David Linx, Skin in the Game
Lorsqu’on jette un coup d’œil sur la production discographique de David Linx, soit une trentaine d’albums, on s’aperçoit qu’il a toujours su s’entourer. Pour « A Lover’s Question », en hommage à l’écrivain noir américain James Baldwin, avec Pierre Van Dormael, il a côtoyé Steve Coleman, Deborah Brown, Byard Lancaster et Toots Thielemans. Durant une vingtaine d’années, en binôme avec Diederik Wissels, il a croisé Fabrizio Cassol, Paolo Fresu, Maria Joao, Marc Ducret, Jacques Schwarz-Bart ou Manu Codjia. Avec le Brussels Jazz Orchestra, de « Changing Faces » à « A Different Progy And Another Bess », il a croisé Natalie Dessay, Ivan Lins, Maria Joao ou Mario Laginha. Avec Laurent Cugny, il a enregistré la « Tectonique Des Nuages ». Avec David Chevallier et Christophe Monniot, il a revisité les grands succès du pop-rock (Is That Pop Music ? »). Avec André Ceccarelli, il a rendu hommage à Nougaro puis enregistré « 7000 Miles ». Il a croisé Rhoda Scott comme Michel Hatzigeorgiou. A ses débuts, il s’était rêvé batteur, recevant des leçons de Kenny Clarke, ce qui explique sans doute son sens inné du rythme. Il a aussi révolutionné le chant, utilisant la voix comme un instrument à part entière. Il a toujours aussi aimé se confronter à d’autres voix : la Portugaise Maria Joao (« Follow The Songlines »), la néerlandaise Fay Claassen et l’Italienne Maria Pia De Vito (« One Heart, Three Voices »), le Brésilien Ivan Lins et la chanteuse lyrique Natalie Dessay (« Changing Faces »).
Ici encore, il a su s’entourer d’une équipe talentueuse. Au piano, Grégory Privat, musicien d’origine martiniquaise qui, après un passage au sein du groupe antillais Malavoi, s’est installé à Paris, croisant Stéphane Belmondo, Jacques Schwartz-Bart, le percussionniste Sonny Troupé ou l’harmoniciste Olivier Ker Ourio (album « A Singular Insularity »). A son nom, il a enregistré « Ki Kolé » en 2011, « Tales Of Cyparis » en 2013 (avec Manu Codjia), « Luminescence » en 2015 (avec Sonny Troupé) et en 2016 « Family Tree » (avec Linley Marthe). A la contrebasse, le Canadien Chris Jennings qui a étudié à Banff puis à La Haye. Etabli à Paris, il a croisé Dhafer Youssef, Nguyen Lê, Rita Marcotulli et Joachim Kühn. Il a aussi formé un trio avec Pierre Perchaud (guitare) et Leon Parker (batterie). A la batterie, Arnaud Dolmen, originaire de la Guadeloupe qui lui a fait découvrir le tambour Ka, cher à la musique gwoka. Il croise Grégory Privat sur « A Singular Insularity » d’Olivier Ker Ourio, Il a enregistré, à son nom, « Tonbé Lévé », avec Lionel Loueke. A la guitare, sur 5 plages, Manu Codjia qui a croisé la crème du jazz français : Henri Texier, Daniel Humair, Erik Truffaz, Gueorgui Kornazov ou Mathieu Donarier. Au « spoken word », sur deux plages, le poète et slameur américain Marlon Moore qui a déjà collaboré avec André Ceccarelli ou Thierry Lang et participé au projet « A Nougaro » à la convention sur James Baldwin à Paris.
On le voit, d’étonnantes interconnections avec David Linx. Au répertoire de « Skin In The Game », onze textes de David Linx, sept paroles et musique, Here I Can See sur une musique de Grégory Privat, Night Wind sur une musique de Thierry Lang, In The End Of An Idea signé Mario Laginha et A Fool’s Paradise composé par Sylvain Beuf. Tout au long de ces onze plages, on retrouve ce phrasé si particulier, si personnel comme ce sens aigu du rythme, que ce soit sur tempo très rapide (« Azadi », « Here I Can See » ou « Walkaway Dreams ») ou sur des ballades aux accents mélancoliques (« Changed On Every Way », avec beau solo de guitare, « Prophet Birds »). Une totale maîtrise du chant comme de ce traitement original du scat et de la vocalise qui est utilisé comme un instrument à part entière. Sur « Skin In The Game » (avec effets de « chœur ») et sur « Night Wind », les spoken word de Marlon Moore apportent un intéressant contraste avec le chant. La rythmique omniprésente galvanise le chant et la guitare de Manu Codjia apporte des colorations ondoyantes supplémentaires. Par ailleurs, David Linx renoue avec cette volonté d’engagement social qui animait « A Lover’s Question ». L’ombre de James Baldwin plane sur « Azadi » (« liberté » en persan) qui est dédié à la nièce de Baldwin, tandis que « Prophet Birds » est dédié à la romancière américaine Toni Morrison, prix Nobel en 1993 célèbre elle aussi pour ses engagements à la cause noire. Un tout grand album de David Linx qui met ici « sa peau en jeu ».
Claude Loxhay