
Daniel Humair, Seasoning
Daniel Humair, Seasoning – Live at Theater Gütersloh
Gütersloh loves French jazzmen ! Mais quelle belle idée que cette série « live » dans ce qui apparait de plus en plus comme un lieu incontournable du jazz en Allemagne. Dixième galette et la troisième consacrée au jazz en France (même si Daniel Humair est suisse, il a vécu et vit toujours sa carrière en France). Après Michel Portal et Henri Texier, voici le batteur à la carrière impressionnante. Comme écrit dans les notes de pochette, Nat Hentoff parlait de Daniel Humair comme celui qui avait démonté l’idée qu’un batteur européen ne swinguait pas. Le batteur a été parmi les plus demandés par les musiciens américains en tournée en Europe et même dans leur formation fixe (pensez à Phil Woods et à son European Rhythm Machine) : Don Byas, Lee Konitz, Jim Hall, Eric Dolphy, Barney Kessel, Gerry Mulligan… font appel à lui alors qu’en France, il s’allie avec les boppers de l’époque René Urtreger et Pierre Michelot (HUM), puis Michel Portal, Jean-François Jenny-Clarke (dans le trio de Joachim Kühn) et aussi les Liégeois René Thomas et Jacques Pelzer. Sans doute Miles Davis et Sonny Rollins sont les seuls géants avec lesquels Daniel Humair n’aurait pas joué. Un des grands batteurs de jazz sans aucun doute, influencé au départ par Elvin Jones pour sa polyrythmie, ou Tony Williams pour la façon dont il fait chanter l’instrument, il a développé un style très personnel par la suite.
Alors quoi de plus normal que de le retrouver dans cette série des « European Jazz Legends » avec une formation inédite – du moins sur galette – composée de trois anciens élèves. Le contrebassiste Stéphane Kerecki est loin d’être un inconnu, lui qui s’est déjà révélé comme compositeur avec l’album « Houria » en 2008, puis surtout avec « Nouvelle Vague » accompagné d’Emile Parisien, Fabrice Moreau, Jeanne Added et le pianiste John Taylor, album récompensé en 2015 par l’Académie du Jazz. Le pianiste hongrois Emil Spanyi a déjà rencontré Daniel Humair et Stéphane Kerecki lors de concerts en trio, alors que le saxophoniste Vincent Lê Quang qui vient s’ajouter à la formation de ce concert au Theater Gütersloh, est lui aussi membre d’un trio avec Humair et Kerecki. Voici donc les trois côtés de deux triangles réunis dans un carré magique pour, comme le dit Daniel Humair, un concert où l’improvisation et donc l’écoute mutuelle est au centre des préoccupations. Un album-parcours aussi puisque en dehors de la composition collective « Ballad », les autres pièces pointent quelques compositions qui font partie du parcours du batteur : Arfia qui ouvre l’album est une ancienne composition de Jean-François Jeanneau sortie de l’album « Akagera » de 1980 avec Humair et Henri Texier. Ira, une belle mélodie légèrement dansante met en évidence le saxophoniste Vincent Lê Quang (on la retrouve sur un « live » en Suisse), alors que le complexe mais passionnant Huchedu a été enregistré en 1998 avec Bruno Chevillon, Michel Portal, Marc Ducret, Joachim Kühn… entre autres. Couscous Purée est une collaboration entre Humair et Jean-Philippe Muvien, un mix gastronomico-culturel qui mélange des accents arabisants au « jazzy French touch » (album « Trio Live » de 2005). Plus ancien, Genevamalgame réunissait sur l’album « Edges » de 1991 Jerry Bergonzi, Miroslav Vitous et Aydin Esen. Enfin Mutinerie, une composition de Michel Portal, date de 1998 et de l’album « Dockings » : Daniel Humair la définit comme complexe, mais amusante, deux adjectifs qui collent parfaitement à l’ensemble des pièces jouées sur ce très bel album de la série allemande. Et puis, originalité de la série, il y a l’interview : celle du batteur est pleine de sagesse, d’humilité, d’humour et de justesse quand il s’agit de parler de jazz. A écouter jusqu’au bout.
Jean-Pierre Goffin
Et un bonus des archives de l’Institut National de l’Audiovisuel