Glauque : Les gens passent, le temps reste
Révélé au public avec force et fracas lors de l’édition 2018 du Concours-Circuit, le groupe namurois n’a fait que marquer les esprits depuis. Pour ma part, je l’ ai découvert au Bucolique, à Ferrière l’été suivant, puis revu à l’Austral-Boréal, à Liège, à l’automne. À peine remis de la double claque magistrale que je venais de prendre en deux mois, il ne m’en fallait pas plus pour tomber en admiration totale pour ce groupe dont les instrus sont aussi puissantes que leurs textes sont sensibles. Ce tout jeune groupe semblait prendre une trajectoire toute tracée, suivant les meilleurs conseils des meilleurs impresarios du monde sans pitié qu’est celui de la production musicale. Mais sortir un album, c’est une entreprise. C’est un projet de longue haleine. C’est un être polymorphe, empreint d’une histoire, empreint de la personnalité de chacun des membres du groupe, empreint de tout ce que la société représente et exprime, pour ne pas dire « impose ». Et c’est bien ce dont il est question. D’une empreinte. D’une marque. Au fer rouge. Une marque qui va rester, qui va redéfinir la manière dont on perçoit le groupe. Il s’agissait donc de sortir un album mature, réfléchi, qui exprimait justement et exactement ce que le groupe représente. Le groupe voulait prendre son temps.
Le temps passe, les gens restent
Le titre de l’album est lui-même une invitation. Une invitation à se remémorer l’attente que représente la sortie de cet album. Retour en arrière : 2019, le groupe enchaîne les scènes les plus prestigieuses du pays et de l’étranger. Belgique, France, Suisse, Allemagne, le groupe enchaine plus de 60 concerts cette année-là ! Le succès est immédiat, et le public accueille ses compositions sensibles mais puissantes avec un enthousiasme à peine concevable pour le groupe. C’est l’emballement. Et il est tel que le groupe n’a que peu de temps pour coucher tout ça sur la Sainte-Galette, le Graal de tout groupe. Les mois s’écoulent, les années passent, et rien ne sort de la presse à sillons. L’album se fait attendre. Le temps passe. Moi, je reste.
Et c’est là où les sarcasmes de la vie s’emmêlèrent les pinceaux dans le pot de bleu-vert. La mise à l’arrêt de toute activité que nous avons connue en ce mois de mars 2020 a certes laissé le quatuor sur la terre ferme, ou devrais-je plutôt dire loin des planches et des lumières. Les sarcasmes se muèrent alors en ironie. Et toutes les ironies ne se valent pas. Il y a l’ironie qu’on se prend en pleine face comme un retour de manivelle, une sorte de pay-back de karma, qui même s’il a le mérite de remettre les choses à leur place a surtout pour premier effet de mettre une grosse claque. Moment douloureux. Et puis il y a les ironies qui, remettent tout autant les choses telles qu’elles devraient être, ouvrent les horizons et réparent les injustices. L’ironie se mue en justice dès qu’on la regarde dans l’autre sens.
C’est ainsi que le groupe trouve le temps d’enregistrer ses premières tracks en vue de sortir son premier album. Mais ces morceaux ont déjà évolué avant même d’avoir franchi les premiers vumètres du studio d’enregistrement. Ils ont déjà écumé les scènes, et surtout, ils ont évolué. Ils ont muté au gré des humeurs, ils se sont affirmés et affinés. Les morceaux joués ces derniers mois ne sont plus les morceaux du début de l’aventure. L’occasion est trop belle. Pourquoi ne pas enregistrer ces versions plus puissantes, avec le coffre qu’on leur connaissait de leurs prestations live. Et quelle belle occasion aussi de réécrire ces mêmes morceaux en version piano et de leur donner le contraste si remarquable de ce premier EP.
Un album plus sensible
Il n’aura pas fallu attendre très longtemps après avoir posé la galette sur la platine du salon pour me rendre compte que le tournant amorcé avec leur premier EP était en fait une nouvelle direction que les compos du groupe allaient prendre. Avec ce nouvel album, les quatre inspirés apportent une touche plus sensible à leur musique. Ils laissent de temps en temps les beats puissants, survitaminés aux infrabasses, au profit de mélodies plus douces, plus délicates, accordant une grande place aux émotions et au ressenti.
Une poésie existentielle
Depuis le début de l’aventure, l’écriture de Louis Lemage, chanteur et parolier du groupe, exprime ses questionnements les plus existentiels. Il parvient également à mettre le doigt précisément sur des problématiques générationnelles propres à notre époque. Les mots, les images, les références sont d’une redoutable efficacité et la maîtrise du verbe appuie encore plus le propos. L’écriture joue avec la langue comme elle joue avec les émotions. De groupe déjà classé dans la case « rap conscient », Glauque passe ici un cap supplémentaire et embrasse avec force et conviction sa destinée quasi littéraire.
Avec cet album, le groupe laisse encore plus exprimer sa poésie. L’album devient un voyage. Un voyage certes musical, mais les Namurois ont tenu à prolonger l’expérience au-delà du seul sens de l’ouïe. De voyage, l’album devient objet. Mais pas juste un objet : l’objet lui-même fait partie du voyage, de l’expérience. C’est ainsi qu’une série limitée aux 100 premières commandes de l’album allait être customisée par Baptiste Lo Manto, membre du groupe et artiste visuel. Chacune des 100 pochettes du précieux vinyle allait être déchirée à la main, puis recousue. Une cicatrice. Une cicatrice pour exprimer les différents deuils qui sont évoqués dans l’album.
Une réussite
Au-delà de quelques détails qui ne peuvent qu’être liés aux affinités de chacun, cet album est un véritable chef-d’œuvre. Musicale, poétique, visuelle, l’expérience est totale et permanente tout au long des 12 morceaux qui habitent le disque. Car il s’agit bien d’une expérience immersive, une expérience qui vous habite comme chacun des morceaux habite l’album.
Retrouvez le reportage du concert de Glauque au Centre Culturel de Chênée sur JazzMania.
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The Deadbeat Club