Concerts berlinois en trois voltes

Concerts berlinois en trois voltes

Brillant témoignage de concerts en public produits par le label munichois ACT Music, la série « Jazz at Berlin Philharmonic » fait immanquablement référence au JATP de Norman Granz, à la différence qu’ici, cette série s’attache principalement à célébrer des instruments (accordéon, piano, guitare, …), mais aussi des géants du jazz tels Monk avec « Pannonica », Esbjörn Svensson, ou encore des genres avec « Mediterraneo » ou « Celtic Roots ». Les deux derniers opus de la série, respectivement numérotés 12 et 13, sortent ces moments-ci et célèbrent deux géants du jazz disparus : Charles Mingus et Miles Davis.

Celebrating Mingus 100

A l’occasion du centenaire de la naissance de Mingus, ce concert du 13 avril 2022 rend hommage au contrebassiste à travers six de ses compositions parmi les plus connues. Neuf musiciens se retrouvent sur scène pour six thèmes, deux arrangés par le contrebassiste Georg Breinschmid – « Jelly Roll » et « Boogie Stop Shuffle » – quatre par le saxophoniste baryton Magnus Lindgren – « Fables of Faubus », « Goodbye Pork Pie Hat », « Self-Portrait in Three Colors » et « Better Git It in Your Soul » – le tout arrangé pour un nonet drivé par une rythmique américaine supérieure, soit Danny Grissett, pianiste attitré du Mingus Big Band et Gregory Hutchinson à la batterie. Si on est loin de la folie excentrique des performances de Mingus, le concert permet en tout cas de se rendre compte de la richesse des compositions du contrebassiste. Pas de travail façon workshop ici – quelques effets de growl, de voix, de changement de tempo exceptés – mais une lecture respectueuse de l’œuvre et un témoignage d’une soirée de haute tenue.

Magnus Lindgren / Georg Breinschmid
Celebrating Mingus 100
ACT Music / New arts international

Sketches of Miles

On ressort de l’écoute du volume 12 de la série avec ce même sentiment d’hommage superbement joué par des musiciens de haut vol, dans une atmosphère parfois trop respectueuse. C’est d’autant plus le cas pour ce « Sketches of Miles » – inutile de vous dire à qui on rend hommage – que le quartet de la première galette est emmené par un trompettiste dont tout le monde parle aujourd’hui, Theo Croker. Avec la rythmique déjà présente sur l’album « Mingus » – Grissett au piano, Hutchinson à la batterie. Deux thèmes de Miles, deux de Wayne Shorter et une reprise d’un des standards les plus joués « My Funny Valentine » donnent le ton d’un concert qui sera sans surprise, le fait que les quatre musiciens sur scène sont parmi les plus doués de ces dernières années ne représentant en rien une surprise. C’est évidemment très plaisant à écouter, très bien joué, mais… voilà le type de concert de gala qui a sûrement plu à un public policé, mais dont le supplément d’âme est absent. La seconde galette propose des versions de thèmes arrangés pour grande formation sur des albums de Miles : « Miles Ahead », « Sketches of Spain » et « Porgy and Bess » tous trois sous forme de suite, avant le final « All Blues ». Encore une fois du très bel ouvrage qui aura enchanté le public berlinois, mais qui, dans l’écoute de salon, donne envie de se repasser les originaux.

Theo Croker Quartet + Berliner Philharmoniker
Sketches of Miles
ACT Music / New arts international

Live at The Berliner Jazz Festival 1969-1973

Même salle mais quasi cinquante ans plus tôt, voici le Duke pour ce qui sera son dernier concert au Jazztage de Berlin. Nous sommes en novembre 1973 et Ellington se présente en sextet, une formule qui met en avant le piano et le sens de l’orchestration sur l’instrument du maître. Cinq minutes seul face à son piano pour une improvisation pleine de modernité en introduction, cinq minutes de tap dancing avec Baby Laurence en clôture, un aperçu de l’éventail stylistique du maître, avec aussi des grands classiques comme « Take the A Train » ou « Sophisticated Lady ».

L’orchestre du Duke est au grand complet en 1969 au même festival berlinois avec la crème des crèmes : Johnny Hodges, Paul Gonsalves, Harry Carney, Cat Anderson, Cootie Williams. L’enregistrement mono est d’une qualité irréprochable, marque de fabrique de ce label devenu incontournable dans la réédition parfaite de concerts passés. Les deux concerts mettent en évidence, s’il le fallait encore, la mise en place et la décontraction d’un des maîtres absolus de la musique du XXe siècle.

Duke Ellington
Live at The Berliner Jazz Festival 1969-1973
The Lost Recordings / New Arts International

Jean-Pierre Goffin