
Guillaume Vierset : Le jazz déglingo !
On dit de lui qu’il est un rebelle… et il ne s’en cache pas, il l’assume. Il y a chez Guillaume Vierset une volonté de bousiller les codes, de reprendre la marche dans le bon sens. Il s’en explique ici… Rencontre avec un gars (très) attachant !
Je suis allé relire tes interviews. On y parle beaucoup de ta musique, mais pas beaucoup de toi… Qui es-tu ? D’où viens-tu ?
Guillaume Vierset : Je suis hutois d’origine. Adolescent, je suis allé vivre à Bruxelles où je suis resté presque quinze ans, avant de m’installer dans un magnifique village, Orp-le-Grand, qui se situe à un endroit stratégique, juste entre Liège et Bruxelles.
Et musicalement, quelles furent tes premières émotions ?
G.V. : Mon père était guitariste de country music. J’en ai bouffé trop… Je ne peux plus entendre ça ! Mes premières émotions musicales, ce sont les Beatles !
Tu n’étais pas encore né à l’époque des Beatles ! (il est né en 1987)
G.V. : (il rit) Non, mais j’avais un « best of » des Beatles, « One », que j’écoutais sans arrêt !
On se trouve ici dans un cadre plutôt « pop », pas rock… Je t’avoue que je pensais que tu me citerais des groupes de rock indépendant.
G.V. : Non, pas du tout ! Mais les Beatles, ça ratissait très large…
Dans ta jeunesse, tu n’as pas formé des groupes de rock ?
G.V. : Si, bien sûr. J’ai fait mon premier concert à treize ans, au Centre Culturel de Marchin, je ne l’oublierai jamais. Jusqu’à l’âge de seize ans, j’ai été chanteur et guitariste d’un groupe de rock. Nos références, c’étaient les Stones et les Beatles. Puis vers la fin des années nonante, je me suis intéressé à la mouvance de l’époque, des groupes émergents anglais comme Blur, Supergrass ou The Vines. Tous ces groupes étaient eux-mêmes des descendants des Beatles. J’ai été bercé par cette musique. Jamais par le metal par contre. Plus tard, je me suis intéressé aux groupes des seventies : Genesis, Soft Machine, King Crimson, …
«J’ai ressenti dans «Kind of Blue» une incroyable liberté de jeu. C’était neuf pour moi, cela a constitué ma porte d’entrée dans le jazz.»
Est-ce via des groupes comme Soft Machine que tu t’es intéressé au jazz ?
G.V. : Non, pas du tout. C’est grâce à Miles et « Kind of Blue ». Je me rendais souvent au Discobus (une médiathèque itinérante qui prouve encore par cette interview toute son utilité – NDLR). A cette époque, Alain Pierre était mon professeur de guitare classique à l’académie de Huy. Il m’avait confié une liste de disques qui pourraient me plaire. Là-dedans, il y avait Keith Jarrett, Ralph Towner et « Kind of Blue ». Un jazz abordable pour moi. J’ai ressenti dans cette musique une incroyable liberté du jeu. C’était neuf pour moi. Ils ont constitué ma porte d’entrée dans le jazz.
Parle-nous de ces cours de guitare.
G.V. : Onze années de guitare classique à l’académie, puis le conservatoire de Bruxelles durant sept autres années…
Avec cette fois l’intention de te jeter à corps perdu dans le jazz…
G.V. : Ah oui ! Je n’hésite pas à le dire aujourd’hui : j’ai dû « guérir » de l’enseignement du conservatoire, un enseignement conservateur avec ses codes incontournables. J’en devenais asocial. Je passais plus de douze heures par jour à travailler la guitare. Je ne faisais que ça : cours au conservatoire, entraînement, jammer, rentrer au kot… Et ainsi de suite durant de longues années. J’ai pratiqué la guitare comme un fou ! Ça m’ouvrait des portes à pas mal de choses, mais il m’a fallu beaucoup de temps aussi pour digérer cette période de ma vie.
On évoque bien souvent dans la presse ton caractère rebelle… J’imagine que tu assumes ?
G.V. : Complètement ! Même si durant pas mal de temps, on m’a associé au jazz, à ses standards… que je pratique toujours hein ! Les standards, le bebop, ça reste la meilleure école pour s’entraîner… Pour ma part, je voulais m’en démarquer, avoir un son qui cogne, que ça joue ! Et dans les standards, je ne pouvais pas trouver cela. Cette musique, ce n’était pas pour moi. Finalement, j’ai débuté ma métamorphose grâce au COVID.
«Au moment-même où la pandémie s’est déclarée, je me trouvais à une période de ma vie de guitariste où tout se passait bien. Le COVID m’a coupé l’herbe sous les pieds.»
A ce sujet, ton témoignage dans notre magazine avait été particulièrement touchant. On t’a senti désabusé. Est-ce que tu as pu récupérer une partie du retard que tu espérais résorber en matière de projets, de concerts ?
G.V. : Au moment-même où la pandémie s’est déclarée, je me trouvais dans une période de ma vie de guitariste où tout se passait bien. Je devais entamer une tournée avec Thyph Barrow et avec Sharko. Mon album « Harvest » était prêt à sortir. Le COVID m’a coupé l’herbe sous les pieds. Pour répondre clairement à ta question : non ! Tout n’a pas été récupéré depuis, et même, la situation s’est empirée… Par contre, le confinement m’a guéri de beaucoup de choses. Durant cette période, j’ai pu me recentrer sur moi-même, réfléchir à ce que je voulais vraiment devenir comme musicien. Ça m’a beaucoup aidé et c’est ce que je veux retenir aujourd’hui.

Guillaume Vierset © Robert Hansenne
Parlons alors des trois « Guillaume » que nous connaissons depuis. A commencer par le projet Harvest. Les textures sonores sont plutôt douces. On y trouve un violoncelle, un saxophone, …
G.V. : Oui, c’est un peu le principe d’une musique acoustique qui nous renvoie à une certaine nostalgie, qui nous confronte à nos émotions. J’avais besoin de briser le format du jeu technique lié au jazz. Avec Harvest, je voulais jouer une musique aérienne, qui respire, avec des espaces, et quand même un peu d’improvisation aussi.
C’est à cette époque que tu découvres Nick Drake ?
Oui, je venais d’hériter d’une belle collection de vinyles. Je l’ai découvert dans le tas et j’en suis immédiatement tombé amoureux. La musique folk fait un peu partie de moi. Je me mets même un peu en danger avec mon nouveau projet IAMWILL où je me mets à nu, où je vais au bout des choses. Depuis, j’ai mis Harvest un peu de côté, mais j’ai trois albums qui pourraient être publiés…
Edges ensuite, un projet nettement plus rock. Est-ce Sharko qui t’a poussé vers cette voie-là ?
G.V. : Non, mais en jouant avec lui, j’ai senti que cette musique me faisait vibrer. Edges, ce sont des rythmes sauvages, en même temps ouverts sur les improvisations. J’ai besoin de me sentir libre dans la musique que je joue. C’est parfois contradictoire. On ne me croit pas quand je dis que je parviens à trouver cette liberté quand je joue des morceaux plus cadenassés avec Typh Barrow ou avec Sharko. J’ai aussi joué dans des projets qui ne me correspondent pas, comme le LG Jazz Collective. Ce que je ne regrette pas, car cela m’a permis d’écrire des musiques et des arrangements très complexes.
«J’ai envie de demeurer libre dans mes choix, mais j’ai aussi un peu envie de me rendre là où on m’attend, où il y a du répondant.»
IAMWILL se trouve-t-il à la convergence de Edges et de Harvest ?
G.V. : Oui, sans doute. Curieusement, lorsque l’on comptabilise les écoutes Spotify de IAMWILL, on obtient largement de meilleurs résultats. J’ai envie de demeurer libre dans mes choix, mais j’ai aussi un peu envie de me rendre là où on m’attend, là où il y a du répondant. On va pas se mentir, c’est compliqué de faire tourner et de faire vivre un projet comme Edges en Fédération Wallonie / Bruxelles. Ça devrait être un projet qui corresponde davantage aux attentes du public flamand, mais la frontière linguistique est quasiment hermétique. De ce fait, je mets aujourd’hui beaucoup d’énergie dans IAMWILL, je m’y accroche, je pense que des portes peuvent s’ouvrir.
Y aura-t-il une suite discographique ?
G.V. : L’album est prêt, il est programmé pour le début de l’année 2027. D’ici-là, un EP devrait sortir dès cet automne. Je continue d’écrire pour ce projet.
Les paroles sont de Sharko ?
G.V. : En partie, parfois je les écris moi-même. Je commence à les écrire en français. Mais en fait, je ne peux pas non plus lâcher mes autres projets, j’éprouve le besoin de me sentir bien musicalement. Tout s’assemble, les trois projets. C’est ma « patte ». Ça me perdra peut-être…
Parlons de ton dernier album, publié en configuration Edges.
G.V. : Edges… Oui, c’est important. Sans Edges, ce serait compliqué. Ça représente un an de boulot, la préparation de la release au Botanique. Sans perspectives de jouer lors des festivals de l’été. Je t’en parle ouvertement : il y a un problème de « cases » chez les programmateurs. Ils me disent que c’est trop rock ou trop jazz, mais que c’est super…
Tu n’es pas le premier à me dire qu’en ce moment il est difficile d’obtenir un concert en Fédération Wallonie / Bruxelles…
G.V. : C’est la vérité. Depuis le concert au Botanique, que nous avons rempli à moitié, il n’y a plus rien eu. Je devrais pouvoir faire une tournée des clubs de jazz l’année prochaine, mais j’espérais un peu mieux. Et pourtant, je n’ai jamais été aussi fier d’avoir sorti un album comme « Morning Mr. Protocol », jamais !
«En vérité, je n’en peux plus de côtoyer des Mister Protocol ! J’aurais aimé vivre dans un monde où il y a du bon sens.»
Au fait, qui est ce Monsieur Protocol ?
G.V. : Ce sont les Messieurs qui se lèvent chaque matin pour toujours faire la même chose. J’en ai fait un clip avec des personnages Playmobil. Ils n’ont pas de coudes… On peut aussi en parler en mode politique, surtout en ce moment. En vérité, je n’en peux plus de côtoyer des Mr. Protocol ! J’aurais aimé vivre dans un monde où il y a du bon sens. Mais actuellement, ce n’est pas le cas. L’attention et les valeurs ne se trouvent pas où elles devraient être. Avec cet album, je tente de m’y opposer avec une certaine ironie. Quand j’écris « Morning Mr. Protocol », je pense « au revoir ».
Ce disque, paru en vinyle, tu l’as clairement scindé en deux. Deux faces : une face plus lumineuse, l’autre agressive dans le sens « punk », avec ses codes.
G.V. : Oui, la musique est d’abord retenue, jusqu’à la fin de la face B avec « Fuck You Mr. Protocol ». Après, on se lâche… On retrouve cette ironie dans tous les titres : « Punk You », « Punk Me », … Cet album est une critique acerbe du monde actuel.
Et il se termine par ce titre : « Thank You For Listening, Good Night, Lovers »…
G.V. : Si j’ai travaillé pour que cet album sorte, c’est évidemment pour qu’il soit écouté. C’est pour cela que j’ai choisi ce titre. Quand quelqu’un me complimente pour ma musique, ça me touche profondément. En 2025, ça devient difficile de garder la foi lorsqu’on est musicien. Les compliments, c’est super, mais si à la fin je remplis un demi Botanique et que plus personne ne souhaite poursuivre l’aventure, ça devient juste frustrant.
Le line-up est différent, même si l’instrumentarium demeure le même.
G.V. : C’est le même esprit en tout cas. Sur le premier album, j’avais pu obtenir l’engagement de deux pointures internationales comme Jim Black et Anders Christensen. Quand je les avais appelés à l’époque, nous nous trouvions en période de COVID. Ils avaient du temps devant eux. Ce n’est plus le cas… Puis il y a l’aspect financier aussi… Et il faut savoir que les concerts me donnent moins de revenus aujourd’hui qu’il y a dix ans ! D’un autre côté, j’ai la chance de jouer avec Teun Verbruggen qui est un batteur apocalyptique ! Dorian Dumont et Matteo Mazzù, c’est pas mal non plus !
Quelle serait ta définition du mot « punk » ?
G.V. : Pour moi, le punk représente une philosophie. On a tendance à résumer cela à une musique jouée par des musiciens qui ne savent pas jouer… C’est pas toujours faux d’ailleurs. Les Sex Pistols, en tous cas, ce n’étaient pas de grands instrumentistes. Ce qui me plaît dans cette musique, c’est qu’elle est revendicatrice, qu’elle a brisé des codes. Puis il y a l’attitude aussi… Mais attention, Edges, ce n’est pas punk non plus. Même si sur scène, c’est dense, intense, crispé… Et que parfois, ça part en couille ! Un jour, un spectateur m’a dit que nous jouions un jazz déglingo… J’adore ça ! Il n’existe pas beaucoup de jazz comme ça !
Edges en concert au Rockerill de Charleroi le 26 septembre et au Reflektor de Liège le 27 septembre.
Edges
Morning Mr. Protocol
Igloo Records