GØ : Ævir – Amen

GØ : Ævir – Amen

Tutl Records

Les îles Féroé, 54.000 âmes confinées sur un bout d’archipel situé aux confins de la Mer de Norvège. Là-haut, tout là-haut. Un bout de terre flottant dont on ne connaîtrait sans doute pas l’existence si son équipe de football « nationale » n’était affilée à l’Union des Associations Européennes du Football (UEFA), ce qui lui permet de participer – avec un grand courage – aux tournois qualificatifs contre des nations importantes du ballon rond. Face à tant de mystère et d’ignorance, le quidam se pose mille questions farfelues ou inutiles : existe-t-il dans les îles Féroé des clubs où on joue de la bonne musique ? Une radio qui diffuse du jazz ? La possibilité d’y déguster un Orval (et à quel prix…) ? Un groupe de musiciens qui font du jazz ? A cette dernière question, il nous est dorénavant permis de répondre par l’affirmative sans se tromper. Ce groupe existe et c’est même une sorte de big band qui se compose d’une dizaine de membres. Son nom : GØ ! Avec cette barre dans le « O » que les utilisateurs de claviers AZERTY doivent trouver entre les touches…

Ce groupe de jazz vient justement de publier un album : « Ævir – Amen », son deuxième semble-t-il, en dix ans d’existence, produit par le label local (!) Tutl Records qui s’est donné pour mission insensée de faire connaître de nombreux musiciens de l’île sur la scène internationale. Un album qui vient de nous parvenir en version vinyle postée par delà les mers…

D’emblée, nous sommes séduits par la beauté sobre de la pochette (signée par l’artiste locale Kirstin Helgadóttir) dont nous allons exfiltrer la galette pour la faire tourner sur notre platine. La musique qui sort des enceintes juxtapose une certaine forme de gaieté et de complexité. Il existe ici une recherche de l’instant, un amalgame instrumenté (guitares, cuivres, claviers, voix…) qui pousse le rock dans les retranchements du jazz, des morceaux qui démarrent sous la forme d’un classic-rock avant de prendre une tangente inédite et imprévue (« Á Skarv »)… Quant au propos, il naît, selon la note biographique, de la volonté des Féroïens de s’émanciper de la tutelle exercée sur l’archipel par le Royaume du Danemark, ce qui ne saute pas nécessairement aux oreilles à l’écoute de certains arrangements « old school » parfaitement réussis (« Ivi Á Tinganesi »). Bref, voici une belle opportunité pour découvrir une scène surprenante, vivante et coriace (Tutl Records a été fondé en… 1977 !). Ce serait d’ailleurs sympa qu’un booker d’ici permette à GØ et aux autres musiciens de cette communauté de tourner un peu sur le continent. En attendant, c’est nous, en écoutant cette musique, qui effectuerons le voyage.

Yves Tassin