnes préfèrent ma musique en solo, c’est plus personnel mais d’autres trouvent qu’avec des invités, c’est plus riche. C’est Philippe Franck de Transcultures qui a proposé de faire un album complet avec des collaborations. Comme l’EP avait pas mal marché en France j’ai aussi reçu des propositions de là-bas. Il y a des titres terminés qui ne sont pas sur l’album, comme celui avec Jérôme Mardaga, mais ils seront publiés « quelque part, ailleurs ».
«C’était quand même un disque compliqué à faire, il fallait donner une unité à des sons qui n’ont rien à faire sur le même album.»
Tu avais établi une sorte de « carnet de route » pour chaque titre ?
C.B. : Non, jamais. La moitié de l’album était déjà bien « dans ma tête » avant les enregistrements. J’ai le canevas général, soit l’album va être « plat » ou « ondulé » sauf que certains invités m’ont fait parvenir des choses qui ont modifié mon idée de base. Une fois, j’ai gardé l’idée de l’invité et j’ai juste rajouté des sons. Mais c’était quand même un album compliqué à faire, pour donner une unité à des sons qui n’ont rien à faire dans le même disque, sans que cela corresponde à une compilation… C’était très très dur. J’avais une idée précise de comment mon disque devait être et j’y suis arrivé, mais pour cela j’ai éliminé des morceaux. Et cela fait des mécontents. Le prochain album sera véritablement solo ! (rires)
Je m’attendais à entendre du free, de la noise… Au final c’est surprenant car relativement calme, modéré et musicalement riche…
C.B. : Il y a quand même du bruit ! (rires) Mais je voulais que cela soit une histoire, comme un film, dans lequel il y a des éléments noisy.
Si nous détaillions quelques titres ? J’adore « Juzz » avec cette progression / répétition « à la Tubular Bells » plus un chœur magnifique…
C.B. : C’est un peu de la musique classique ce morceau. Les chœurs, c’est du sampling, moi qui n’en fais jamais ! J’aime bien créer mes propres sons ou m’inspirer, mais là c’est Konejo qui a placé ces chœurs qui, je pense, viennent d’Ennio Morricone mais il faut vraiment connaître sa discographie pour savoir d’où ils viennent. Je n’étais pas très favorable au début mais finalement cela fait un peu cinématique.
« Fun in Zombieland » est plus sombre, parfois free jazz…
C.B. : C’est inspiré de Coil et de Throbbing Gristle. Et « Inia » est inspiré de Pink Floyd… « Set the Controls From the Heart of the Sun » … Puis il y a des chanteurs invités et cela donne parfois un côté plus rock.
Et « La Lude » avec ses effets stéréo comme issus du passé, qu’est-ce que c’est ?
C.B. : C’est un morceau fait d’échantillons de plein de morceaux ! A la base il y avait trois morceaux d’une dizaine de minutes mais j’ai réduit cela à 90 secondes assez dark. Et « La Lude » c’est le surnom d’un copain ! (rires). Les effets stéréo j’en fais toujours, même si les gens écoutent via le blue tooth. Je me dis que c’est celui qui aura une bonne chaine qui en profitera !
J’ai trouvé un délicat et agréable côté Japan à « 66 Affairs »…
C.B. : Par la voix ? A la fois calme, grave et lancinant. C’est un chanteur breton, Yuri Cardinal, qui est fan de Japan et de musiques de ce style et avec qui j’ai fait un groupe. On va sortir un album en 2023 ! Un groupe hommage à Chris and Cosey (pour info ex-membres de Throbbing Gristle – NDLR) dont le nom est « Chris Me and Yuri » pour faire croire qu’on est trois mais nous ne sommes que deux ! (rires). Et là c’est vraiment de l’indus, pas de l’indus noise à la Prism (son autre duo avec un guitariste – NDLR), là c’est de l’indus très propre au niveau du son.
Sur « Lush Dreamland » tu étonnes avec une superbe guitare acoustique…presque à la manière de Mark Knopfler !
C.B. : Je n’ai jamais appris à jouer de la guitare donc je l’utilise peu. J’ai un album complet de ballades folk que je ne sors pas, par manque de confiance, pourtant j’aime bien chanter.
«Je suis fan de Rihanna… mais juste pour la production !»
On a parlé « dance » un peu plus tôt. Je trouve que si tu avais mis plus de rythme syncopé à « Telluric Gave Me » on aurait obtenu un truc très dansant, à la Moderat. Cela ne t’a pas tenté ?
C.B. : Tout à fait et j’aime la techno, surtout quand il n’y a pas de rythme ! (rires) Mais il y a quand même un morceau dansant, « Miftho », même s’il est très sombre. J’aime bien la dance ! Je suis fan de soul et même de rythm and blues. Cela ne se ressent pas dans ma musique, mais c’est ce que j’écoute le plus ! J’adore les arrangements, j’adore quand c’est bien produit. Cet album a coûté cher, même si j’ai fait beaucoup « à la maison », mais le son est très bon car nous sommes allés en studio pour le mastering et c’était formidable. Je vais parfois n’aimer qu’un titre d’un musicien, par exemple, Prince parce que je me dis : « Putain, comment c’est produit ! » Je suis fan de Rihanna mais juste pour la production ! Puis il y a le génie que j’écoute beaucoup : Stevie Wonder qui faisait tout, tout seul. Mais j’écoute aussi FKA Twigs, The Weeknd et mon préféré Oneohtrix Point Never. Il est maintenant chez Warp ! Il a reçu un oscar pour la musique d’un film avec Adam Sandler ! Quand je pense qu’on a fait un morceau ensemble ! Je vais refaire un morceau dance finalement ! (rires)
«Je sens que 2023 sera une bonne année pour ma musique.»
Tous les morceaux sont pratiquement enchainés…
C.B. : J’aurais pu faire un seul morceau ! Mais le label n’aime pas ça. Comme dans les années 70, j’adore les morceaux très longs (et là on repart sur « Tubular Bells » et les groupes qui ont mal vieilli comme Magazine ou bien vieilli comme XTC, grâce à ses belles mélodies… NDLR). Mais mon gros souci c’est de savoir comment attirer les jeunes à ma musique, d’autant que j’ai l’impression de fonctionner par phases. Cela marche pendant un an ou deux, puis il y a autant d’années de transition. Là, je sens que 2023 sera une bonne année pour ma musique. Mais je vieillis aussi et je me dis : « est-ce que je ne fais que de la musique pour les vieux ? » Ou pas ?
Le format de la pochette est celui d’un dvd…
C.B. : Mais la mode change tout le temps ! Il y a eu le format des cassettes qui a bien fonctionné il y a 5 ou 6 ans, surtout aux Etats-Unis et même en Flandre. Puis le retour du vinyle qui va se terminer vu le prix de l’objet et on assiste au retour du cd, même si les ventes ne sont pas encore importantes. Mais pour les labels indépendants il faut se démarquer, trouver un format particulier, placer le cd dans un sac ou comme le mien, faire en sorte qu’il puisse s’ouvrir de deux façons et avoir le format d’un livre de poche, puisque le label « Optical Sound » sort principalement des livres. J’aime ce format, je trouve la pochette très belle. C’est un clin d’œil à mon album préféré de Psychic TV, « Dreams Less Sweet », une pochette sereine et vicieuse avec une fleur qui a un piercing. Tu ne le vois pas au début… Et la mienne c’est aussi coloré mais quand tu l’ouvres, tu te dis aussi « c’est quoi ce truc bizarre dans la crêpe ». Tout est calculé, pensé… (Rires) Comme une poupée russe ! Avec le second album de Coil, ce Psychic TV est le grand disque oublié, le chef d’œuvre des années 80.
Tu fais de la musique, mais l’art sous de nombreuses formes te passionne également…
C.B. : En 2021, j’ai fait plus vidéos que de musique. Des vidéos pour Transcultures en Belgique et pour Pépinières Européennes en France. C’est artisanal, je filme avec mon téléphone mais j’ai un très bon programme de montage. Je fais tout, tout seul, y compris la musique des films. J’écris aussi, surtout depuis la pandémie, j’ai publié trois livres de poésie. (Il m’offre alors son livre « Firebird » et le dvd « Prescriptions » qui regroupe huit de ses courts métrages – NDLR). Et grâce à Transcultures, chaque mois, certains de ces films sont montrés en festival. Il vient d’y avoir la Corse puis Casablanca. Parfois je ne le sais même pas et je le découvre sur Facebook ! (rires). Mais j’ai un projet de moyen ou long métrage de fiction avec un vrai monteur professionnel. Je vends aussi des NFT maintenant. L’acquéreur détient mon fichier à vie, il lui appartient, mais je peux en faire une autre version. J’espère proposer un nouveau titre toutes les deux ou trois semaines. En art cela se fait déjà beaucoup mais pas encore en musique.
Tu viens de sortir quatre productions en peu de temps…
C.B. : Oui, deux cassettes, un cd et un digital ! Pour l’album digital « Top Budget » de Prism, on n’a pas trouvé de label. C’est dark, pas assez dance pour certains ! J’ai oublié de te dire qu’en 2008 j’ai même fait un album folk avec un américain. On s’est partagé les vocaux. Autre info, le bassiste de Marquis de Sade, qui relance Kas Product, a bien aimé mon album et m’a proposé de jouer sur le suivant ! J’ai aussi renoué des contacts en Bretagne, avec des musiciens perdus de vue depuis longtemps et j’ai des projets là-bas. Notamment la sortie d’un vinyle mais aussi des concerts en Bretagne, à Nice, en Corse…
Tes concerts se donnent souvent dans des endroits inhabituels…
C.B. : A un moment je ne voulais plus faire que cela. J’ai joué sur les terrils, dans des piscines, dans des champs, dans une église, un hôpital, une bibliothèque, une carrière, bientôt dans une grotte. Alors que dans une salle c’est remettre le tout dans du cubique ! Et çà je n’aime pas trop. Par contre, j’aimerais refaire un buzz comme il y a 20 ans. Un gros tube !
Christophe Bailleau & Friends
Shooting Stars Can Last
Optical Sound