Jazz Middelheim 2025

Jazz Middelheim 2025

Van Herzeel & Galland © Simon Leloup

Après trois ans d’absence, le mythique festival anversois Jazz Middelheim, repris en main par Bert Schreurs (Brosella) et Gilles de Decker (Paradise City), a retrouvé le chemin du Parc Den Brandt. Du 6 au 9 juin, trois jours durant, on a croisé tous les jazz et même au-delà (quitte à s’éloigner un peu de la sphère, diront certains). Pour ma part, j’y fus le dimanche 8 juin.

Programmé en tout début d’après-midi, je n’ai pas eu l’occasion d’assister au concert (que des échos rapportés m’ont dit « excellent ») de Jan Garbarek avec Trilok Gurtu (perc), Yuri Daniel (cb) et Rainer Brüninghaus (tp).

Je n’arrive qu’à la fin du set d’Adja, la chanteuse soul/r&b à la voix et la présence très sûres. Elle fédère d’ailleurs autour de la scène extérieure, le Birdland, un public nombreux et très enthousiaste. L’ayant vue précédemment lors du Brussels Jazz Week-end, je peux confirmer qu’elle assure et que son répertoire vaut le coup d’oreille.

Sous l’énorme chapiteau (avec mezzanine), Shabaka, qui a quelque peu changé son orientation musicale et abandonné le sax au profit de flûtes et de quelques DJ-tools, est bien loin de ses explosifs et inventifs groupes tels que Sons of Kemet et autres Ancestors. Pour être honnête, j’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’un DJ set lounge pour faire patienter l’arrivée de « la star ». Accompagné du pianiste Elliot Galvin pour faire bonne figure, Shabaka enchaîne ses ambiances planantes, alternant flûtes traversières, à bec ou indiennes et modulations rythmiques. Ennuyeux.

Shabaka © Jaan Van Damme
Jeroen Van Herzeele © Jaan Van Damme

Retour en extérieur. Jeroen Van Herzeele et Stéphane Galland présentaient le tout récent projet « Songshan ». Un savant mélange de groove électro, de mesures composées et d’impros mystiques ou furieuses frôlant parfois le free. Van Herzeele se partage entre ténor et EWI, lançant également des effets et des boucles. Les deux musiciens s’entendent à merveille et prodiguent une musique toujours en mouvement, dense et pleine de surprises. Voilà un jazz aventureux qui invite autant à la danse qu’à la transe. Captivant.

Captivante et surprenante aussi, la harpiste ukrainienne Alina Bzhezhinska – que je ne connaissais pas – entourée de son HipHarpCollective (Matt Holmes – dm, Menelik Claffey – cb, Tony Kofi – ts et Joel Prime – perc), propose un jazz qui s’équilibre entre afro/indien, bop et groove traversé d’énergies spirituelles ou lyriques. Le quintette passe en revue des thèmes inspirés de Coltrane (Alice), de Dorothy Ashby (« Soul Vibrations ») ainsi que des compositions personnelles extraites des albums « Altera Vita » ou « Reflections », que je vous invite d’ailleurs à découvrir. Alina Bzhezhinska, à la technique parfaite et fluide, surprend aussi par les échanges pertinents avec le fougueux saxophoniste anglais Tony Kofi. L’esprit empathique du groupe a un effet immédiat et positif sur le public qui réagit spontanément et avec beaucoup de ferveur. Alina Bzhezhinska se nourrit des racines du jazz pour en faire quelque chose de très actuel, tout en étant aussi inventif qu’accessible. Très belle découverte.

Alina Bzhezhinska © Simon Leloup
Alabaster DePlume © Simon Leloup

De son côté, l’indomptable Alabaster DePlume entame son set en mysticisme et chamanisme. Puis il s’engage avec furie dans des discours activistes et engagés. Le sax de travers, l’anglais danse, remue sans cesse, provoque la bouillonnante bassiste Ruth Goller, le violoniste Mikey Kenney et l’excellente batteuse (qui remplaçait Donna Thompson et dont le nom m’a échappé). A l’instar de ses grands prédécesseurs (Sun Ra, Mingus, Shepp ou Roach) DePlume balance un jazz âpre, plein de groove et de rage. Très contemporain, truffé de messages politiques et d’appels à la paix.

Les jeunes pousses du BXL x LDN Interplay (II) bénéficient, eux, de la grande scène qui a fait le plein, pour présenter le fruit de leur collaboration et de leur résidence anversoise. On trouve, du côté belge, Adia Vanheerentals (as) Anton Robberechts (eg), Marius Rabbe (tb), et chez les anglais, Myra Brownbridge (cb), Cassius Cobbson (dm) et David Kayode (ts).

Chacun a composé pour le groupe. Chacun a sa sensibilité et pourtant on remarque une grande cohérence de l’ensemble. Des moments funky, d’autres plus complexes ou très élaboré et aussi joliment poignants s’enchainent sans faiblir, comme lorsque Chantal Acda – qui coachait le combo avec le trompettiste Mark Kavuma – vient chanter et tempérer les ardeurs de chacun. Une heure de très bonne musique durant laquelle il faut souligner les talents d’impros du guitariste, du tromboniste ou encore les échanges lumineux des deux saxophonistes. L’avenir nous réserve de belles choses et cela nous réconforte.

Theo Crocker © Daria Miasoedova

Il reste encore à retourner voir le Speaker Corner Quartet qui, comme à son habitude, invite plein d’amis à les rejoindre sur scène (jusqu’à se retrouver à une bonne dizaine). Raven Bush (v), Biscuit (fl), Peter Bennie (eb) et Kwake Bass (dm) mettent un peu de temps avant de faire décoller la machine. L’arrivée des deux rappeurs (Confucius MC et Goya Gumbani) vient bousculer le tout et donne une autre couleur à la prestation. Et les couleurs, ainsi que l’énergie, évolueront encore avec l’arrivée de Shabaka, de quelques soufflants ou d’un DJ « scratcheurs ». On scande « Love, Love » et cela se termine en jam explosive.

Un peu en retard sur l’horaire – on a laissé le temps aux groupes de prester au-delà du timing prévu et au public de se sustenter sans se presser – Theo Crocker et son band ont l’honneur de clore l’une des meilleures journées du festival (certains se sont posé pas mal de questions quant à la programmation globale).

Le trompettiste est l’une des dernières sensations de la scène jazz de ces récentes années. Biberonné au hard bop dès son enfance par son célèbre grand-père Doc Cheatham, Theo Crocker a façonné son style et sa voix. Avec beaucoup d’intelligence et sans jamais succomber à la facilité ni aux clichés, il arrive à fusionner la tradition avec le hip-hop, la pop ou encore les musiques des îles. Trompette au phrasé souple, articulation claire, son enveloppant et luisant à la fois. Après un début en force, s’aidant parfois de légers effets, le trompettiste américain dirige son quartette avec détermination. Il faut dire qu’il est bien aidé par une solide équipe : Idris Frederick (p) Eric Wheeler (cb) et Miguel Russell (dm)

Le set est concis et maîtrisé. L’efficacité des propos n’a que d’égal les improvisations et les libertés laissées au pianiste (brillant, oscillant entre swing et lyrisme) ou à la rythmique très complice. L’audace et le plaisir se conjuguent et en un jazz neuf et frais. Cet excellent concert, qui a électrisé la foule, est un très bel exemple de ce que le jazz peut encore promettre.

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(*) Artiste en résidence cette année avec The Rhythm Hunters, The Gallands et Kanda.

Jacques Prouvost