Jean-Pierre Froidebise : manuel de survie pour les nuls en show-biz…
Nous connaissons tous le guitariste liégeois Jean-Pierre Froidebise, présent sur les scènes depuis tellement d’années. Il s’est illustré via ses participations à de nombreux groupes, le plus connu étant Such A Noise (4 albums blues rock dans les années 90). Mais également par son rôle d’accompagnateur derrière quelques grands noms de la chanson française, ses participations à des pièces de théâtre et des comédies musicales, la formation du big band « Froidebise Orchestra » et d’un trio blues sous son nom… Son actualité est encore différente puisqu’on le retrouve au sein du Pirotton – Froidebise Quatuor, à la vocation jazz. Enfin, il vient d’auto-publier un livre « Manuel de survie à l’usage des artistes en milieu hostile ». Tout cela valait des explications sur cette actualité ainsi qu’un retour dans son passé, au travers d’une bien belle rencontre.
«Jacques Pirotton et moi on s’est dit que si on ne le faisait pas maintenant, on ne le ferait jamais… Un de nous deux va finir par mourir (rires) !»
Ton actualité est donc ce quartet formé avec le guitariste Jacques Pirotton et la section rythmique de Slang. Quelle est la genèse de cette formation et son style?
Jean-Pierre Froidebise : Le style n’est pas bien défini. Faut nous entendre ! Très orienté jazz vu le passé de mes compères. Le mien de passé, c’est le rock et le blues. Mais j’adore le jazz et Jacques adore le rock ! Et on n’a pas l’occasion de jouer ces musiques que l’on aime. Notre répertoire comprend quelques reprises de guitaristes modernes tels que Bill Frisell que nous avons côtoyé tous les deux, Pat Metheny parce qu’il est incontournable et aussi un titre de John Scofield. Tout le reste ce sont nos compositions. Mais il y a aussi des trucs franchement déconnants et des morceaux très difficiles à jouer (rires) ! Alors, pour l’histoire, il y a aussi le fait que, petits, Jacques et moi habitions dans la même rue à Liège et que nous jouions déjà tous les deux de la guitare ! Il jouait dans un groupe de bal qu’il a quitté et c’est moi qui l’ai remplacé (rires) ! Il a été accompagnateur de chanteurs et chaque fois qu’il quittait, je le remplaçais (rires) ! Il a joué avec Steve Houben en duo puis moi aussi ! Et chaque fois que l’on se voyait on se disait : « Va falloir faire quelque chose ensemble ! » Puis on s’est dit que si on ne le faisait pas maintenant, on ne le ferait jamais. Un de nous deux va finir par mourir (rires) ! Et on a formé ce quatuor on y incluant deux autres potes avec lesquels j’avais joué dans d’autres projets ou en accompagnant Pascal Charpentier. Au fil des années, cela crée des liens, notamment par le fait de vivre ensemble sur la route…
«On n’imagine pas le nombre d’albums qui ont été pilonnés par les labels eux-mêmes !»
Il y aura un cd de ce quatuor ?
J-P.F. : Non. On a réussi à décrocher la tournée des Lundis D’Hortense sur la base d’une démo, ce qui est plutôt rare. On a voulu être le seul groupe qui joue sans album (rires) ! On a reçu des demandes mais on s’en tient à notre décision. Si c’est pour en vendre quelques-uns en concert ou pour servir de carte de promotion vis à vis des organisateurs, on dit « non, merci » ! C’est sinistre mais assez proche de la réalité ! C’est comme pour mon bouquin, on ne l’imprime que si c’est commandé ! Génial, pas de stock (rires) ! Pas de caisses, pas de pilonnage ! Dans les années nonante, un album sur lequel je jouais n’est resté que quinze minutes dans les bacs des disquaires en Allemagne. Ainsi le label a déclaré que cela ne se vendait pas, n’assurait pas de promo, envoyait la marchandise au pilon et ne nous payait pas les droits ! On n’imagine pas le nombre d’albums, de cd qui ont été pilonnés par les labels eux-mêmes. Personne ne sait cela, c’est monstrueux. Et décourageant.
«Les gens qui viennent entendre du blues, ils n’en n’ont pas… Et ceux qui viennent pour le jazz, c’est pareil !»
Tu conseilles ce quatuor actuel aux bluesmen, aux rockeurs ou aux jazzmen ?
J-P.F. : Difficile à dire. Il y a des gens qui sont venus nous voir après un concert à Bruxelles (et là il prend un accent snob – NDLR) « Vous ne faites plus de blues, parce que nous on aime bien quand vous faites du blues ». Je leur ai répondu « Z’avez pas lu le programme ? » (Rires) C’est comme pour le nom du groupe. Nous avions pensé à un véritable nom de groupe mais comme nous sommes connus dans nos milieux, nous trouvions que l’association des deux noms était bien. Les gens qui viennent pour le blues n’en n’ont pas et ceux qui viennent pour le jazz, c’est pareil (rires) ! On a pensé faire une sorte de jazz-rock en reprenant Jeff Beck mais finalement on s’est dit « faisons nos trucs » et ça part dans tous les sens ! On a joué au Spirit et même Francis Géron a adoré tellement c’est diversifié.
«J’ai enregistré un titre de Dylan. J’ai reçu des éloges incroyables aux States, mais il n’est jamais passé en radio ici.»
J’ai vu que tu as redonné un concert avec une affiche comprenant ton trio, Alain Pire Experience et Such A noise. Quelques mots à ce sujet ?
J-P.F. : Mon trio n’existe plus depuis longtemps car j’ai été impliqué, par la suite, dans un projet de formation imposante pour laquelle je devais composer, faire les arrangements, m’investir énormément… Et moi j’aime m’investir dans un projet mais avec les mêmes musiciens et je veux que l’on répète régulièrement. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Mais l’époque est difficile pour les musiciens de blues, ce style n’est plus à la mode. En plus de la pandémie, il n’y pratiquement plus de festivals blues. Puis j’ai pensé, Alain Pire et moi avons été guitaristes de Such A Noise, nous avons joué ou jouons toujours avec le batteur Marcus Weymare et le bassiste René Stock. Cela voulait dire qu’à nous quatre nous pouvions donner trois concerts avec des formations différentes sur une même soirée ! Et cela a attiré des organisateurs et on s’est vite retrouvés avec quelques dates. Maintenant c’est compliqué car comme ils jouent encore dans d’autres projets, ils sont parfois occupés quand on a une date et alors il nous faut trouver un remplaçant ! C’est dur ! Et je me dis que cela n’a plus rien à voir avec l’idée de départ ! On n’est pas interchangeables, j’aime la stabilité d’un projet mais c’est toujours tellement compliqué en Wallonie, alors que les Flamands y arrivent. Et tu as aussi tous ces groupes de covers qui trouvent des concerts alors qu’ils sont souvent employés de banque, qu’ils ont un boulot ! (rires) Mais ces gars répètent tous les mercredis tandis que nous, les pros, on a toujours une excuse pour ne pas répéter « Ah non les gars, j’ai ci, j’ai ça ! » Et moi, je vais avoir 65 ans, j’en ai tellement ma claque, alors ce sera « Goodbye les frères ! » Et pourquoi est-ce que tout cela arrive ? C’est parce que les médias ne font pas leur boulot ! Sur toute ma carrière je suis passé deux fois à la télévision et tu dois sortir sept albums avant qu’un type de la radio ne te dise « Ah oui, c’est pas mal ! » et passe enfin un titre. Heureusement il y a des gens comme Marc Ysaye qui s’intéressent à notre travail. J’ai enregistré un titre de Dylan, j’ai reçu des éloges incroyables des States mais il n’est jamais passé en radio par ici ! De Pierpont est venu me féliciter pour ce titre après un concert à Ittre, il m’a dit que je devais l’enregistrer et je lui ai répondu qu’il avait reçu l’album dix ans plus tôt ! Pour les types de ma génération, nous avons été confrontés à ces situations toute notre vie.
Tu aurais une belle anecdote à nous raconter sur Such A Noise ?
J-P.F. : On avait réussi à décrocher la première partie de Deep Purple à Forest National. On a fait la balance en vitesse et c’était assez impressionnant mais personne ne nous a annoncé avant de monter sur scène ! On te projette comme cela devant dix mille personnes qui ne te connaissent pas. Il y a eu des coups de sifflets mais miracle, on a réussi à avoir l’ambiance ! On n’a même pas joué trente minutes mais on avait intercalé quelques reprises dans le set, dont « Born to Be Wild » et cela a fonctionné. On a quitté la scène sous les applaudissements mais je pense qu’il y en a toujours qui ne savent pas qui nous étions ! (rires) Et là aussi, aucun soutien de la firme de disques, même pas un petit stand avec l’album à vendre ! Rien à foutre de leurs artistes venant de Wallonie. Je viens de lire une biographie de César Franck. A son époque, il établissait déjà le même constat en valorisant notre implantation géographique, si proche de tant de pays intéressants.
«Je sors de scène et Luther Allison vient me trouver avec deux filles aux bras : Hé toi ! Tu joues vraiment bien du bottleneck ! Là j’étais fier…»
Et une rencontre qui t’a marqué ?
J-P.F. : J’en ai eu énormément mais j’ai un très bon souvenir avec le guitariste américain Luther Allison. On avait fait sa première partie en Allemagne, je sors de scène et il s’amène avec deux filles aux bras et me dit « Hé toi, tu joues vraiment bien du bottleneck ». Là j’étais fier. Et quelques années après, je remplaçais le guitariste de Marc Lelangue et on joue au festival de Gouvy où Allison se trouvait en tête d’affiche. On joue l’après-midi, on se balade sur le site et on voit arriver son bus. Il me reconnaît et me rappelle l’histoire du bottleneck en Allemagne ! Incroyable. Je suis monté dans le bus, on a pris des verres. Et le lendemain je faisais la première partie de son fils en France ! Un bon souvenir.
«Je ne voulais pas courir les éditeurs et les imprimeurs et me retrouver avec cinq cents bouquins chez moi.»
On ne va pas se quitter sans parler de ton livre et de ma surprise en te découvrant poète…
J-P.F. : J’ai toujours écrit de la poésie mais c’était plutôt secret. Et j’ai toujours écrit et posté des textes. On m’avait conseillé de faire un livre. Je répondais « Un jour peut-être ». Puis il y a eu la pandémie et j’ai pensé que c’était le bon moment. Mais je ne voulais pas courir les éditeurs ou les imprimeurs et me retrouver avec cinq cents bouquins chez moi. Puis Alain Pire m’a branché sur cet éditeur « Le livre en papier » où on pouvait faire un bouquin soi-même, sans assistance. Je n’ai reçu l’aide que de ma compagne. Nous avons tout fait et ce qui est génial c’est qu’il n’y a pas de stock ! On l’édite à ma demande. Il plaît beaucoup et fonctionne bien via le bouche à oreille.
«Pour le show-biz, tout le monde le sait depuis cinquante ans. On n’imagine pas à quel point il est pourri !»
Il y a de la rancœur, tes états d’âme vis-à-vis du show-biz, de l’humour dans ce livre…
J-P.F. : Pour le show-biz tout le monde le sait depuis cinquante ans ! On n’imagine pas à quel point il est pourri ! Pour le reste, aux gens de le découvrir et de lui faire un peu de pub… Cela m’arrange vu qu’il n’est pas distribué du tout ! Que les gens m’envoient un petit messenger, leur adresse et je leur communique mon numéro de compte pour le versement des dix-huit euros, frais d’envoi compris. On les imprime presque à la demande et cela va vite pour le réceptionner.
(Je confirme : messenger et versement le jeudi. Dans ma boite aux lettres le lundi ! Et une dernière info : le deuxième livre est déjà en préparation ! Sacré bonhomme, ce Jean-Pierre !)
Jean-Pierre Froidebise
Manuel de survie à l’usage des artistes en milieu hostile
Le livre en papier