Eclectic Maybe Band : Les sept vies de Guy Segers
Pour la sortie du troisième album de son groupe, j’ai pensé qu’un petit retour sur la carrière et l’actualité du compositeur / bassiste bruxellois s’imposait. En voici un bref condensé historique.
Après avoir fait ses armes sur la scène bruxelloise au début des seventies, c’est comme membre d’Univers Zero, une formation de jazz-rock progressif expérimental, qu’il va se faire connaître. Il la quittera après de nombreuses années et intégrera des groupes tels que Present, Art Zoyd ou X-Legged Sally. Il fera aussi partie du réputé Rock In Opposition, ce festival créé par le batteur de Henry Cow, Chris Cutler, qui voulait promouvoir tous ces artistes refusés par les gros labels parce que trop intransigeants et hors des normes. En 1992, il fonde le label Carbon 7 avec un autre musicien, Alan Ward. Ce seront plus de 80 albums qui verront le jour avant la cessation de l’activité. En 2016, il fonde un nouveau groupe, l’Eclectic Maybe Band, avec la pianiste Catherine Smet, le guitariste Michel Delville et le batteur Dirk Wachtelaer. Musiciens toujours actifs sur ce troisième opus.
Le titre du cd « Again Alors ? » c’est un peu comme dire « ça vous dérange pas qu‘on en fasse un de plus ? »
Guy Segers : En général les titres, je les invente avec un minimum de direction. Tout le monde est libre de s’imaginer ce qu’il veut. Comme tu l’as fait. Le prochain risque par contre d’être bien spécifique.
Les précédents avaient aussi des titres énigmatiques…
G.S. : Oui, c’était aussi le cas des deux premiers. Je les inventés un peu comme l’inspiration me venait, un peu surréaliste, à la Belge…
Le nom du groupe fait référence à « Electric Ladyland » l’album mythique de Jimi Hendrix. J’ai lu que tu aurais aimé jouer avec lui…
G.S. : Bien sûr, n’importe qui aurait aimé jouer avec Hendrix ! Mais c’est vrai qu’il y a une connotation phonétique voulue avec cet album et en même temps, notre nom définit bien le projet qui part dans tous les sens, l’éclectisme. Puis c’est un groupe sans être un groupe. Donc c’est peut-être un groupe ! (rires)
«Au départ, c’est un projet collectif, mais comme d’habitude, il y a quelqu’un qui tire tout le reste… Et ce fut souvent mon rôle.»
Disons que le groupe, c’est toi ! (rires)
G.S. : Au départ, c’est un projet collectif mais apparemment et comme d’habitude, il y a quelqu’un qui tire tout le reste. Et souvent ce fut mon rôle. Donc d’office, les autres disparaissent un peu et me laissent faire.
Et il y a des musiciens différents sur chaque titre…
G.S. : Maintenant, je n’écris plus en fonction des musiciens. J’écris en fonction « de ce que j’entends » et ensuite je contacte les musiciens qui correspondent à cela. Du moins pour ce qui implique la musique écrite. Pour les improvisations c’est tout différent.
Pour les compositions écrites, chaque musicien reçoit sa partition, l’enregistre et te transmet la musique ?
G.S. : Oui, comme moi, qui travaille à la maison. Ceux qui sont pourvus du même matériel que le mien, qui ont le même programme, connaissent cette façon de travailler. On échange de cette manière. Ce qui est fantastique et était inimaginable dans le passé.
Tu dis que tu écris la musique mais tu es autodidacte…
G.S. : Oui, tout à fait. J’ai appris à l’écrire très lentement dès 1970 ! Par après ce fut encore plus nécessaire de le faire car l’écriture me servait d’aide-mémoire. Cela fait des dizaines d’années que je n’ai plus joué un morceau d’Univers Zero mais il suffit que je retrouve la partition et je peux rejouer exactement la même chose.
Univers Zero c’est complètement fini ?
G.S. : Apparemment oui, mais je ne sais pas vraiment. Je n’ai plus de contact avec Daniel Denis (le batteur co- fondateur du groupe en 1974 – NDLR) et j’ai quitté le groupe dans les années 80.
«J’ai joué mon premier morceau de jazz en 1971… Du Coltrane ! Au niveau belge, c’était un peu précurseur. (rires)»
Toi qui ne les as pas fréquentées, quel est ton avis sur les écoles de jazz ?
G.S. : Je connais presque tous les musiciens qui enseignent le jazz. Mais moi, je me suis mis à jouer du « plus ou moins jazz » tardivement, même si j’en ai écouté très jeune. J’ai joué mon premier morceau de jazz en 1971, c’était du Coltrane ! Au niveau belge c’était un peu précurseur ! (rires) Mais je n’ai jamais adhéré à toutes ces écoles. Je pense qu’elles nuisent à la personnalité des gens.
Revenons au cd. Il est fait de compositions et d’improvisations. J’avoue que j’ai un peu de mal avec les improvisations mais j’adore les compositions… Et je me demande : quand décide-t-on qu’une impro est bonne et qu’on peut la mettre sur le cd ?
G.S. : Les deux fonctionnent différemment. Je choisis les musiciens pour une séance en studio et dans ce système de choix il y a toujours un élément que personne ne connaît. On commence à jouer et il n’y a rien d’expliqué à l’avance. On joue une bonne partie de la journée avec quelques pauses. Je reprends l’enregistrement à la maison et je recombine ! Il y a parfois des choses « accidentelles » mais je garde le son tel quel, je n’efface rien, je re-travaille juste un peu. Je ne me dis pas qu’un moment est mieux qu’un autre, c’est juste toujours différent. Je ne sais pas où on va mais on y va ! (rires). J’imagine bien que certaines personnes ont plus de difficultés avec ces impros. Mais pour moi qui suis dans la musique depuis si longtemps, je trouve les improvisations très intéressantes. Elles font partie de ma réflexion. Je suis certain qu’il y a des gens qui n’aiment pas les compositions et préfèrent écouter des impros. Je mélange les deux. Mais le panel musical est très large et même s’il n’y a qu’un titre qui plaît à une personne, c’est déjà gagné ! Avec le temps peut-être qu’elle va plus s’intéresser aux autres titres et les découvrir.
Dans le morceau « A Beast Trophy » ta basse sonne vraiment très grave, proche du trombone…
G.S. : Sur ce titre, il y a aussi un sax baryton qui double parfois la basse. Elle a un son bien spécifique mais je la fais sonner de façon différente sur chaque morceau.
Deux chanteuses sont invitées et leurs voix sont remarquablement originales…
G.S. : Carla Diratz, je l’ai connue via le saxophoniste américain Dave Newhouse (présent aussi sur ce cd – NDLR). Ils ont fait un disque ensemble et c’est à ce moment-là que l’ai découverte. Je l’ai contactée quand elle est venue à Paris pour qu’elle fasse son enregistrement. Quant à Cathryn Robson, j’avais produit un disque formidable d’elle et de sa sœur jumelle sur Carbon 7. Le groupe s’appelait Sirens Circus. Nous sommes toujours restés en contact, d’où sa présence.
Et Kazuyuki Kishino ?
G.S. : Lui, je l’ai découvert grâce au Magasin 4, un endroit que j’ai beaucoup fréquenté. Eric Lemaître, le boss du club, avait programmé de nombreux groupes japonais et parmi eux il y avait Zeni Geva. J’ai vraiment flashé sur eux, c’était très violent. Puis je les ai fait jouer dans cette même salle avec Aka Moon et c’est le meilleur concert d’Aka Moon que j’ai vu. Après avoir vu Zeni Geva, ils ont aussi mis la gomme ! (rires). Et là après ce concert j’ai jammé avec lui et nous sommes restés en contact. Puis il changé de style, il n’a plus joué de la guitare et a fait DJ… mais un truc énorme, un mur du son. Il se produit désormais sous le nom de K.K. Null. C’est du Zeni Geva électronique ! (rires)
Et il joue de la « ghost machine » sur « Atomos Keyhole »… Qu’est-ce au juste ?
G.S. : Ce sont des effets. Il fait tout sur des platines. Des trucs très électroniques, très violents. Comme seuls les japonais peuvent le faire ! (rires)
Pierre Vervloesem est aussi impliqué sur ce cd via le mastering. Une connaissance du temps où vous jouiez dans X-Legged Sally ?
G.S. : Non, Pierre je le connaissais déjà avant. Et après ce groupe, il a publié cinq disques sur Carbon 7. Entretemps j’ai appris qu’il faisait du très bon mastering à la maison. Donc j’ai switché vers lui.
«S’il y a des propositions de concerts, on les fait. L’organisateur peut donner une date et un prix et les musiciens qui sont libres viendront jouer.»
Tu penses donner des concerts et si oui, avec quels musiciens ?
G.S. : Moins. Toute ma carrière je me suis retrouvé comme le gentil organisateur. Ça suffit, je suis pensionné (et là il va m’expliquer toutes les difficultés éprouvées pour justifier le droit à la pension, toutes les démarches / paperasses en Belgique et en France, la complexité du fonctionnement de la Sabam, d’Arts et Vie – hélas trop long à retranscrire mais édifiant quant au statut parfois kafkaïen du musicien en Belgique francophone ! – NDLR). Je n’ai plus envie de faire toutes ces démarches pour trouver des concerts. Et vendre son propre groupe pour trouver des dates, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Je l’ai fait pour les artistes de Carbon 7 et cela fonctionnait bien mais là, je ne vendais pas mon groupe. Avec Eclectic Maybe Band nous avons joué à l’Archiduc à Bruxelles et s’il y a des propositions de concerts, on les fait. L’organisateur peut donner une date et un prix et les musiciens qui sont libres viendront jouer, même gratuitement sauf les frais de déplacement bien sûr.
Dans ce cas ce serait uniquement des improvisations ?
G.S. : Oui mais il y aurait certainement quelques idées fournies pour tenir plus ou moins une ligne, mais pas vraiment des morceaux.
Pour rester dans l’univers des concerts, tu as aussi joué avec Albert Mangelsdorf…
G.S. : Oui et avec toute une bande de musiciens dans un festival organisé par Fred Van Hove. C’étaient des workshops et ce fut fantastique de se retrouver juste à côté de Mangelsdorf. Quels dialogues entre son trombone et ma basse !
Il y a aussi eu Gong et les Allemands de Guru Guru parmi tes collaborations…
G.S. : Non, pas dans Gong qui était avant tout le groupe Daevid Allen. Moi j’ai joué dans Acid Mothers Temple qui comprenait le guitariste japonais de Gong (le groupe s’est aussi produit sous le nom d’Acid Mothers Gong – NDLR). Quand à Guru Guru j’avais formé un groupe avec deux des membres fondateurs : le batteur Mani Neumeier et le guitariste Ax Genrich. Nous reprenions des anciens morceaux de Guru Guru mais nous avions aussi quelques nouvelles compositions. Donc nous avons fait un album. C’était une des rares fois où j’étais le plus jeune dans le groupe ! (rires)
Tu es aussi très actif sur le net. Tu publies aussi bien des choses récentes que des archives rares…
G.S. : Il y a deux choses : de la musique à faire découvrir de ma propre collection et ensuite de la musique nouvelle. Au départ j’avais 900 cassettes avec des enregistrements dans tous les sens. Donc je recopie petit à petit ces anciens concerts et je les publie. Mais j’ai aussi mon bandcamp où je continue à vendre la collection de Carbon 7 et toutes les productions sur lesquelles je joue.
«La politique culturelle en Belgique est misérable, risible au niveau du soutien aux artistes.»
Quelles sont tes plus grandes satisfactions musicales ?
G.S. : C’est avant tout d’avoir eu la chance de jouer avec tellement de bons musiciens. Pour un petit musicien belge c’est formidable d’avoir connu toutes ces personnes. J’ai un beau catalogue ! (rires) C’est une fierté personnelle qui ne m’apporte que des plaisirs. J’ai aussi réalisé que la collection de bons batteurs avec qui j’ai joué était énorme. Les meilleurs de la planète : Daniel Denis, Dirk Wachtelaer (présent sur le cd – NDLR), Chris Cutler (Henry Cow), Charles Hayward (This Heat) et le suédois Morgen Agren. Certainement le meilleur au monde. Il a intégré King Crimson et a appris le répertoire des concerts en une semaine ! Il a aussi joué dans la dernière formation de Zappa ainsi que sur un album de Magma pour remplacer Christian Vander qui chantait. Plus récemment j’ai travaillé avec Sean Rickman qui est le batteur de Steve Coleman et qui joue aussi dans le tribute de Miles Davis avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Marcus Miller, …
A l’opposé, ta ou tes plus grandes déceptions ?
G.S. : C’est surtout au niveau de l’Etat belge que je suis déçu ! La politique culturelle ici est misérable. Risible au niveau du soutien aux artistes et des subsides. Et toutes ces inepties au niveau de la Sabam. A cause d’elle nous avons dû arrêter notre label ! Quand je pense que j’avais une situation proche de celle de Bill Laswell ! Mais lui il est américain, alors les portes s’ouvrent ! J’ai fait le tour du monde avec Univers Zero, mais nulle part la situation n’est aussi pénible qu’en Belgique au niveau du soutien de la presse, de la radio, de la télé, des pouvoirs publics !
Merci à Guy pour les photos pêchées dans sa collection…
Eclectic Maybe Band
Again alors ?
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