David Chevallier, Is That Pop Music ?

David Chevallier, Is That Pop Music ?

David Chevallier featuring David Linx, Is that pop music ?

(Cristal Records – Harmonia Mundi)

WWW.CRISTALRECORDS.COM

Chronique et interview autour d’un nouvel album et de quelques autres.

En Belgique, on connaît surtout David Chevallier comme guitariste du trio de Laurent Dehors (albums “Idée fixe” et “En attendant Marcel”) et du tentet Tous Dehors (“Dans la rue”, “Dentiste”, “Tu tousses?”, en compagnie de nos compatriotes Michel Massot et Michel Debrulle). Mais il fait aussi partie du Jazz Ensemble de Patrice Caratini (“Darling Nellie Gray”, “Latinidad”) et compte plusieurs albums personnels consacrés à des compositions originales (“Migrations”, “Music Is A Noisy Business”, “Pyromanes”, “The Rest Is Silence”) avec de fidèles partenaires comme Yves Robert (trombone) ou notre compatriote Michel Massot (tuba). Pour “Gesualdo Variations”, il était, par contre, parti de madrigaux baroques de Carlo Gesualdo (un compositeur de la fin 16e – début 17e siècle qui a aussi inspiré le saxophoniste italien Tino Tracanna ou encore le guitariste Noël Akchoté). Avec ce “Is That Pop Music ?”, le guitariste français s’attaque au répertoire pop-rock des années 1960 aux années 1990 : C’était pour moi un peu la suite logique de mon album précédent, “Gesualdo Variations”, qui était consacré à des madrigaux italiens de la fin de la Renaissance. Ils ne sont pas très connus par le grand public mais plutôt par des spécialistes. Ce sont des pièces que j’avais transformées assez considérablement et j’ai trouvé que cela serait intéressant de travailler de la même manière mais à partir de chansons qui, au contraire des madrigaux de Gesualdo, sont connues par un très grand nombre de personnes. Au départ, la base du projet était était de transformmer des mélodies que les gens ont déjà dans l’oreille, dans le but de voir comment ils allaient réagir face à ces transformations. En parallèle à cette idée, il y avait un projet que j’avais depuis de nombreuses années: travailler avec David Linx.


Comment David Chevallier a-t-il choisi ce répertoire pop-rock ? : D’une part, j’ai choisi des chansons que je connaissais bien comme celles des Beatles, de Police ou de Talking Heads, d’autre part, certaines m’ont été suggérées par David, comme les titres de U2 et de Jeff Buckley. Nous avons donc choisi le répertoire ensemble.

D’autres musiciens de jazz s’étaient attaqué à ce répertoire avant lui, soit avec l’intention de suivre au plus près les mélodies de départ, comme ce fut plusieurs fois le cas avec les chansons des Beatles, que ce soit le pianiste allemand Klaus Ignatzek (“Plays the Beatles Songs”) ou Phil Abraham avec “Jazz Me Do”, soit avec le désir de s’approprier l’oeuvre initiale avec une approche plus libertaire (“Around Robert Wyatt” de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Daniel Yvinek). David Chevallier est lui animé par une volonté de trouver un “juste milieu” : Un point essentiel, pour moi: l’équilibre. Si l’on ne travaille pas assez en profondeur, de peur de trahir les pièces originales, on ne peut laisser sa propre personnalité s’exprimer. A contrario, si l’on s’éloigne excessivement du sujet de départ, on risque de le rendre anecdotique. Il me tient à coeur de trouver le juste milieu, qui affirmera mon style personnel et permettra à l’auditeur de reconnaître plus ou moins rapidement l’oeuvre initiale.

 

David Chevallier (c) Cecile Lenoir

Au départ, le projet est coproduit, en 2011, par l’ARC de Rezé (festival “Un plateau pour la voix”) et les Rencontres D’Jazz de Nevers qui, sous la houlette de Roger Fontanelle, est l’un des festivals les plus innovants de France, l’un des rares à programmer régulièrement des groupes belges (cette année, Rêve d’Eléphant Orchestra et le spectacle An Old Monk avec le comédien Josse De Pauw et le trio de Kris Defoort). Mais il a fallu attendre cet automne pour que le projet débouche sur cet album édité par Cristal Records, comprenant dix grands classiques de la sphère pop-rock : deux titres de Lennon et Mc Cartney des années 1960 (Come Together, She Said), le classique Message In A Bottle de Sting (Police 1979), Sowing The Seeds Of Love de Roland Orzabal (du groupe Tears for Fears), Once In A Lifetime de David Byrne et et Brian Eno (de Talking Heads), deux titres de Bono (Misterious Ways et Love Is Blindness de U2, 1991), Ordinary World de Simon Le Bon (Duran Duran, 1993) et Dream Brother de Jeff Buckley de l’album Grace de 1994 et, enfin, le traditionnel O Come Emmanuel, une mélodie reprise notamment par la chanteuse irlandaise Enya. Pour travailler ce répertoire, David Chevallier a fait appel à de fortes personnalités de la scène française : Yves Robert, tromboniste qu’on a entendu aux côtés de Michel Portal, Louis Sclavis ou Henri Texier et qui a participé aux premiers albums du guitariste; Christophe Monniot, saxophoniste révélé, comme lui, au sein de Tous Dehors et qui a côtoyé les plus grands (Joachim Kuhn, Daniel Humair, Stéphane Oliva)ou Denis Charolles, batteur iconoclaste de Tous Dehors et des Musique à Ouïr : Yves Robert était présent dès mon premier disque, “Migrations” en 1992, avec Laurent Dehors, Daniel Humair et François Moutin : c’est une longue histoire. Christophe Monniot et Denis Charolles sont des gens que j’ai rencontrés notamment dans les formations de Laurent Dehors. Je ne travaille plus avec Laurent mais je continue à collaborer avec Christophe et Denis. J’avais besoin de musiciens à forte personnalité, cela apporte un supplément d’intérêt au projet. J’aime bien écrire la musique et réunir des gens qui me paraissent intéressants et dont l’inventivité comme l’originalité peuvent s’exprimer pleinement dans les projets que je monte. C’est un plus d’avoir des partenaires à forte personnalité. C’est aussi le cas de Michel Massot qui a créé le répertoire et qui a fait la première série de concerts. Il avait déjà participé à mes albums précédents, “Pyromanes” en 2003 et “The Rest Is Silence” en 2005. Malheureusement, au moment de l’enregistrement, c’est devenu compliqué parce que Michel est très pris : son calendrier n’était pas compatible avec le nôtre (il était alors en Afrique, ndlr). J’ai donc dû le remplacer, au saxophone basse, par Gérald Chevillon (un musicien qui a fait partie des dernières équipes de Tous Dehors, notamment pour l’album “Happy Birthday”). Le son du groupe est un peu changé mais c’est intéressant.  Un saxophone basse à la place d’un tuba, c’est autre chose mais cela me plaît beaucoup aussi.

David Linx


Mais l’idée la plus originale de David Chevallier est d’accorder une place primordiale à la voix, là où tant d’autres ont choisi de donner une version purement instrumentale de ces chansons : C’était important dans le projet. Cela fait plusieurs années que je mène un travail sur la voix que ce soit avec Elise Caron pour “The Rest Is Silence” ou l’Ensemble A Sei Voci pour “Gesualdo Variations”. Là, cela m’aurait paru saugrenu d’aborder ce répertoire, ces chansons, sans y intégrer la voix.


Restait à trouver la bonne personne:  un pari risqué parce qu’il s’agissait de trouver une forte personnalité capable de s’approprier ce répertoire sans copier le modèle de départ. En portant son choix sur notre compatriote David Linx, le Français a opéré un choix particulièrement judicieux : David ne s’était-il pas déjà confronté au mythique Roxanne de Sting pour l’album “Moon To Your Sun”, en 1991, en compagnie du KD Basement Party, le nonet de Kris Defoort ?  David et moi, nous nous étions rencontrés il y a longtemps, quand Michel Debrulle que j’avais croisé au sein de Tous Dehors, m’a demandé de remplacer Pierre van Dormael au sein de la Grande Formation pour une série de concerts. (David Linx a rejoint la Grande Formation à l’époque du second répertoire “Galilée” gravé en 1993 pour Carbon 7). C’est à cette occasion que j’ai rencontré David pour la première fois. A cette époque, il n’était pas encore connu en France, il n’avait pas encore fait la carrière qu’il a poursuivie depuis. J’avais beaucoup aimé son timbre de voix, sa façon de se placer rythmiquement, sa maîtrise de la langue anglaise. On est resté vaguement en contact et j’avais toujours gardé en idée de construire un projet ensemble. Ce répertoire pop-rock était l’occasion idéale de concrétiser cette envie.

Dans une interview accordée à Jazzaround en 1997, le guitariste Claude Barthélemy, par deux fois directeur de l’ONJ, avouait trouver l’association D. Linx – D. Wissels parfois trop sage à ses yeux : qu’il écoute donc ce “Is That Pop Music?”, il sera convaincu de la large palette vocale de David. On retrouve ici tout ce qui fait sa personnalité exceptionnelle : son timbre de voix si particulier, son sens du rythme (Message In A Bottle) comme de la mélodie (Dream Brother), sa capacité, à travers scat et vocalises, à utiliser la voix comme un instrument (Sowing The Seeds Of Love) et à slammer un texte autant qu’à le chanter (Once In A Lifetime). Si la performance vocale est aussi évidente, c’est aussi que David est entouré par une équipe qui le stimule. David Chevallier est, évidemment, omniprésent, tantôt à la guitare acoustique (Dream Brother, She said), tantôt au banjo (Ordinary World) et, le plus souvent, à la guitare électrique, pour créer un dialogue très intimiste avec la voix (O Come Emmanuel), installer une atmosphère très bluesy (Love Is Blindness) ou s’envoler dans des improvisations avec d’étonnants effets de distorsion (Message In A Bottle, Once In A Lifetime). Christophe Monniot passe allègrement du saxophone alto (Dream Brother, She Said) au sopranino (Ordinary World) avec la même puissance incisive, à la recherche de sonorités nouvelles  (un saxophone joué sans bec ?) comme dans l’intro très free de Once In A Lifetime. Il prouve ici, comme il l’a fait devant le public de Jazz Brugge, au sein de son quartet avec Joachim Kühn comme dans son projet Vivaldi Universel Saison 5, qu’il est l’un des meilleurs saxophonistes européens actuels. Yves Robert, constamment à l’affût, apporte un dynamique contrechant aux deux autres souffleurs, comme dans l’intro à troix voix de She Said. Gérald Chevillon, au saxophone basse, ne se limite pas à une simple ponctuation rythmique, comme le ferait une guitare basse ou un tuba, il dialogue avec l’alto et le trombone et peut très bien s’octroyer un solo (Misterious Ways). Enfin, Denis Charolles vient bousculer tout cet édifice de son drive décalé. Avec le son sec de sa caisse claire, sa grosse caisse à la peau distendue (Love Is Blindness) ou avec ses cymbales déformées (Message In A Bottle), il impulse à la formation sa riche trame rythmique. “Is That Pop Music ?”, à chacun sa réponse, une chose est sûre : cette musique tonique vous procure un fameux coup de fouet. Avis aux programmateurs belges…
Claude Loxhay