
Jazz bij de buren/Salut les voisins (Leuven Jazz Festival, 03/25)
S’il est vrai que la Flandre et la Wallonie restent deux entités politiquement distinctes, grâce à quelques têtes brûlées, c’est loin d’être le cas dans le milieu du jazz, où les musiciens des deux régions linguistiques nouent librement et avec enthousiasme les liens les plus divers.
Du côté wallon, Jean-Pierre Bissot, fondateur et inspirateur du Gaume Jazz, s’est engagé dans cette voie depuis des années. Suivant son exemple, une nouvelle initiative a été lancée par JazzLab en collaboration avec son homologue wallon Fazz (anciennement MUSEACT) et Leuven Jazz. Les autres « complices du crime » s’appellent VI.BE, Wallonie-Bruxelles Musiques, la Communauté flamande et la Fédération Wallonie-Bruxelles.
La première édition a eu lieu les 19 et 20 mars derniers dans le cadre du Leuven Jazz sous le titre « Jazz bij de buren / Salut Les Voisins ». Cinq groupes wallons-bruxellois ont eu ainsi l’occasion de se mettre en valeur : Munsch Trio, Stéphane Galland & The Rhythm Hunters, Under the Reefs Orchestra, le trio Frank Vaganée – Sam Gerstmans -Teun Verbruggen et Bex.
Pour donner plus d’attrait à ce concept, plusieurs programmateurs (inter)nationaux ont été conviés. On reproduit ainsi l’ancien concept du « Belgian Jazz Meeting », mais à une moindre échelle et avec un objectif plus précis.
MUNSCH (30CC)
Ce trio belgo-brésilien, formé par Adrien Lambinet (trombone), Julien de Borman (accordéon) et Eduardo Prudente (percussions), nous propose un mélange grossier de folk et de jazz, mais de manière très originale. Leur premier album, « Entropia » (Igloo), était une première rencontre. Au Leuven Jazz, cela s’est traduit par un set dynamique dans lequel ils ont habilement mélangé l’acoustique et l’électronique. Ils ont même inclus un morceau de Vivaldi, ainsi qu’une valse aux accents épicés et ils ont brièvement flirté avec le rock progressif. On est ainsi passé d’une création atmosphérique raréfiée à des débordements exubérants. L’un des points d’orgue a été le moment où le tromboniste Adrien Lambinet s’est pris les pieds dans le tapis en utilisant des pédales et des « boucles ». La présentation avec la touche d’humour nécessaire et en quatre langues (français, néerlandais, anglais, bruxellois !) a constitué un autre moment remarquable. Ces trois polyglottes musicaux associent étroitement et pertinemment le public à leur « performance ». Il n’est dès lors guère surprenant qu’ils aient immédiatement décroché un contrat pour un concert à l’étranger.
Stéphane Galland & The Rhythm Hunters (30CC)
Le quintette constitué autour du batteur Stéphane Galland a franchi de nombreuses frontières nationales et internationales. La prestation du groupe a été l’un des moments forts de la Conférence européenne du jazz qui s’est tenue à Gand, en septembre 2024. D’ailleurs, ils se sont vu proposer plusieurs concerts dans cette ville par la suite. Avec Shoko Igarashi (JP) au saxophone ténor, Sylvain Debaisieux (FR) au saxophone alto, Pierre-Antoine Savoyat (FR) à la trompette, Wajdi Riahi (TN) au piano et Louise van den Heuvel (NL) à la basse électrique, Galland peut compter sur la crème de la jeune scène internationale du jazz établie dans notre région. Le concept est inscrit dans le nom du groupe, mais tout ne tourne pas uniquement autour du rythme. Ainsi, lors du concert au 30CC, chaque musicien a bénéficié d’un espace appréciable pour offrir la variété nécessaire par le biais de passages en solo. Galland a clairement joué le rôle de plaque tournante, mais il s’est surtout beaucoup amusé. Le set était un tantinet moins compact qu’à l’accoutumée, mais cela a permis de sublimer le potentiel sous-jacent de chacun. Ils ont ainsi combiné le cérébral à l’exubérance et à l’expérimentation. Ce n’est pas par hasard qu’ils ont interprété « The Lindy Effect », l’un des titres phares de leur premier album.
Under The Reefs Orchestra (Campus Corso)
Voici un autre groupe qui a laissé une forte impression lors de la récente Conférence européenne du jazz. Le guitariste Clément Nourry, le saxophoniste Marti Melia et le batteur Louis Evrard se présentent comme un power trio, mais il y a plus que cela. Au Corso, ils ont fait étalage de leur flexibilité. Alors qu’ils se donnent à fond dans un petit club, ils ont adopté ici une approche un peu moins rigide. Avec leur mélange explosif de surf, de jazz, de punk, de twang et de grunge, ils sont parvenus à faire bouger le public assis. Une fois de plus, ils ont poursuivi la ligne tracée à l’époque par Dans Dans. Le guitariste Nourry, en particulier, vole la vedette. Si Link Wray s’était retrouvé dans un trio d’improvisation, la musique aurait ressemblé à celle de Under The Reefs Orchestra. Voici un candidat sérieux pour les festivals de rock et de jazz.
Vaganée-Gerstmans-Verbruggen (30CC)
Avec le bassiste wallon Sam Gerstmans comme trait d’union entre le saxophoniste flamand Frank Vaganée et le batteur bruxellois Teun Verbruggen, on ne peut pas faire plus belge. Depuis environ cinq ans, les trois musiciens allient le plaisir de jouer et les références au passé, c’’est leur force motrice principale. Et il n’en va pas autrement dans le cadre de Leuven Jazz. Aucune insertion révolutionnaire, donc, mais bel et bien une solide maîtrise selon les codes du « jazz classique ». Il s’agit de jazz de club, qui tient compte de la tradition, mais avec une vision contemporaine et l’improvisation nécessaire. Dans un registre purement acoustique (pas d’électronique, une rareté de nos jours), ils ont présenté un programme varié de standards complété par une composition de Vaganée. Ils ont ainsi enchaîné les ballades sulfureuses, le swing, le blues, le bop et un détour par la Nouvelle-Orléans. C’est merveilleux que cela existe encore ou, comme Louis Armstrong l’a chanté (et ils l’ont joué), « C’est Si Bon ».
BEX
Avec un premier album EP pour carte de visite, la chanteuse et compositrice louvaniste Rebecca Driesmans a proposé un set imprégné d’électropop. Elle était accompagnée de la bassiste Louise van den Heuvel et du batteur/percussionniste Victor Khaddaj. Les trois musiciens ont recouru intensivement à l’électronique. Si l’on ajoute à cela la voix sensible et raréfiée de Rebecca, la comparaison avec Lynn Cassiers est inévitable.
Les inconditionnels de Naima Joris se seront également régalés de temps à autre. En interprétant une chanson d’Arthur Russell, le trio a fait preuve de bon goût. Bex faisait un peu figure d’oiseau rare égaré au sein de cette sélection.
Coda
A vos agendas : les 8, 9 et 10 août, quatre groupes flamands seront à l’affiche du Gaume Jazz, le festival de jazz le plus libertaire de Belgique. Pour cette prochaine édition, le choix s’est porté sur Burn Sings Nina, Sam Vloemans’ Bord du Nord, Elis Floreen et Kin Gajo. Vous trouverez toutes les informations prochainement sur www.gaume-jazz.com. A suivre donc.
Traduction libre : Alain Graff