Half Asleep : La musique et les livres d’heures

Half Asleep : La musique et les livres d’heures

Valérie Leclercq © Thomas Jean Henri

Cela faisait tellement d’années que j’en avais presqu’oublié l’existence de ce groupe. Et puis, sans crier gare, Valérie Leclercq, la chanteuse pianiste mais aussi multi-instrumentiste belge, qui se cache derrière Half Asleep, publie un magistral nouvel album nommé « The Minutes Hours ‐ Les Heures Secondes » sur lequel elle abandonne la musique un brin folk triste pour nous immerger dans un univers où se côtoient musique classique, contemporaine, chants en anglais, chœurs remarquables, jazz et d’innombrables trouvailles captivantes. L’occasion de reprendre contact pour un nouvel entretien. Des années après celui réalisé pour le fanzine Devor Rock.

«J’avais un projet assez ambitieux pour cet album-ci, mais franchement je ne savais pas comment l’aborder.»

Nous en sommes pratiquement à une vingtaine d’années sans album de Half Asleep…
V.L. : Oui, l’album précédent date de euh… 2011 ça fait en effet longtemps !

Et tu l’expliques de quelle manière ? Tes intérêts pour d’autres projets artistiques ?
V.L. : Il y a plusieurs facteurs dont un qui est que je sois chercheuse à l’Université. J’ai fait une thèse qui m’a pris beaucoup de temps. J’avais un projet assez ambitieux pour cet album-ci, mais franchement je ne savais pas comment l’aborder, le réaliser et cela m’a pris un certain temps avant de rencontrer les bonnes personnes.

Cela t’a pris dix ans pour le réaliser. Mais il est magnifique.
V.L. : Eh oui dix ans. Même plus parce que les chansons ont été écrites il y a environ quinze ans !

Tu les as gardées telles quelles ou tu as apporté des remaniements par la suite ?
V.L. : Les bases sont assez similaires, mais ce qui a bougé pendant ces quinze ans ce sont les arrangements. Ceux que j’avais au début étaient très différents, ils étaient plus classiques, mais plus le temps passait et plus j’avais envie de rajouter des éléments.

L’album est diversifié, mais il possède une belle cohérence…
V.L. : C’est chouette qu’on me dise cela, cela fait plaisir. Je trouve cela aussi, mais comme tout m’est lié, la cohérence pour moi est facile à trouver, mais je suis contente que de l’extérieur cela apparaisse aussi.

Valérie Leclercq © Thomas Jean Henri

A tes débuts, j’avais qualifié ta musique de « sadcore », mais quelle évolution ! Nous sommes passés de choses très calmes, fragiles, tristes à des morceaux denses, très élaborés, très diversifiés. Avec même des approches d’opéras classiques comme sur « Yes No Maybe Yes Again Again No »… Proche du fantastique, du dramatique…
V.L. : C’est vrai qu’il y a un peu de tout cela. Mais quand j’ai commencé, c’était une tout autre époque, celle du sadcore, des côtés tristes. Mais je pense qu’à cette époque l’envie d’aller plus loin était déjà présente. Maintenant, je pense y être arrivée.

Si je te dis que « Midnight Seam » fait un peu opéra gothique, quelle est ta réaction ?
V.L. : Oui c’est vrai. J’aime beaucoup les chansons « à tiroirs » et le côté opéra vient certainement du fait que j’avance avec différents « tableaux ». Mais je ne connais pas très bien l’opéra, je suis plus portée vers la musique classique. (Je lui parle alors de Peter Hammill et de son opéra gothique, « The Fall Of The House Of Usher » d’après un texte d’Edgar Allan Poe. Elle ne connaît pas, ce qui est assez logique vu nos différences d’âge, mais elle montre de l’intérêt pour le découvrir.)

Sur certains titres, tu as laissé des musiciens improviser…
V.L. : Oui, mais pas tant que cela. C’est surtout mon saxophoniste Mathieu Lilin que j’ai laissé faire.

Il est extraordinaire à clarinette basse sur « Interlude # 2 »…
V.L. : Oui, il est vraiment super et il a obtenu le son que j’avais vraiment en tête, vraiment celui que je désirais.

«Je n’avais jamais joué sur un piano à queue ! Ce fut une belle expérience.»

La musique classique est fort présente, notamment sur trois titres…
V.L. : Tout à fait. Au moment de concevoir cet album, donc il y a quinze ans, j’écoutais beaucoup de la musique classique et de la musique contemporaine.

Et la présence de ces chœurs ?
V.L. : Elle vient aussi de cette volonté de rajouter des choses. Sur l’album de 2011, il y avait déjà des recherches sur les voix et cela n’a fait que s’accroître avec le temps. Et dans le futur, c’est une chose que je vais continuer d’explorer. J’adore le travail sur les voix.

Ce sont souvent des voix féminines ou bien c’est ta voix qui est doublée…
V.L. : Oui, ma voix est doublée et parmi les gens qui chantent avec moi, il y a ma sœur Oriane qui a une voix proche de la mienne, pas toujours facile de nous distinguer ! Il y a aussi la chanteuse du duo français Midget ! C’est elle qui chante le dernier morceau. Ils habitent à Bruxelles, ce sont des amis et c’est chez eux que j’ai enregistré une grande partie du disque.

Valérie Leclercq © Thomas Jean Henri

Comme certains enregistrements datent d’il y a longtemps, tu peux me dire quelques mots sur l’utilisation du grand piano Bösendorfer et son enregistrement qui date de 2013 ?
V.L. : A l’époque, j’avais deux connaissances qui habitaient Mouscron et qui connaissaient le milieu musical du coin et moi je cherchais un piano pour enregistrer. J’ai eu accès gratuitement à ce piano qui se trouvait au Centre Marius Staquet. Il était au sein d’un grand auditorium et c’est là que l’enregistrement s’est fait. Cette marque de piano est vraiment une référence pour les concertistes, je n’avais jamais joué sur un piano à queue auparavant. Ce fut une belle expérience. Ces enregistrements étaient déjà destinés à l’album, mais la vie a fait que je n’ai pas réussi à leur donner suite, donc je les ai gardés en attendant. Et au fil des années, j’ai fait les autres enregistrements. Cela a pris beaucoup de temps ! C’est un peu n’importe quoi, mais voilà ! (rires) Et pendant l’enregistrement il y avait des pigeons sur le toit et on entendait des « tac tac tac ». On les entendait sur certains enregistrements mais pas sur l’album !

Il y a aussi ce titre écrit en vieux français « Car sans heures ne puys »… alors que c’est chanté en anglais…
V.L. : Bonne question… Cette phrase, qui vient des « Livres d’heures » médiévaux, fait aussi référence au titre de l’album « Les heures minutes ». Cette phrase vient d’une dame qui disait : « Sans mes heures je ne puys prier Dieu ». Mais j’ai enlevé la référence religieuse. Ce sont de superbes livres avec de belles enluminures et ils vont accompagner la journée du croyant à différents moments, et notamment à l’heure des prières. Mais c’est avant tout parce que j’adore les enluminures et ce nom : « Les livres d’heures ». Je trouve cela tellement beau. Et le lien au temps est très important pour moi, d’où aussi le titre de l’album. Et j’aime bien ce titre en français même s’il n’y a aucune parole en français. Il y a aussi ces trois unités de temps en anglais / français avec « Minute, Heures Secondes ».

«Le lien au temps est très important pour moi, d’où aussi le titre de l’album.»

Tu peux nous dire quelques mots sur le créateur de la pochette ?
V.L. : Elle est du graphiste Gustave Lafon mais, en fait, c’est une fille, c’est son nom d’artiste. Je trouve la pochette très personnelle, elle est très énigmatique. Mais c’est une artiste très méticuleuse, chaque élément est pensé, il y a plein de références à notre relation, des choses qu’elle sait que j’aime, elle déborde d’idées. Toutes deux nous aimons l’espace, les étoiles, mais si on regarde de plus près, on voit de la neige ! J’avais donné quelques indications basiques puis elle a fait son œuvre.

Et tu as d’autres activités…
V.L. : Je commence à faire de la musique pour de la création radio et là j’ai un projet pour un court-métrage. Je fais aussi de la musique pour d’autres. Je suis « artiste » mais j’ai tellement de choses en parallèle.

Des concerts sont-ils prévus ?
V.L. : Pas pour l’instant, mais il faut trouver des concerts, et des concerts où nous sommes malgré tout bien payés, mais je suis tellement occupée. Je veux vraiment en donner, il faut faire vivre cet album mais ce ne sera pas pour cette année. Pour l’instant, je travaille à une version de l’album pour la scène. Ce sera en duo, donc il faut adapter toute la musique à cette formule. Nous utilisons beaucoup de claviers, des guitares, deux voix et puis parfois on utilise des enregistrements. C’est un exercice intéressant.

Nous attendrons et j’espère « A pas dans 20 ans »…
V.L. : (rires) Non, je suis déterminée à ne plus mettre autant de temps pour le prochain disque.

Half Asleep
The Minute Hours ‐ Les Heures Secondes
Three:four Records / Humpty Dumpty

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Claudy Jalet