Fred Hersch, Solo

Fred Hersch, Solo

Fred Hersch, Solo

PALMETTO RECORS

A côté des albums en trio enregistrés avec une demi-douzaine de rythmiques différentes, de la paire Charlie Haden-Joey Baron (“Sarabande” de 1986) à celle John Hébert-Eric Mc Pherson du dernier “Sunday Night at the Vanguard” , des duos comme ce “Songs We Know” avec Bill Frisell et des formations plus larges, comme le quintet de “Forward Motion” avec Rich Perry, Fred Hersch a toujours été attiré par la performance en solitaire. Cet album Palmetto, enregistré au Windham Civic Center Concert Hall est son dixième album solo, le quatrième enregistré en public, comme “Alive at the Vanguard”, “Live at Maybeck” ou “Live at the Bimhuis” et, comme deux autres, sans intention de production au départ. Ce sont ces conditions de concert qui peuvent induire ce rapport unique entre soliste, instrument et public, ce dialogue entre scène et salle qui ne peut pas exister en studio: “I was in the zone, a special place where everything is working : heart, mind and technique”. C’est cet équilibre, subtil mais fragile, qui transcende tout le répertoire de cet album. Un répertoire qui illustre pleinement le background du pianiste de Cincinnati : Monk (In Walked Bud), Ellington (Caravan de J.Tizol), la musique classique (Pastorale, composition originale dédiée à Robert Schumann), Jobim (Ohla Maria / O Grande Amor), la comédie musicale (The song is you de J. Kern), la chanson folk rock (Both sides now de Joni Mitchell). Pour lui, une série de “Songs Without Words” (titre d’un album de 2002). Chaque thème, chaque mélodie devient l’objet d’une longue improvisation, d’une introspection intime. Sur la première plage, Hersch glisse de Ohla Maria, traité comme une pièce “classique” à O Grande Amor et s’ouvre ainsi à une mélodie dansante très “brésilienne”. Sur Caravan, il dissèque le thème en modifiant le rythme pour déboucher sur une longue improvisation personnelle. Pastorale révèle son attirance pour la musique classique et son intimisme feutré, un intimisme qu’on retrouve sur The Song is You ou Both Sides Now. In Walked Bud est, par contre, très “jazz” avec son tempo saccadé. Sur Whirl, titre d’un album trio de 2010, dédié à la danseuse Suzanne Farrell, le rythme est effréné, les notes voltigent, “tourbillonnnent” comme les pas voltigeurs d’une ballerine. Sur chaque plage, Fred Hersch brode autour du thème, celui-ci devenant la trame sur laquelle le pianiste funambule tisse sa propre toile. Autre dimension à cette musique, le rapport de l’homme à l’oeuvre. Faut-il, comme le prônait le Liégeois Servais Etienne dans sa théorie de l’analyse textuelle, dissocier l’oeuvre de son créateur et de son parcours de vie ? Privilégier le rapport oeuvre-public en occultant le rapport artiste-oeuvre ? C’est utopique. Fred Hersch a été confronté à la maladie, peu importe son nom, le rapport physique et psychologique à la maladie reste le même : affronter la fin pour célébrer la vie. C’est ce qu’a fait Hersch plongé pendant plusieurs semaines dans un coma artificiel, ce dont témoigne son projet My Coma Dream. Dans cette optique, chaque album de Fred Hersch est une leçon de vie.

Claude Loxhay