Gregory Porter, Movin’…
Gregory Porter, une nouvelle tradition soul.
Après deux albums déjà très remarqués sur le label newyorkais qui monte Motéma – “Water” et “Be Good” – Gregory Porter a fait le grand saut vers un major pour « Liquid Spirit » (Blue Note), un succès planétaire qui emmène le chanteur soul-jazz sur toutes les scènes internationales. Rencontre au Festival de Juan-les-Pins avec celui qui sera à Bozar Music le 27 novembre et survol des titres de l’album.
Le morceau Free a, je pense, été influencé par vos parents et l’éducation que vous avez reçue.
Oui, ce morceau a un rapport avec la liberté et le fait pour un Noir de pouvoir se promener avec fierté. Liberté d’où que vous proveniez, par exemple, de se promener sur une plage sans se demander si on y est bien à sa place. Mes parents m’ont inculqué cela.
Vos parents vous ont incité à faire de la musique ?
Ma mère oui, pas mon père. Avant de mourir, elle m’a encouragé à poursuivre le chant, elle me disait que ça pouvait prendre du temps et en effet ce fut le cas.
Musical Genocide : qu’est-ce qui vous a inspiré ce titre ?
Les paroles viennent d’une conversation sur le blues, le gospel, la soul, nous devons connecter tout cela pour faire une nouvelle musique; il faut mettre quelque chose de nos ancêtres dans la musique, et beaucoup ne le font pas et oublient leurs racines, c’est ce que j’appelle le génocide musical ou culturel, dans le sens où nous devons nous fonder sur ce que nous sommes et les valeurs positives que nous avons apprises : « The soul man with your heart in the palm of his hand singing his stories of love and pain » (il chante), c’est Stevie Wonder que je décris là, Marvin Gaye, Donny Hathaway, cette musique qui vous fait voir plus large.
Movin’, c’est le mouvement, le voyage.
Le voyage est important car j’écris en voyageant, le nouveau album je l’ai écrit en France; Wolfcry, par exemple, est venu quand j’étais du côté de Lyon. Quand j’ai réalisé que j’écrivais bien en voiture, juste après que ma mère meure, ça m’a sorti de la déprime. Je pense et j’écris, j’ai toujours un morceau de papier, même quand je conduis, je n’ai jamais écrasé personne… J’ai des idées de musique comme ça qui flottent dans le vent… Ce serait plus sûr de travailler avec un enregistreur, mais écrire est important dans mon processus. Dans un avion, je regarde l’horizon et ça éclaire mon esprit… Sur la route de Sète à ici, j’écrivais une chanson à propos du désir des gens de devenir célèbre; ils peuvent marcher sur la tête d’autres personnes pour y arriver, et au lieu de devenir célèbres, ils deviennent infâmes… Paroles et musiques et instruments me sont venus en route…. Automatiquement en même temps, c’est mon processus… Parfois ça vient tout seul…
Vous êtes sur la route combien de jours par an ?
Vous savez, si je devais réfléchir à ça, je me dirais sans doute « Waaaw, il faudrait prendre quelques jours de congé ! », mais probablement 300, à coup sûr 275 cette année, et l’an passé aussi. Voyager, c’est la liberté, voyager où on veut, je parle souvent de mouvement dans mes chansons; On My Way to Harlem » je l’ai écrit dans le métro vers Harlem, aller où vous avez envie d’aller !
Water Under Bridges et Wolfcry sont des duos : vous aimez cette formule ?
Je ne suis pas vraiment pianiste, mais j’adore jouer en duo avec piano…. J’ai l’intention de continuer cette formule, d’abord mettre l’accent sur les paroles… Je ne dis pas que la musique encombre, mais j’aime la clarté de pensée, et c’est le cas avec le piano seul ou la guitare; mes albums préférés sont des albums en duo, et j’ai l’intention de poursuivre dans cette voie. Parfois, une solitude peut être suggérée en utilisant un seul instrument.
When Love Was King est un texte fort.
C’est en fait une chanson politique si vous y pensez. Immigration, enfants affamés, les gens qui sont dans des bateaux sur les côtes, ils ont besoin de boire et de manger, c’est tout ce que je veux dire, je ne donne pas de solutions… « Beside Him stood his Mighty Queen, an equal force, wise and keen » c’est à propos de l’égalité des genres homme-femme… Vous ne pouvez dire des choses, taper sur la tête de quelqu’un, c’est dans les paroles, Il y avait un royaume, il y a longtemps, où l’amour était la règle, ça suggère que probablement l’amour n’est plus la règle en ce moment… C’est juste un message que je veux envoyer à mes enfants dans leur vie…
I Fall in Love Too Easily est le seul standard de l’album: pourquoi celui-là ?
C’est le fond de ma personnalité, je tombe facilement amoureux, de gens ou de lieux. J’aime prendre des standards qui ont un rapport intime avec ma personne… « The Lady Is a Tramp » aussi même si je n’ai pas connu de femme qui soit une « coureuse » (rires). C’est un morceau que chantait Chet Baker, j’aime beaucoup sa voix, pure et honnête, comme celle d’un enfant, j’aime écouter les voix d’enfants.
En vous écoutant, vos influences musicales paraissent claires.
Nat King Cole, Marvin Gaye, Donny Hathaway, Leon Thomas, Abbey Lincoln, ce sont les classiques, mais j’écoute beaucoup d’autres… La musique moderne, j’aime ce qu’ils font avec les racines comme Robert Glasper ; j’apprécie aussi d’autres courants, j’ai rencontré « Lord » récemment, elle doit creuser ce qu’elle est en train de faire…
Time is Ticking termine l’album : comment voyez-vous le temps qui passe ?
Pour moi, c’est la paix que je souhaite le plus, pas spécialement la longévité, ça m’importe peu, mais l’important est d’avoir quelque chose à dire. J’aimerais chaque fois que je fais un nouveau disque pouvoir dire « ok, je suis d’accord avec ça, je suis cool sur ce sujet ». « When Love was King”, j’adore ça! « There is No Love Dying Here » aussi j’adore chanter ces mots.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Cet entretien, publié ici dans son intégralité, a été proposé aux lecteurs de Vers L’Avenir dans son édition du 29 septembre 2014.