Clemens Kuratle Ydivide : The Default

Clemens Kuratle Ydivide : The Default

Intakt

On avait découvert Clemens Kuratle au sein de l’excellent quartette de la harpiste suisse Julie Campiche. On l’a suivi ensuite avec son ensemble Murmullo (« Lies ») puis avec son quintette Ydivide et le très engagé album « Lumumba ». Il est vrai que le Bernois est de cette trempe de batteurs qui ont des choses à dire et à défendre. Mais ses compositions, qu’il tient à appeler « chansons », diffèrent peut-être de ce qu’un batteur pourrait faire. Ce qui compte chez Kuratle, c’est l’histoire musicale qu’elles contiennent. Inspiré des songwriter tels que Dylan, Tom Petty et surtout Wilco, Clemens Kuratle sait composer pour les musiciens avec qui il partage la scène et les idées. Il est allé pêcher à Londres l’excellente saxophoniste Dee Byrne (qui s’illustre souvent dans l’avant-garde, voire le free) ainsi que le multi-claviériste Elliot Galvin (qui collabore avec Shabaka Hutchings, Sebastian Rochford, Norma Winston et autres Binker Golding), avant d’aller à Dublin chercher le guitariste Chris Guilfoyle et dans les Alpes Suisses, le contrebassiste Lukas Traxel. Avec ce « The Default », Ydivide (prononcer « Why Divide », ce qui donne un indice sur « l’orientation jazz » défendue) veut éveiller les consciences sur les dérives politiques et environnementales que subit notre planète. Le titre éponyme se développe pourtant sans réelle rage, actant plutôt un constat au travers de dialogues enlevés entre sax et guitare. « Roy Wood Jr. », qui rend hommage à l’humoriste et polémiste américain, se balade, lui, mi-figue mi-raisin, sur un jazz folk, tandis que « For E.S. » introduit par la contrebasse chantante et en solo sur « Wilco Too », se prolonge en jazz blues tendance Americana. L’urgence et l’inquiétude surviennent plutôt dans l’intrigant et complexe « Hamster’s Wheel », tout en contrastes, nuances et en alternances d’accélérations, de névroses et d’apaisements. Les polyrythmies se croisent tout en maintenant une pulsation forte et entraînante. Et c’est dans le tendu « Deine Warme » que l’explosion se produit. Le sax crie et se débat sur un magma brûlant qui ne cesse de s’amplifier, attisé par une batterie erratique et une contrebasse mordante. « Highway » semble vouloir trouver une échappatoire en mode groovy et haletante qui met à nouveau en avant une interaction rythmique resserrée, avec éclats de guitare et envolées frénétiques de piano. En moins de quarante minutes – ce qui est loin d’être un défaut – Clemens Kuratle Ydivide confirme tout le talent et le potentiel d’un groupe sur lequel le jazz suisse, mais aussi international, doit compter. Excitant de bout en bout !

Jacques Prouvost