Igor, Ornette et Frédéric…

Igor, Ornette et Frédéric…

Igor Gehenot Trio, “MOTION”

Concert de présentation au Studio 1 de Flagey

Il est 20h05, entrée dans le Studio 1 de Flagey, pour les “non résidents”, Flagey est l’ancien paquebot de l’Institut National de Radiodiffusion ! La salle est déjà fort bien remplie, surtout si l’on tient compte des rangées de chaises amovibles ajoutées devant la scène. L’acoustique y est bien entendu idéale. On  regrettera cependant quelques petits couacs au niveau de la sonorisation, et surtout sur le plan de l’amplification du piano. Pourquoi ne pas éloigner beaucoup plus les enceintes des bords scène ? Assis devant le piano Steinway sur lequel Igor allait jouer, je l’observais, là devant moi, avec l’impression désagréable que le son du piano me parvenait par derrière ! 

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20h15, comme il sait si bien le faire, Igor Gehenot va lancer ce concert de présentation de “Motion” sur les chapeaux de roues avec Crush, composition enlevée qui se trouve en ouverture de son album. Crush, comme Back Country, ne sont pas sans rappeler d’autres “piano trio” de ce siècle, comme Bad Plus ou encore E.S.T. (Esbjörn Svensson Trio).

Et, à juste titre, Crush va emballer le public, étonnement jeune ce soir ! Ce sera Santiago pour suivre, un titre composé à l’occasion d ‘une tournée au Chili. On y reconnait de suite cette “Gehenot touch” typique, avec un sens du lyrisme cisellé, et où on perçoit encore, ici et là, le compagnonnage d’un certain Eric Legnini, un autre belge de bord de Meuse.

Comme il se doit, Igor va proposer l’ensemble de l’album, dont une grande partie de compositions originales. Des surprises étaient annoncées, elles viendront de deux titres effectivement inattendus, une étude de Chopin et Round Trip d’Ornette Coleman. Choc de styles, de genres et même de cultures.  L’interprétation de l’étude de Chopin va très vite confirmer qu’Igor n’a rien à faire de ce côté-là de l’histoire de la musique. Chopin, ce n’est pas sa grammaire, comme dirait Toots Thielemans. Dès lors, comment s’étonner que le moment le plus fort du concert fût son interprétation de Round Trip, composition d’Ornette Coleman, totalement maîtrisée par un Igor Gehenot en grande forme, débarassé du stress de début de concert, et même inspriré et enjoué au moment d’improviser, à l’aise avec le tempo perturbé de ce titre.

Igor est à l’aise avec Ornette, et je pense définitivement fâché avec Frédéric.

Igor Gehenot est jeune, fort jeune. Cela se ressent encore dans la dynamique avec ses complices, un excellent Philippe Aerts à la contrebasse : un contrebassiste comme les pianistes doivent se l’arracher, un vrai pilier à partir duquel Igor peut danser sur son clavier. Quant au batteur, Teun Verbruggen, un vrai touche à tout, “all round” du jazz et des musiques improvisées. Dans un solo, Teun va même oser mimer son jeu, inaugurant en quelque sorte une tentative d’air drums. Pourquoi pas ? Mais, on a déjà vu et entendu un Teun Verbruggen plus concentré, moins désinvolte, donc plus investi dans son rôle d’accompagnateur. L’avenir montrera si c’était juste ce soir-là.

“Motion”, deuxième album du trio d’Igor Gehenot pour Igloo Records, et, la confirmation que ce trio-là peut définitivement s’attaquer au niveau international, en oubliant Frédéric, et avec les ombres d’Ornette, Thelonious et les autres.   

Philippe Schoonbrood