Hornung Trio, Der Spieler

Hornung Trio, Der Spieler

Hornung trio, Der Spieler

DOUBLE MOON RECORD

Der Spieler est le premier album du pianiste allemand Ludwig Hornung, 31 ans, enregistré en trio aux côtés de Phil Donkin (contrebasse) et Bernd Oezsevim (batterie). L’album s’ouvre sur Echos, pièce moderne et énergique qui dévoile d’entrée de jeu l’univers du jeune musicien : un langage moderne, une esthétique sombre et élégante, servis par une technique impressionnante. Une musique tout à la fois débordante de vie et tourmentée, derrière le masque d’une exécution sans faille. Je pense à Phronesis, brillantissime trio londonien mené par Jasper Høiby, et – pourquoi pas ? – à Sergei Prokofiev, cultissime compositeur russe à l’esthétique torturée qui lui-même réalisa un opéra basé sur le Joueur (der Spieler) de Dostoïevski. Le second titre, Im Wald, signe et contresigne l’esthétique introduite par Echos, l’incarnant cette fois dans une ballade ténébreuse, introspective, hypnotisante comme un feu de cheminée dans la pénombre d’un soir de décembre*. Un véritable coup de cœur, qui contraste de la meilleure manière qui soit avec le titre précédent qui, malgré ses qualités, pouvait laisser craindre un excès de technicité indigeste pour la suite. La pièce éponyme, Der Spieler, reprend là où la flamme de Im Wald s’est éteinte; elle émerge du silence pour lentement prendre en ampleur, et finalement s’embrase sur une rythmique drum and bass endiablée. Au fil des pièces, l’esthétique bien trempée du Hornung Trio navigue à travers différents styles bien identifiables, sans qu’à aucun moment on ne sente la chose forcée : free jazz (Ursache und Wirkung), bop effréné (Kokolores), moderne (Echos, Nach Hause Wanken). Pour une même palette de couleurs sombres, autant de toiles sonores possibles… L’auditeur est tenu en haleine par la diversité qui s’offre à lui : chaque morceau est une surprise, un nouveau paysage musical à découvrir. En avant dernière pièce, un détour autant inattendu que bienvenu par le répertoire de Thelonious Monk : la superbe et grinçante Ugly Beauty, seconde ballade présente sur l’album, interprétée avec une grande finesse. L’album se boucle par Nach Hause Wanken, un titre coup de poing qui, plus encore qu’Echos, me rappelle l’énergie de Phronesis. Un premier album est toujours une aventure, autant pour les musiciens qui l’offrent que pour le mélomane qui découvre. Ludwig Hornung et ses compères sortent de ce défi la tête haute, et offrent avec Der Spieler une nouvelle illustration de la vitalité artistique de la scène jazz européenne en 2017.

Kenzo Nera

*Excusez l’effusion lyrique. Mais ceux qui ont lu – ou liront – le Corbeau d’Edgar Allan Poe comprendront l’émotion dont il est question…