Ghalia : une trajectoire du punk au blues, de la Belgique au Delta
© Lola Reynaert
Adolescente elle écoute des musiques alternatives, punk et garage. Elle est fan des Cramps, MC5 ou encore de Patti Smith. Ces artistes lui ouvrent de nouvelles perspectives musicales qui la mènent vers le Rock’n’Roll, le rockabilly, le psychobilly, pour ensuite retourner aux origines de toutes ces musiques et découvrir le blues, le roots, le jazz, le ragtime et le gospel. Un parcours plus qu’étonnant passant par les café-bars bruxellois jusqu’aux scènes de la Nouvelle Orléans et du Mississippi.Très jeune Ghalia arpente les rues de Bruxelles seule avec sa guitare pour le bonheur des passants. N’ayant pas de scènes où se produire elle est totalement indépendante. Elle est à l’origine de groupes tels que « Ghalia and the Naphtalines », « Voodoo Casino » et « Ghalia & The Mama’s Boys »… Aujourd’hui c’est sous son prénom qu’elle s’exprime. Un parcours de Bruxelles à la Nouvelle Orléans où elle a fait son nid et se produit chaque semaine dans la célèbre et festive Frenchmen Street.
Ses 21 bougies à peine soufflées, la jeune Bruxelloise a enfilé son backpack, pris sa guitare et s’est rendue sur la terre de ses inspirations. Son but ? Un pèlerinage du blues tout-à-fait personnel… de la Nouvelle-Orléans jusqu’à Chicago, en passant par le Mississippi, dans des villes telles que Jackson et Clarksdale, Memphis et Nashville dans le Tennessee, St-Louis dans le Missouri. C’est dans cette ville, en 2015 qu’elle enregistre avec Paul Niehaus, le propriétaire du studio « Blue Lotus » et des musiciens tels que Tom Maloney, Joe Meyer et Kevin O’Connor. Des compos comme sa chanson « Let The Demons Out » qui sera reprise par une artiste locale, Rennee Smith. Elle déambule dans ces villes qu’évoquent toutes les chansons qu’elle écoute. Elle marche sur les pas de ses premiers amours : Big Mama Thornton, Skip James, J.B. Lenoir . Elle chante dans les Juke Joints où ses héros se sont produits. Elle y rencontre même le grand Little Richard. « J’ai décidé d’attendre devant l’hôtel Hilton à Nashville où il réside pour le rencontrer et lorsqu’on m’a dit qu’il reviendrait une heure plus tard, j’ai couru jusqu’à mon auberge pour aller chercher un de ses 45 tours. Après 40 minutes il est arrivé dans sa voiture. Le stress était à son comble, j’en ai cassé mon vinyle, qu’il a accepté malgré cela de signer ! »
Son objectif est de monter sur scène avec les musiciens qu’elle rencontre. Sa soif d’apprendre, l’emmène sur les planches de scènes sur lesquelles tous les musiciens et amateurs de blues, rêvent de jouer un jour. Le Balcony Music Club à la Nouvelle Orléans, Le Bluesberry Cafe à Clarksdale, les clubs de Beale Street à Memphis, Jazz, Blues & Soups de St-Louis, le Hal & Mal’s à Jackson où elle a complètement séduit les habitués des lieux avec sa reprise « I’d Rather Go Blind » d’Etta James. Et tout cela malgré la difficulté de convaincre de son authenticité lorsque l’on est un Européen : « Quand tu es une Européenne qui vient dans le Mississippi, les gens sont très surpris. Ils adorent t’écouter et parler avec toi car ils n’ont jamais entendu quelqu’un parler comme toi, avec un tel accent… Ils sont très curieux et intrigués, mais dès que tu es sur scène, si tu ne les convaincs ou séduits pas … la réaction est immédiate ! Tu ne présentes plus aucun intérêt.»
Elle rencontre les musiciens du groupe Johnny Mastro & the Mama’s Boys (Johnny Mastro au chant et à l’harmonica, SmokeHouse Brown à la guitare et Dean Zucchero à la basse) avec lesquels le courant passe directement et grâce à qui Thomas Ruf, patron du célèbre label Ruf Records, signe son contrat et lui réserve un vol en direction de la Crescent City (New Orleans) pour y enregistrer l’intégralité de l’album.
« Let The Demons Out » mixé et masterisé par l’ingé-son légendaire David Farrell sort en 2017. Ghalia & the Mama’s Boys sillonnent alors les routes européennes et américaines pendant quelques mois. Cet album est enregistré dans un seul local où tous les musiciens sont confinés, ce qui invite à plus de spontanéité… « Cela a été beaucoup plus amusant et stimulant. Le son de l’album est beaucoup plus original, plus authentique et apporte un côté plus « cru » à la musique ». Sur la dernière plage de l’album « Hiccup Boogie », un seul mot d’ordre : « J’ai demandé aux musiciens de jouer comme s’ils avaient le hoquet, ce qui a fonctionné car elle dégage une énergie et des moments spontanés qui lui sont propres ».
Let The Demons Out est aussi réel que possible ! En 2018, entre ses concerts européens et outre atlantique, Ghalia prépare son deuxième album qu’elle veut innovant et organique. Un album avec ses propres influences musicales, du Hill Country Blues. Elle l’enregistre au Zebra Ranch Recording Studio, situé à Coldwater dans le Mississippi, fondé par Jim Dickinson et repris après sa mort par ses fils Cody et Luther Dickinson, membres du groupe North Mississippi All Stars. Elle y a passé trois jours pour le tournage du teaser de l’album. Cet endroit regorge d’histoire et de vie. Une ambiance forte où l’énergie de Jim Dickinson et des artistes qu’il a enregistrés tels que Bob Dylan, Robert Palmer, R.L. Burnside, Otha Turner, T-Model Ford ainsi que The Cramps, rôde encore.
Ghalia décide de faire appel à des musiciens renommés, qu’elle affectionne musicalement et humainement. Ils viendront ajouter leur touche personnelle. Le premier invité dans cet endroit mythique est Cédric Burnside, petit fils du célèbre R.L. Burnside, qui fera résonner sa batterie sur des titres tels que « Release Me » ou encore sur la reprise du célèbre Negro Spiritual « Wade In The Water ». Mister Burnside ajoute : « c’est un plaisir d’être présent sur le prochain opus de Ghalia car elle donne un nouveau son au Hill Country Blues et au blues traditionnel. Ses origines musicales lui permettent de sortir des sons uniques et innovants ». Se succèdent Cody Dickinson à la batterie (« J’ai un profond respect car elle a choisi de venir au Zebra Ranch Studio pour y enregistrer son album au milieu de nulle part, tu dois être courageux pour venir dans le fin fond du Mississippi »), SmokeHouse Brown qui a déjà fait vibrer les cordes de sa guitare sur le premier album et qui revient en force sur un titre tel que « First Time I Die » qu’ils ont co-écrit ensemble, Lightnin Malcolm, l’un des guitaristes les plus convoités du Mississippi et qui va prochainement partir en tournée avec Ghalia, Watermelon Slim, ce sacré personnage aux talents multiples à l’harmonica et au chant (« Je suis Watermelon Slim de Clarksdale, Mississippi et cela fait 5 ans que je regarde avec bonheur la progression de Ghalia. Elle est l’une des personnes qui est arrivée dans le monde du blues et qui s’est approprié ce style. J’ai longtemps repris des chansons d’artistes ensuite la musique est devenue mienne. J’ai commencé à écrire et c’est ce qu’elle fait aujourd’hui, ce qui est très important à mes yeux. J’ai été touché par la musique qu’elle m’a présentée, c’est un nouveau regard et non pas une imitation du blues traditionnel»). Enfin, Dean Zucchero à la basse ainsi qu’à la co-production de l’album.
En studio, tous les musiciens ont accompli leur devoir. Ils avaient écouté les chansons et ont tenu compte des envies de Ghalia. Il y régnait une grande sérénité et un échange tacite de plaisirs partagés. Pas de producteur qui impose ses choix car Ghalia et Dean sont autonomes. « Le but de cet enregistrement était de laisser chacun être lui-même et de laisser les musiciens ajouter leur propre touche, leur son, leur groove et leurs influences personnelles. Le son de chacun basé sur mes compositions, c’est cela qui rend cet album si unique. » Dans le Mississippi on ne vient pas sur scène avec une set-list déjà toute écrite. Le concert se déroule « au feeling », à l’ambiance et selon l’atmosphère du lieu ainsi que l’humeur du public. C’est un peu comme ça que j’ai ressenti l’ambiance du studio : beaucoup de bonnes ondes et de passion. Ghalia, d’ailleurs, ne prévoit plus de set-list en concert, elle se laisse emporter par les émotions qu’elle ressent et le concert se déroule de manière instinctive.
© Lola Reynaert
Dans ce second album, Ghalia n’essaye pas de plaire aux puristes, de rentrer dans la norme. Elle y a mis ses qualités musicales et sa sincérité. Elle écrit et compose des titres tels que « Meet You Down The Road » qui évoque la perte d’un être cher, « Why Don’t You Sell Your Children », écrite d’un trait en seulement trente minutes et qui dénonce ceux qui seraient capables de vendre leur progéniture pour quelques dollars. Ghalia sait ce qu’elle veut, elle compose et ne tourne pas sa langue 7 fois dans sa bouche avant d’exprimer ce qu’elle pense ! Enfin, écoutons « Drag Me Down » pour ne jamais cesser de réaliser nos projets. Ce cd lui ressemble. Pour avoir fait un bout de route avec elle, je peux affirmer que Ghalia est une femme passionnée et curieuse… Elle peut s’asseoir une heure avec sa guitare au Blue Front Café, écouter parler et jouer Jimmy Duck Holmes et ensuite reproduire les notes qu’elle a entendues en réadaptant la chanson à sa façon. « J’ai beaucoup appris en voyageant, c’est aux États-Unis que j’ai appris toutes ces choses à la guitare. Quand tu vas au Blues Front Café voir un musicien tel que Jimmy Duck Holmes, il s’assied, te prend la guitare des mains et te dit « regarde, ça c’est le Bentonia Blues, tu dois rajouter cette petite touche là » Il te montre et te rend la guitare et tu essayes. C’est intemporel, on se pose, on échange, il m’apprend… il m’apprend des choses que lui a apprises de Jack Owens, que lui-même a apprises de Skip James et ainsi de suite. C’est ça que j’aime ici, je n’ai jamais regardé des tutos sur youtube ou dans des livres… J’ai regardé ces musiciens et c’est ça l’héritage de cette musique, qui est humble et très modeste à tout niveau. » Elle apprend de ses musiciens qui sont une source d’inspiration. Elle est déterminée à vivre de sa passion et à la transmettre.
Son disque sera numéro 3 dès sa sortie, dans les Charts « Billboard Blues Album ». Elle y reste durant 8 semaines pour réapparaître en 3ème place encore une fois fin novembre, aux cotés de Keb’Mo et Joe Bonamassa. Plus de 15000 vues de la vidéo de son single « Meet Me Down The Road ». Son nouvel album « Mississippi Blend » est un réel succès. C’est une consécration pour cette jeune artiste belge qui démontre définitivement que la volonté et la passion sont deux grands moteurs de réussite
Ghalia
Mississippi Blend
Ruf records
Lola Reynaert