Gary Brunton : Trên Dydd

Gary Brunton : Trên Dydd

Juste une trace

Nul doute que Gary Brunton aime les voyages : après avoir sorti antérieurement un disque intitulé Bus de Nuit (« Night Bus »), le revoici avec une nouvelle production appelée Train de Jour (« Trên Dydd » en gallois). Mais si Bojan Z et Simon Goubert composaient son trio en 2019, le contrebassiste anglais a aujourd’hui fait appel au batteur d’origine italienne Andrea Michelutti (qui a souvent joué avec Jerry Bergonzi) et au vétéran François Jeanneau, un des pionniers du free jazz en France dans les années 60 et premier directeur musical de l’Orchestre National de Jazz en 1986, un formidable saxophoniste sur lequel le temps ne semble avoir aucune prise. Ce trio est complété par un pianiste, soit Paul Lay, soit Emil Spanyi, en fonction des plages. Douze titres sont des compositions de Gary Brunton. Le treizième, « Land of My Fathers, You Dig », est l’hymne national gallois, composé par James James et arrangé par le leader. Avec ce morceau et « Bendigedig », interprété à la contrebasse en solo, le leader rend brièvement hommage au Pays de Galles où ses études dans les années 80 lui firent découvrir le jazz moderne. L’album complet est un véritable maelstrom de jazz créatif révélant au fil du répertoire des thèmes addictifs, des improvisations habitées, des grooves impétueux et des sinuosités méditatives.

Parmi les grands frissons, on épinglera Energy Master Loc, dédié au professeur de Tai-Chi du leader, qui calque les mouvements précis, fluides et libérateurs de cette pratique chinoise à dimension spirituelle. La palette expressive de François Jeanneau au soprano, qui n’est pas sans évoquer, au moins par l’esprit, le grand John Coltrane, éclate sur le splendide « Magyar Mayhem », joué en duo avec le contrebassiste. Enfin, « Up Pendle », qui se réfère à une colline hantée près de Burnley, lieu de naissance de Gary Brunton dans le nord-ouest de l’Angleterre, a un côté mystérieux associé à la réputation de ce lieu infesté par les sorcières au XVIIe siècle et aujourd’hui encore prisé par les amateurs de surnaturel. Mais au-delà de ce choix étriqué et forcément subjectif, il faut insister sur le fait que l’ensemble du disque, très cohérent, est entièrement jubilatoire.

Cette musique contemporaine qui fourmille d’inventivité est tellement féconde qu’elle m’évoque la période particulièrement imaginative du quartet de Wayne Shorter au début du nouveau millénaire. D’ailleurs, j’ai vraiment eu beaucoup de mal à descendre de ce « Train de Jour » qui, pour moi, s’impose déjà à mi-parcours comme l’un des disques de jazz majeurs de l’année. Mais laissons quand même au temps le soin de décanter les émois quotidiens : on en reparle à Noël ?

Pierre Dulieu