Frédéric Leroux, Frans Van Isacker & Kris Vanderstraeten : Als ik niets meer van de kano zie 

Frédéric Leroux, Frans Van Isacker & Kris Vanderstraeten : Als ik niets meer van de kano zie 

Aspen Edities

Un superbe album vinyle avec pochette art abstrait colorée, pour un trio d’improvisation méticuleux, coloré et chercheur de sonorités et d’actions interactives introspectives. Du point de vue sonore – hi-fi, la prise de son est parfaite, très professionnelle et il ne pouvait en être autrement, tant leur musique d’improvisation libre n’existe et ne se réalise qu’auprès de celui qui écoute par une audition intense et attentive du moindre détail des sons, des touchers, des textures, des résonnances. Frédéric Leroux manie sa guitare avec la même distance oblique et cette suprême attention à la qualité du toucher, de l’orientation du plectre, de la dynamique et du maniement précis des pédales électroniques dans des cycles de spirales échancrées et fragmentées auxquelles s’accroche et oscille le souffle appliqué et accentué « anti-soliste » de Frans Van Isacker, un as du sax alto qui a une connaissance approfondie et experte du jazz moderne et des spécificités secrètes de son instrument. Il évite soigneusement de s’envoler en gesticulant dans les harmonies complexes comme il le ferait s’il jouait le jazz post bop « and beyond » pointu à la Tristano – Konitz dont il est un véritable expert. Il plie ses notes comme s’il tordait le tuyau à la sortie du bec… Le but ultime et unique de leur musique est l’écoute mutuelle et la création collective dans l’instant dans la simplicité et la complexité conjuguée. Et pour ce faire, la participation à la fois discrète et astucieuse du percussionniste « bricoleur » Kris Vanderstraeten est indispensable. Celui-ci explore les surfaces de ses instruments que nous qualifierons d’hétéroclites, « faits-maison », assemblés de bric et de broc avec des objets recyclés, du brol en bruxellois. Il s’agit en fait de la méta-batterie jouée dans une optique où les bruits de toutes natures sont intégrés au discours musical fait de notes et éventuellement d’harmonies révélées par cette écoute attentive qui fait découvrir à l’auditeur des aspects magiques auxquels les improvisateurs eux-mêmes n’avaient pas imaginés ou ressentis. Frédéric, d’ailleurs, adapte des tiges ou fils métalliques au travers des cordes faisant osciller une sonorité métallique irisée et chevrotante qui illumine les crissements sur les cymbales de son collègue. Au fil des morceaux, assez courts en général, le souffleur et le guitariste introduisent des éléments formels et sonores nouveaux, alimentant l’exigence de l’auditeur, multipliant la variété des climats dans lesquels l’imagination du percussionniste se laisse aller à ses délires favoris. Il tape peu sur ses peaux (mode pulsatoire banni !), mais agite, frotte, gratte et titille les objets et accessoires, ou actionne éventuellement des roulements improbables sur ses ustensiles amortis et métaux curieux… Cette pratique musicale se situe aux antipodes de la lingua franca du free-jazz. Intuitive Music ? Fourrez-les sous les étiquettes drone, soft- noise, ambient, soundscapes etc… si ça vous chante… Je n’hésite pas à dire que leur musique est un modèle du genre et, au niveau de la Belgique, un des groupes les plus représentatifs d’une manière radicale d’improviser issue de ces temps lointains où des groupes légendaires, AMM, M.I.C. (ques aquo ?), Iskra 1903, etc… effrayaient les suiveurs inconditionnels du free-jazz le plus agressif. J’ai acheté les files digitaux de l’album pour 10 euros, mais je ne peux résister à commander leur vinyle quoi qu’il m’en coûte. Fantastique !!

Jean-Michel Van Schouwburg