Emel Mathlouthi, Ensen

Emel Mathlouthi, Ensen

Emel Mathlouthi, Ensen

PARTISAN RECORDS

La révolution tunisienne (que certains acteurs rechignent à appeler « de jasmin ») prend naissance le 17 décembre 2010. Ce jour là, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de fruits et légumes s’immole par le feu après que la police lui ait confisqué sa marchandise pour de sombres raisons d’autorisations administratives. En vérité, le peuple est à bout. Particulièrement les jeunes, dont le diplôme ne les dispense pas d’entretenir les longues files du chômage. Le sacrifice cruel perpétré par l’un des leurs sera l’élément déclencheur d’un mouvement populaire pacifiste, mais déterminé, qui conduira, dans un premier temps, à l’exil du Président Ben Ali vers l’Arabie Saoudite, puis, dans un second temps, à la naissance d’un mouvement étendu, connu sous le nom de « Printemps arabe ».

Lors d’un rassemblement de contestation à Tunis, une jeune femme en manteau rouge entame un chant a capella au milieu de la foule. Cette chanson, Emel Mathlouthi (puisqu’il s’agit d’elle) l’a composée quelques années plus tôt. Kelmti Horra (que l’on pourrait traduire par « Ma parole est libre ») est devenue une chanson symbolique, que son auteure a même eu le privilège de chanter à l’occasion de la cérémonie de remise du Prix Nobel de la Paix en 2015…

Ce long détour par l’Histoire nous permet aujourd’hui d’aborder la musique de cette (encore) jeune chanteuse sous un angle élargi. Chez cette égérie de la révolution, dorénavant installée à New York, l’Art et la politique sont indissociables, même si le discours contestataire ne peut occulter les qualités émotives de l’artiste.

« Ensen » (« Humain »), son second album majoritairement chanté en arabe, est un disque indomptable et fondamentalement libre, à l’image de sa conceptrice. Plutôt d’obédience electro (on note la participation active du producteur de Björk et de Sigur Ros, Valgeir Sigurosson), cet album réserve toutefois un espace important d’expression au zukra (une flûte tunisienne), au gumbri (une sorte de luth à trois cordes) ou aux bendirs. La chanson « Layem », pour laquelle le tribal, la tradition et l’avant-garde électronique se côtoient de façon harmonieuse, en symbolise le parangon accompli. Cet album « tripes hop » échappe donc aux classements de genres, tant les mixités occident/orient et tradition/modernité sont surprenantes, voire envoûtantes (« Lost ») ! A notre connaissance peu d’artistes s’y sont osés. Le duo Dead Can Dance avait, dans un passé déjà lointain, été un des rares groupes à atteindre un tel degré de plénitude… De Emel Mathlouthi, on retiendra enfin une voix, reflétant la personnalité d’une chanteuse généreuse et énergique, qui ne souhaite pas se contenter d’un rôle de porte étendard.

Joseph « YT » Boulier

 

Emel Mathlouthi vous donne rendez-vous au Reflektor de Liège, le vendredi 27 octobre, en compagnie de Zoë Mc Pherson, dans le cadre du festival « Voix de Femmes ». Agenda complet ICI