Fred Hersch : Breath by Breath
A la question de chercher une chose qui vous a fait du bien pendant cette longue et inachevée épreuve du confinement, je réponds sans une seconde d’hésitation : la musique de Fred Hersch. La sortie de « Songs from Home », enregistré chez lui pendant le confinement de 2020 était (et est toujours aujourd’hui) un moment d’apaisement, de beauté et de liberté : « Je voulais que le jazzfan y trouve du plaisir, mais que ça apporte aussi un peu de lumière aux gens qui sont dans l’obscurité. » disait-il dans une interview accordée à distance l’année passée (à relire ici). N’est-ce pas là ce que beaucoup attendent d’un musicien ?
Si « Songs from Home » était un recueil de neuf pièces du répertoire aussi différentes que « When I’m Sixty Four » de Lennon-McCartney ou « Solitude » d’Ellington, augmenté de deux compositions personnelles, « Sarabande » et « West Virginia Rose », « Breath by Breath » est une toute nouvelle suite écrite par le pianiste et inspirée par sa longue pratique du bouddhisme. Le mot «pali » qui donne le titre de cette suite, « The Pali Suite », signifie la pleine conscience ou la sensibilisation. Et c’est dans cet esprit méditatif et de lenteur qu’il faut écouter cette pièce en neuf parties où il est accompagné par un quatuor à cordes, une configuration que Fred Hersch décrit comme naturelle depuis son enfance. Mais aussi par la contrebasse de Drew Gress, la batterie de Jochen Rueckert et, sur un titre, les percussions de Rogerio Boccato. Inspiré par sa pratique de la méditation, l’ensemble de la suite navigue entre tempo medium et tendrement latin – la pièce d’ouverture « Begin Again » – et lent comme « Awakened Heart », d’une totale délicatesse. « Breath by Breath » reflète une connexion sensible avec la respiration méditative où le quatuor à cordes prend une part importante dans la composition. Introduit par la contrebasse de Drew Gress en solo, « Monkey Mind » propose une conversation aléatoire entre instruments, enchaîné par la ballade romantique « Rising Falling ». Sur un rythme indien des percussions de Rogerio Boccato, invité sur cette pièce, « Mara », Dieu tentateur, essaye d’attirer Bouddha vers les plaisirs terrestres. Avec « Worldly Winds », la suite se clôture comme elle a débuté, sur un tempo plus enlevé où on retrouve l’esprit du contrepoint propre à Bach.
Que Fred Hersch soit un des pianistes les plus proches de la sensibilité européenne n’est pas une découverte : sa version de « Pastorale » dédiée à Robert Schuman s’ajoute à celles déjà enregistrées au Village Vanguard ou au Windham Civic Concert Hall, chacune illustrant la sensibilité à fleur de peau du pianiste, le plus proche sans doute des romantiques classiques européens dont Schuman fait partie. « Prendre le temps de ralentir et d’écouter cette suite dans son intégralité », c’est ce que Fred Hersch nous souhaite dans les notes de pochette. Inutile de dire qu’on s’en imprègne avec délice.