Claude Tchamitchian, le dossier (Citizen Jazz)
De l’avantage du “slow” journalisme
Nos amis de Citizen Jazz saluent le vingtième anniversaire du label éMouvance en proposant un dossier autour de son fondateur : le contrebassiste Claude Tchamitchian. On y trouvera toutes les chroniques des productions du label, mais aussi celles où apparaît Tchamitchian, et ce depuis la naissance de Citizen Jazz, ainsi qu’une playlist, des captations vidéos, un entretien, de nombreuses photos… Et, après avoir parcouru ce dossier, on mesure toute la place et le rôle important de Tchamitchian dans le monde de la musique : inversement proportionnel à son humilité, ce qui caractérise souvent les plus grands.
Jazzaround est né quelques mois après le label éMouvance, en octobre 1995, et compte déjà deux décennies aussi, ce qui nous permet de publier ici la première chronique consacrée à un cédé du label éMouvance : Raymon Boni/Claude Tchamitchian “Ké Gats” (Jazzaround 06, septembre/octobre 1996). Une autre pour les premières palmes accordées à une production du label : “Attention Escalier” du guitariste Philippe Descheeper (Jazzaround 08, janvier 1997).
Et enfin, la chronique du premier album du Grand Lousadzak, “Bassma Suite”, l’aventure musicale la plus ambitieuse de la carrière de Claude Tchamitchian (Jazzaround 18, février 1999). Environ deux semaines après la sortie de ce numéro, je recevais une télécopie (l’ancêtre de nos courriels !) envoyée de Finlande, où Claude Tchamitchian était en tournée, pour saluer le travail du magazine.
Raymon Boni/Claude Tchamitchian, Ké Gats (émv 1002, 1996)
Boni est un guitariste qui n’a cure des modes, des tendances et du musicalement correct. La voix de Boni, c’est la voix intérieure, la plongée en grande profondeur, là où s’écoule l’essence de son ego. Ses accents manouches se traduisent par une grande assurance dans la frappe. Des airs de mistral sont égrénés à “tire doigts” et nous révèlent encore mieux un musicien sans toit ni loi. Tchamitchian est considéré comme le “Charlie Haden” français par Libération. Il frappe, caresse, glisse sur ses quatre cordes lancées contre l’écran sonore à dix cordes. Rencontre, dialogue, collision, harmonie, double monologue, autant de qualificatifs pour cette musique qui nous offre la vie avide, tout simplement.
(Philippe Schoonbrood)
Philippe Deschepper, Attention Escalier (émv 1004, 1996)
Premier album d’un des guitaristes les plus demandés de la scène des musiques actuelles. “Attention Escalier” est découpé en vingt-trois pièces indépendantes, en vingt-trois marches progressives. Cette musique remue, , caresse, agresse, envahit et séduit. La frappe rock sur la guitare électrique cède bientôt les bits aux doigtés façon Satie sur les six cordes acoustiques. Et même si la tendresse du terroir nous attend sous la forme du P’tit Quinquin, Deschepper garde le cap d’une modernité consacrée au progrès dans l’instrumentation. Un travail de mixage colossal avec parfois sept guitares sur la même plage, l’ajout d’incrustations d’enregistrements de discours, pour construire l’enchaînement. Deschepper livre ici une oeuvre musicale en plusieurs dimensions. Et sur scène, pour le plaisir des yeux aussi ! (Philippe Schoonbrood)
Claude Tchamitchian Grand Lousadzak, Bassma Suite (émv 1007, 1998)
Il fallait bien ce Grand Lousadzak, composé de quatorze musiciens qui comptent sur les scènes du jazz et des musiques improvisées. Quatorze maçons au service de l’écriture du grand architecte de ce “Bassma Suite”, Claude Tchamitchian. Désigné – stigmatisé ?- par la presse hexagonale comme le “Charlie Haden français”, il rejoint ici le Haden de la période Liberation Music Orchestra, sur le plan de la célébration de la vie, version prométhéenne. Cette musique tantôt grave et mélancolique, tantôt irruptive, dévalant comme une lave incandescente, emporte tous les neurones sur son passage. Dédié à la mémoire de Henri Bassmadjian, peintre et sculpteur arménien, cette suite traduit avec une pertinence insolente ce bref portrait de l’artiste : “Un bloc compact d’énergie, un appétit féroce de la vie, la rencontre, l’écoute, la sagesse, l’éphémère : tout Henri.” L’unicité de la musique de ce cédé doit tout à la richesse des individualités présentes, toutes au service d’une écriture. Tchamitchian semble traversé par des sonorités provenant des quatre points cardinaux, tel un dépositaire privilégié des musiques du monde. Pas de collages ici, encore moins de mosaïque, mais plutôt un travail par incrustation, destiné à relier plusieurs niveaux d’écriture. Ardente, impétueuse, explosive, la musique de ce “Bassma Suite” invite l’auditeur à l’abandon, pour mieux se laisser envahir et succomber au trop de vie.
(Philippe Schoonbrood)