Eosine : Elena & les garçons

Eosine : Elena & les garçons

Mise en garde préliminaire : cette interview a été réalisée à la sortie de l’EP « Liminal » en octobre 2024, et elle en décrit bien la dynamique qui habite le groupe. Cependant, une annonce faite par Elena Lacroix, leader du groupe, sur les réseaux sociaux, laisse entrevoir l’arrivée de nouvelles choses, de changements qui vont survenir au sein d’Eosine. Nous ne manquerons pas de partager toute information qui ne peut, selon nous, que présager de grandes choses à venir. (NDLR)

Elena Lacroix © Quentin Perot

Lors de leur Release Party au Botanique à l’occasion de la sortie de leur E.P. « Liminal », nous sommes allés à la rencontre du groupe. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que nous les interviewons, mais cette sortie marque la toute jeune carrière du groupe liégeois d’une pierre blanche. Un virage plus qu’un simple tournant, tant il est exécuté avec vigueur et détermination. L’écoute de cette galette vous prouvera que la fougue de la jeunesse laisse déjà place à une force plus maîtrisée, plus assurée.

Maintenant que toute l’effervescence de cette sortie est retombée, hors de la cohue, il est temps de vous livrer cette entrevue amicale et détendue pour, si ce n’est déjà fait, de vous convaincre de prêter une oreille au tout dernier EP de Eosine « Liminal ».

«La musique qui me touche au plus profond est très calme, mais avec quelque chose d’écorché»

Bonjour Elena, Bonjour à tous !

Elena Lacroix : Bonjour Quentin !

Tout d’abord, félicitations pour la sortie de votre tout premier EP au format vinyle. Ça se fête ! Et quoi de mieux qu’une release party au Botanique pour marquer le coup. Retour en arrière. 2020 au centre Culturel de Huy pour les Fêtes de la FWB organisées par l’Atelier Rock de Huy pendant une période difficile, au sortir des confinements. Pat [St Rem], le programmateur annonce The K., Alain Pire Experience, et un petit groupe alors inconnu du grand public. Eosine. Sauf que moi, je le connais. Enfin, je connais le papa de la chanteuse et je suis impatient de voir ce que ce tout jeune groupe a à mettre dans nos oreilles. Et c’est là qu’on se fait tous surprendre par un univers musical particulièrement inspiré. Il faut avouer que… Pat l’avait dit, bordel ! [running gag de Pat sur Facebook]

E.L. : C’est intéressant de reparler de ce qui s’est passé en 2020, de notre univers musical et de là d’où on vient, parce que notre univers musical, tant dans ce qu’on écoute que dans ce qu’on retranscrit dans nos compositions, a changé assez radicalement. Au départ, forcément, mes parents m’ont fait écouter beaucoup de shoegaze et de dream-pop (Comme c’est étonnant ! NDLR) et j’ai trouvé une musique à travers laquelle je peux m’exprimer parce que tu n’as pas besoin d’avoir spécialement une technique. Tu arrives à faire passer énormément d’émotions sans aucune technique, par contre, ça prend beaucoup plus d’ampleur que des gens qui ont plein de technique et qui en font des tonnes. Il y avait donc ce contraste-là qui était intéressant et le principe même du shoegaze m’a aidé à imaginer de me lancer dans la musique. Par la suite, j’ai rencontré de plus en plus de gens de la scène locale, je suis allée voir plein de concerts, et ça m’a ouvert à de la musique peut-être plus viscérale parce que c’était ce qui me faisait le plus vibrer sur scène. De là, je me suis intéressée plus à la scène post-punk, post-hardcore, metal, doom, … et beaucoup de musique classique aussi, parce qu’en fait, l’air de rien, je me rends compte que ce qui me bouleverse le plus, la musique qui me touche le plus, et je ne parle pas de celle que j’écoute avant de monter sur scène pour me motiver, mais la musique qui me touche au plus profond de moi-même, c’est la musique baroque ou ambient, ou expérimentale. C’est de la musique très calme, mais avec quelque chose d’écorché, de très torturé dedans, mais à la base, ce n’est pas du rock.

Ça se joue au niveau de l’intensité. Ce n’est pas parce que de la musique est calme qu’elle n’est pas intense.

E.L. : C’est exactement ça, c’est une autre manière de voir les choses.

C’est une autre force que la vitesse ou la puissance sonore.

E.L. : Oui, voilà, il y a une grosse évolution dans les influences d’Eosine et là, actuellement, je suis vraiment dedans. J’ai tout ce qui est post-punk et post-hardcore pour me motiver avant d’aller en concert ou simplement pour faire des trucs, et si j’ai envie de m’inspirer ou d’être en résonance avec quelque chose, j’ai tout ce qui est plus classique ou expérimental, ou même tout ce qui est art-rock, art-pop, même plus que de la pop. Finalement, des choses qui n’ont pas trop de rapport avec celles qu’on pourrait imaginer qu’Eosine ait au départ, même si toutes les influences se retrouvent là-dedans, mais sur papier, c’est pas ça.

Retour en 2020 au Centre Culturel de Huy où j’étais engagé par l’Atelier Rock de Huy pour faire les photos des concerts des Fêtes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ! Je vous ai donc vu pour votre TOUT PREMIER CONCERT ! Et cette collaboration avec Court-Circuit m’a également amené à couvrir … le Concours-Circuit que vous avez bien connu pour l’avoir remporté ! Et donc, pour en revenir à ce concert, tu y as fait une autre rencontre, il n’y avait pas que Pat ce soir-là ! (Rires)

E.L. : Oui ! Je suis tombée sur un certain Monsieur Sébastien Von Landau ! C’est assez marrant, parce qu’au départ, ce n’est pas du tout The K. qui devait jouer, mais Ends, et leur batteur étant positif au COVID, c’est The K. qui les a remplacés. Nous, c’était notre tout premier concert, on était NULS, mais apparemment, ça a parlé à Seb qui était là à la base par hasard, mais qui est aussi un des membres de JauneOrange. Après le concert, il nous a demandé combien de temps ça faisait qu’on tournait, ce à quoi on a répondu : « 40 minutes ». C’est donc après notre tournée de 40 minutes que nous avons rejoint le collectif JauneOrange. On a sorti deux disques avec JauneOrange (les singles « Antares » et « Ciaràn » en 2021 et 2022). On a passé environ trois ans avec JO. En fait, on n’a jamais été tous seuls. Dès notre premier concert, on s’est fait happer par JO.

Elena Lacroix © Quentin Perot

Et donc trois ans de boulot, trois ans de concerts à gauche à droite avec quand même de jolies premières parties que vous avez faites. On citera les Psychotic Monks, magnifique carte de visite, les Chevaliers Surprise, j’en passe et des meilleures, et puis, il y a deux ans, ici-même [au Botanique], une razzia totale, un véritable braquage à la finale du Concours-Circuit, vous avez tout pris !

E.L. : Un moment contrasté, entre la joie et le moment le plus gênant de ma vie.

Je peux te dire qu’il y en a qui étaient déçus, après la remise de prix. Bref ! Après ce Concours-Circuit brillamment remporté, vous êtes passés par un moment délicat, ça fait partie de la fragilité des jeunes groupes avec parfois des ambitions différentes d’une personne à l’autre, je parle à l’évidence du départ de Julia et à l’arrivée de Dima à la guitare !

Dima Fontaine : Bonjour bonjour !

E.L. : Dima qui était à la base supposé n’être qu’un guitariste « B », mais dans Eosine, quand tu es « B », tu deviens « A », c’est inévitable.

Guillaume Văn Ngọc : Comment ça ? (Rires)

Voilà, c’est officiel, tu es le bassiste « A ». Tu peux augmenter ton cachet maintenant ! (Rires) Elena, est-ce que l’arrivée de Dima dans le groupe a été un véritable input dans ta création artistique ? Est-ce que tu as senti que ça libérait quelque chose ? Comme si on enlevait une contrainte matérielle et technique et qui laissait plus de place à l’artistique et à la créativité ?

E.L. : C’est certain, je pense par exemple à certains morceaux comme le closer de ce soir qui est un morceau qu’on n’a pas encore sorti… Je pense qu’on a pu se permettre beaucoup de choses, et vu que les deux voix principales sont très stables maintenant, on a pu en ajouter deux autres, donc on chante à quatre. Et il y a beaucoup de parties de guitare qu’on a rajoutées. Dima, tu composes quand même un peu, et parfois, tu prends des initiatives dans le lead de guitare, et ça, ce sont des choses qui sont encore relativement nouvelles. Ça apporte, ne serait-ce juste que la possibilité d’interpréter ce que moi j’ai écrit, mais aussi de composer de nouvelles choses, des nouvelles harmonies qui n’étaient pas là, donc oui, c’est sûr que ça apporte énormément. Que ce soit de la stabilité, et aussi pour les deux autres, qu’au niveau des morceaux qui sont joués maintenant, c’est évident.

D.L. : Au-delà de l’aspect créatif, on en avait parlé quand on s’était croisés au B3 à Liège [pour les Nuits Indé NDLR]. Je crois que c’était la première fois que tu nous voyais jouer ensemble, et tu m’as dit que tu trouvais Elena beaucoup plus libérée qu’avant. Je pense que c’est une véritable charge mentale en moins. Je ne veux pas critiquer qui que ce soit, mais le fait de ne pas devoir se tracasser tout le temps, le chant, la guitare, est-ce que ça va suivre, c’est un poids en moins, tu es plus libre dans ta tête.

Ça s’est senti, et surtout ça s’est entendu, d’où ma question…

D.L. : C’est important de savoir qu’on peut tous se faire confiance en concert, ça donne une liberté et une légèreté qui permet aussi de se concentrer sur d’autres choses, d’autres aspects de notre performance.

E.L. : Surtout que la musique qu’on fait maintenant est beaucoup plus viscérale encore qu’avant, les nouveaux morceaux qu’on va jouer ce soir sont vraiment beaucoup plus sombres, ça demande beaucoup plus d’énergie et de s’investir pleinement dans la musique, ne fût-ce qu’au niveau de la circulation d’énergie. En fait, c’est ça maintenant, on peut se focaliser sur la circulation d’énergie et c’est vraiment super important.

Eosine © Quentin Perot

Autre entrée dans le line-up avec le bassiste. Est-ce que tu as déjà eu le temps, toi, d’apporter ta pierre à l’édifice ?

E.L. : Oh oui !

G.VN : Je suis arrivé dans le projet fin avril, parce que je remplaçais Brieuc, alors de base, c’était une situation temporaire, j’étais le fameux « B » le temps de trouver un « A », donc en fait un peu la même histoire que Dima, et il s’avère que Elena et moi, on a eu un passage particulièrement difficile dans nos vies au mois d’avril et mai, et en fait, on a aussi construit cette complicité de manière un peu « express », on se voyait tout le temps parce que je crois qu’on avait besoin l’un et l’autre de parler et finalement, la musique a été une sorte de remède pour l’un comme pour l’autre.

E.L. : Notre relation est née de cette confiance qu’on a dû avoir l’un pour l’autre, on a dû se faire confiance en 2 jours ! Donc forcément, on a dû mettre des choses en place, par exemple, on a mis en place une communication super efficace, tant musicale qu’émotionnelle, on s’entend super bien aussi grâce à ça.

G.VN : Grâce aussi au fait que Elena a chanté sur un morceau pour un des projets dans lequel j’étais précédemment, et pour des raisons d’organisation, Elena ne savait pas venir juste une heure pour faire son taf, et on a passé la journée ensemble chez moi, et c’est là qu’on s’est rendu compte qu’on s’entendait super bien, c’est un peu le point de départ de cette relation.

E.L. : Oui, ça a « cliqué » direct.

«Je dois me livrer, me dévoiler aux autres. Ils doivent écouter et, si pas s’y reconnaître, au moins l’interpréter.»

C’est en vivant des moments « humains » qu’on développe une relation, et c’est beaucoup plus intense et riche de vivre une aventure émotionnelle plutôt que juste musicale…

G.VN : C’est ça, et c’est d’autant plus vrai avec Eosine qui fait une musique exutoire, une sorte de journal intime, presque. C’est un lieu, ou un support. On ressent un truc, on vient le poser là…

E.L. : Et c’est absolument incompréhensible, d’ailleurs !

G.VN : Mais c’est sans doute compréhensible pour toi au départ, puis au final, ça prend sens pour nous tous, et c’est comme ça que la magie opère…

E.L. : En fait, on est obligés de savoir de quoi parlent les chansons. On est obligés d’en parler, je dois me livrer, me dévoiler aux autres, et les autres doivent écouter et, si pas s’y reconnaître, au moins l’interpréter, et ça implique beaucoup de communication, de l’empathie, de la confiance pour se livrer comme ça.

G.VN : Ce sont beaucoup de conversations un peu « meta », des comparaisons, des références. Au-delà de la technicité de la musique, si on est là pour soutenir un souvenir, un truc que tu as vécu, quelque chose qui te tient à cœur, si on ne la comprend pas, si on ne l’embrasse pas, je pense qu’on pourrait très vite se retrouver hors sujet.

Vous faites de la musique qui nécessite plus qu’une interprétation et une lecture superficielle, elle vient de là-bas, au fond, c’est très viscéral. J’espère que ton arrivée dans le groupe va permettre d’apporter autant que ce que l’arrivée de Dima a pu apporter parce que, pour en avoir été témoin depuis le tout début, la progression du groupe est impressionnante. Au niveau de la production aussi d’ailleurs, vous avez la chance d’avoir travaillé avec des producteurs à la réputation impressionnante, comme par exemple Mark Gardener ou Remy Lebbos. Comment est-ce que tu as rencontré des gens comme ça ?

E.L. : Mark Gardener, c’est vraiment une drôle d’histoire. Benja, raconte l’histoire de Mark Gardener !

Benjamin Franssen : Je risque de me tromper, mais dans l’idée, c’est marrant. En gros, il faut savoir que sur le tout premier disque d’Eosine, ce n’est pas moi qui jouais de la batterie. C’était Jerôme Danthinne. La veille d’enregistrer cet E.P., je me suis cassé le poignet en faisant l’abruti aux scouts. Jerôme étant le batteur de Mark, il lui a envoyé les tracks sans trop en parler, et Mark a dit « Ouais, OK ! ». Et c’est comme ça que le deuxième disque a été mixé par Mark.

E.L. : Et c’est une personne vraiment extraordinaire, super humble. Nos échanges étaient super fluides, vraiment pas paternaliste, alors que le mec a quasiment inventé un style de musique, vraiment une super expérience, il est très réactif, vraiment très chouette !
Et Rémy, c’est grâce à notre manager.

Elena Lacroix © Quentin Perot

Ça te fait combien de Bota, là ?

E.L. : C’est mon septième. Toi aussi, c’est ton septième ?

B.F. : Oui.

E.L. : Et toi ?

D.L. : C’est mon troisième, mon deuxième avec Eosine.

G.VN : Moi, c’est le quatrième.

C’est un peu la classe de dire que l’endroit où l’on a le plus joué, c’est le Bota !

E.L. : C’est la première fois en tête d’affiche, on n’avait fait que des premières parties ou le Concours-Circuit avec d’autres groupes.

Ça fait quoi d’AVOIR une première partie plutôt que de FAIRE une première partie ?

E.L. : C’est génial ! Avoir une première partie, ça veut dire plein de choses parce que c’est nous qui l’avons choisie.

C’était la deuxième partie de la question, et donc, vous avez reçu une sorte de carte blanche ?

E.L. : Premièrement, on s’est dit que faire une première partie et jouer au Bota, c’est vraiment super pour un petit groupe, donc on a eu envie de le proposer à quelqu’un qu’on avait envie d’aider, quelqu’un à qui on pouvait renvoyer l’ascenseur d’une certaine manière.

Ensuite, une première partie, ça donne aussi une clef de lecture à ta musique.

E.L. : Ça nous a aussi aidés à définir le côté jeune, dynamique et « weirdo », parce que je pense qu’on est tous des weirdos ici. On voulait aussi proposer ça, une sorte de safe-place pour un autre weirdo comme nous. Les deux concerts et les deux premières parties qui viennent (au Bota et au Reflektor – NDLR) reflètent vraiment ça. Ça permet enfin de donner de la visibilité aux premières parties, pour les salles, notre label, et le public aussi. Et l’inverse est vrai aussi, parce que nous avons un public très différent de ces premières parties, et ça permet de croiser les publics. Ça nous permet de faire connaître notre musique à d’autres personnes. Si je prends l’exemple de Pyo, qui a énormément de fans très jeunes et qui n’ont pas l’habitude d’aller à des concerts, ce sont donc deux fan-bases très différentes. Tout ça fait que le fait d’avoir une première partie est très intéressant. On a passé énormément de temps à choisir, mais ici c’est un peu « évident ». Et puis on s’est aussi dit un autre truc : on a eu des mauvaises expériences avec des headliners, de très mauvaises expériences avec certains headliners, même, et on s’est dit qu’on ne voulait pas être comme ça. On a eu tout récemment une expérience super positive avec un headliner, Meltheads, c’était incroyable, ils ont notre âge, et on s’est dit qu’on voulait être comme eux, on veut terminer notre sound-check plus tôt, on veut sortir de la scène, on veut débarrasser la scène pour leur laisser la place, on veut faire des featurings avec eux, on veut être un headliner cool !

C’est sans doute aussi lié à vos racines ancrées dans la musique indépendante.

E.L. : C’est ce que Meltheads nous ont dit : « On a été des supports, on a été maltraités, on ne veut pas être comme ça. ».

Ce n’est pas votre premier support physique à sortir, mais c’est en tous cas votre premier vinyle. Ça fait quoi de tenir la galette en main ?

E.L. : C’est comme un mousqueton [sur une paroi en escalade]. C’est pas pareil de sortir un CD. Tout le monde peut le faire. C’est ultime un vinyle.

«Pas fini le shoegaze, non !»

Dans cet EP, on sent vraiment une transition, on avait l’ancien Eosine, on a maintenant le nouveau Eosine, avec un élan beaucoup plus franc, avec plus de puissance. À quel moment, vous décidez de faire une reprise de « Digitaline », et de la remettre sur l’EP ? Il y a d’ailleurs 3 morceaux repris sur les 4 morceaux de l’EP.

E.L. : Notre label a complètement flashé sur « Plant Healing » et ils voulaient ressortir tout « Coraline ». Et là, j’ai dit non parce que je trouve que ça aurait été une insulte à la presse wallonne qui a fait un travail de dingue sur « Coraline ». On ne voyait pas en plus l’intérêt de ressortir « Kiràn » ou « Seashells ». Après de longues et nombreuses discussions, on s’est dit qu’on allait sortir un hybride et on a tout réenregistré. Depuis le début, on essaye de garder cette marge de progression entre les enregistrements et le live, on se disait qu’il ne fallait pas que l’énergie soit plus grande en studio que sur les live, mais en fait, ça n’arrive jamais. En live, tu joues plus fort, tu joues plus vite. Même entre le sound-check et le live, on joue plus fort en live. On a donc décidé de jouer quelque chose d’hyper énergique, hyper engagé, hyper live, mais produit parce que je déteste les enregistrements bêtes et méchants de live. On a donc réenregistré « Plant Healing », « Progeria », et « Digitaline », en version vraiment live. Versions live qui avaient en fait été créées pour la finale du Concours-Circuit et qui avaient super bien fonctionné, les gens avaient super fort accroché. Ça nous a aussi permis de casser l’image qu’on avait, au début, d’un truc très sage, un truc très fille à papa/maman, très dream-pop, très Coctau Twins, etc. Ça a un peu été une espèce de point de départ d’une toute nouvelle orientation scénique où maintenant, il y a effectivement ce côté très revendicateur, très « front ». Je prends beaucoup cette place-là, alors qu’avant, je me cachais derrière soit les autres, soit derrière mon instrument. Maintenant, j’essaye de prendre cette place-là, et je pense que la fin de « Digitaline », c’est le point de départ de ça.

D.L. : Et si, en plus la version studio est déjà super forte, ça te pousse toi-même à aller encore plus loin sur les versions live. L’idée de la marge de progression qui se reproduit, mais plus loin. Quand tu augmentes les BPM d’une track, tu ne peux plus revenir en arrière, tu es obligé d’aller plus loin.

B.F. : « Digit » en est la parfaite expression. La version live est facile, vingt ppm plus rapide que la version studio.

Ce n’est donc pas une espèce de fulgurances, ni un délire, mais une réelle orientation nouvelle que prend le groupe. Vous y allez plus fort parce que de toute façon, vous en avez encore sous la pédale pour les live. Fini le shoegaze, alors ?

E.L. : Pas fini le shoegaze, non !

B.L. : On est au-delà du shoegaze. On peut même dire qu’on fait du post-shoegaze.

La transition est parfaite, ma question suivante, avant même d’entendre la réponse de Benja, c’était « Post-Quoi ? ».

E.L. : Post-Shoegaze, parce qu’on garde l’idée de la reverb, d’avoir certaines sonorités, mais les structures et l’attitude, ce n’est plus du tout la même chose, on n’est plus là-dedans ! Dans le shoegaze, on se cache derrière quelque chose, on ne comprend pas spécialement bien les paroles, y’a un côté pas très assumé, je trouve.

Par rapport à votre musique, le shoegaze est aussi quelque chose de moins dynamique, on ne sait pas toujours très bien où ça va.

E.L. : Oui, exactement, et les paroles sont souvent d’une esthétique très contemplative. Ici, on n’est pas du tout dans quelque chose de contemplatif, c’est incisif, c’est quasi revendicateur. En tous cas, on garde le son du shoegaze, on aime quand ça prend de l’ampleur. On se définit comme post-shoegaze pour toutes ces raisons.

«Si tu écoutes l’album en ordre aléatoire, je viens te le reprendre !»

Bon, et après, c’est quoi le programme ? A quand l’album ? A quand le DEUXIÈME album ?

E.L. : Il est composé ! Pas le deuxième, mais bien le premier ! On en joue des extraits ce soir. Pas mal d’extraits d’ailleurs. On va aller enregistrer et on pense le sortir fin de l’année ou début ’26. Mais c’est fait, et ça sera avec Mayway. On est hyper contents.

B.L. : On a la hargne, on vit ce projet. Au final, dans l’histoire du groupe dans sa composition actuelle, ça fait qu’une année, mais en tout, ça fait le troisième. On a vraiment envie d’enregistrer un album.

La volonté, c’est de créer un nouvel album, ou de rassembler des EPs ?

E.L. : AH NON ! C’est un concept ! Tu as un ordre, les chansons sont choisies, et si tu écoutes l’album en ordre aléatoire, je viens le reprendre ! Avec un EP, tu n’as pas ce côté « objet », ce côté « tout » !

Ne m’en parle pas, je fais partie des irréductibles qui écoutent des albums en entier du début à la fin, parce qu’ils racontent des histoires, ce sont des univers qui s’ouvrent à toi.

E.L. : En plus, au niveau des pratiques, pour un album, par exemple, tu ne sors ni ton opener, ni ton closer. Avec un EP, tu peux faire ça. Y’a vraiment cette distinction entre les deux.

Félicitation encore, pour tout, pour le design de l’EP qui est magnifique… Merci Eosine pour ce moment, et on se voit ce soir ! Je suis impatient. N’arrêtez jamais !

E.L. : J’ai arrêté mes études pour ce projet, ça ne risque pas !

Publication des portfolios AB et Reflektor ce mercredi sur JazzMania.

Eosine
Liminal EP
Mayway

Propos recueillis par Quentin Perot