Jérôme Mardaga

Jérôme Mardaga

Jérôme Mardaga, scuds en raid majeur !

Photos concert et interview © France Paquay

Propos recueillis par Yves « Joseph Boulier » T. 

Il aime à le répéter, Jérôme Mardaga a définitivement fermé le chapitre Jeronimo. Un chapitre vieux de quinze ans, lorsqu’il appelait de tous ses vœux un succès qu’il a touché du bout des doigts. Qui l’a anéanti aussi ! Il s’est sorti de cette aventure avec un peu d’amertume (certains y ont laissé leur vie…). S’il revient sur les scènes et dans les magazines aujourd’hui, c’est avec d’autres intentions et surtout… beaucoup de recul… Les scuds que Jérôme nous balance dans son « Raid aérien » n’ont rien de conventionnel… On adore ça. Rencontre avec un gars d’une sympathie désarmante…

 

Jérôme Mardaga, concert au Reflektor

(Liège, 10 novembre 2018)

Ils sont trois (plus une machine) : Jérôme s’est entouré pour la bonne cause de Gaëtan Streel à la basse et d’Olivier Cox aux drums… Robert Smith évoluait dans une formation identique à la « belle époque » de The Cure (de « Three Imaginary Boys » à « Pornography »). Décor minimaliste, éclairage noir et blanc, une vidéo bricolée en fond de scène… Il n’en fallait guère plus pour défendre avec succès les chansons (magnifiques) de « Raid aérien ». Des chansons, une atmosphère, un son, qui se suffisent à eux-mêmes, sans artifices. Comme il me l’avait promis quelques heures auparavant (voir interview), pas un mot adressé au public… L’époque où il mettait en scène Jeronimo (un héros loser et sympathique) est révolue… Ce répertoire-là aussi, à l’exception notoire de « L’été inoubliable » et d’un medley en rappel (« J’ai peur des Américains / Le petit ramoneur ») qui se fondent à merveille dans le nouveau concept.

Interview dans les loges du Reflektor 

Il y a un peu plus de quinze ans, un personnage débarque dans le paysage rock francophone : Jeronimo… Tu peux nous en rappeler la genèse ? Jeronimo et Jérôme Mardaga forment-ils une seule personne ?

Le personnage « Jeronimo » existe en fonction du sujet des chansons… Ce n’est pas moi. Je ne souhaite d’ailleurs plus l’incarner. Je pense que c’est surtout la presse et le public qui l’ont créé… Pour ma part, c’était naturel, spontané…

Le côté « loser » du personnage l’a rendu sympathique… Ca a dû contribuer au succès que tu as connu à l’époque…

(il rit) Oui, sans doute… Rien qui ne tourne bien rond : sa femme qui le trompe, son groupe de rock minable… Plus sérieusement, à l’époque, la place était libre… Personne ne chantait ce type de textes un peu grinçants en français, avec ce côté sonique pour la musique…

Comment cette belgitude a-t-elle été perçue à l’étranger ? Particulièrement en France et au Canada où tu t’es rendu ?

Au Canada, précisément à l’époque du premier album, j’étais considéré comme un « chanteur de gauche ». Ma reprise de Bowie « J’ai peur des Américains » et des chansons d’observation comme « A Monaco » y ont contribué… Les Français, c’est comme d’habitude : très cliché… « LE chanteur belge »… 

Tu t’attendais à un tel succès ?

(il sourit) Un mini-succès… On a été signé chez Capitol et chez Virgin… Mais ça ne rencontrait pas tant de succès… Celui qu’on a connu, on l’a acheté… Il fallait payer pour acheter des pages dans les magazines, payer pour assurer la première partie des tournées de groupes importants… Tu sais, il faut beaucoup d’argent pour connaître le succès ! Un moment-donné, les financiers nous ont dit « stop ! »… Ils perdaient trop d’argent. Tout s’est effondré après le deuxième album…

Justement, cet album, « 12h33 » est plus sombre que le précédant…

Oui… (il s’assombrit lui-même). Il s’est passé beaucoup trop de choses durant la première tournée… En vérité, elle ne s’est pas arrêtée… On s’est retrouvés sur la route quasiment six ans sans discontinuer… On a démarré en 2001 pour terminer épuisés en 2006… Il y a eu des morts dans notre entourage.

Votre ingénieur-son ? (mort sur la route en rentrant d’un concert NDLR)

Oui, et d’autres… Les années 2003 et 2004 ont été particulièrement difficiles pour moi… Je ne voudrais jamais plus revivre ça ! Pour rien au Monde !

Tu ne t’attendais forcément pas à ça quand tu t’es lancé dans cette aventure…

Tu sais, le succès, je l’espérais… Vraiment ! Avant Jeronimo, j’avais déjà galéré dans l’un ou l’autre projet musical… A trente ans, je me suis dit que c’était le moment de démarrer sérieusement une carrière… Après, il serait trop tard. Je voulais que ça marche… Quand j’ai entendu ma chanson « Mon éternel petit groupe » à la radio, j’ai su que je détenais un bon filon. Que ma carrière pouvait débuter… Mais ce n’est qu’à partir du deuxième album qu’on a vraiment gagné notre vie en faisant ce métier… Il fallait continuer… Faire fonctionner l’entreprise, faire des tournées… Et on est à nouveau repartis sur les routes…

Cela t’a rendu amer ?

Oui, sans doute… Mais pas aigri… Je m’y refuse ! J’ai vu beaucoup de musiciens plonger… Je ne réagis plus de la même manière aujourd’hui… Par exemple, il y a quinze ans, ça m’aurait rendu dingue et triste de jouer dans une salle vide… (il revient du Canada où il a joué devant peu de monde – NDLR). Je me serais posé beaucoup de questions… Maintenant, je sais que l’on présente un spectacle de qualité… Si il n’y a pas de public, ce ne sera pas de ma faute… C’est pas mon job. 

Tu reviens au premier plan… L’envie néanmoins de remonter dans le radeau là où tu l’avais abandonné ?

Non, du tout…

La mise en forme a changé, mais je trouve qu’il reste une partie du fond…

Oui, bien sûr… On ne peut pas non plus changer du tout au tout… Bowie arrivait à le faire… Je n’ai pas voulu que ce nouveau projet s’appelle « Jeronimo » parce que ça m’aurait obligé à rechanter les vieux succès en concert… J’ai tiré un trait là-dessus ! Il reste bien quelques traces, comme « Dix-huit prénoms », une chanson qui nous renvoie aux premiers albums… L’approche est complètement différente. Avec Jeronimo, mon personnage s’adressait au public ; nous étions de connivence… Comme tu le verras tantôt, à présent, je rentre sur scène, « salut », je chante mes chansons, « au revoir, merci… »… Et c’est terminé ! On a une vidéo qui tourne derrière nous… L’éclairagiste a pour instructions de n’utiliser que le noir et le blanc… Nous jouons dans la pénombre ; on nous voit à peine… Pour « Raid aérien », je me suis imposé un cahier des charges strict. Pas de chansons d’amour, un son puissant et un seul thème : la violence… La guerre ! A l’époque de Jeronimo, il s’agissait d’un format pop et chanté… A présent, je chante sans expression. Ca doit être froid, robotique… Désincarné !

Tu en reviens en effet aux sons d’un mouvement musical particulier, celui que l’on appelait « cold wave » : les premiers albums de The Cure, Joy Division, …

Oui ! Ce sont des groupes de mon adolescence. Ils m’ont marqués et je vis encore sous leur influence. Rien à faire : les chansons que tu adores à quatorze ou quinze ans ont un impact sur toi le restant de ta vie… Il y avait aussi Killing Joke, les premiers U2… Avant d’enregistrer ce disque, j’ai réécouté quelques fois « Pornography » de The Cure. Quand j’étais gamin, je me disais que plus tard, je ferais de la musique et que ça ressemblerait à ça…

En tous cas, tu as retrouvé le son !

(il se marre) Plus personne n’utilise ces effets-là… Le chorus, des choses comme ça… Mon album en est rempli ! Un son très modulé en fait. J’ai aussi utilisé de très vieux synthétiseurs, de vieilles machines… C’est très amusant de travailler comme ça. Ceci-dit, je ne suis pas un collectionneur d’instruments. Je m’en sépare dès que je ne les utilise plus… Et je fais rarement deux albums avec le même matériel (il sourit).

Comment « Raid aérien » est-t-il accueilli ?

L’album est bien accueilli. Nous recevons des réactions spontanées, ce qui est plutôt rare…

Et ce format particulier pour la pochette, une allusion à la disquette « flip » ?

Non, du tout ! Notre choix s’était porté assez tôt sur cette toile de Brueghel L’Ancien (« La chute des anges rebelles », qui aurait pu être le titre de l’album NDLR). Mais je ne l’imaginais pas dans un format boîtier cristal 12X12 classique… Je souhaitais offrir autre chose aux acheteurs du disque. Ce sont les gens de mon label, Granvia, qui ont découvert ce format en Allemagne (format disquette souple 20X20 NDLR). Évidemment, ça embête les disquaires qui nous disent qu’ils ne savent pas où le mettre… (sourire). En vérité, je m’en fous ! Vendre le disque, c’est leur job… Pas le mien. Je ne me prends plus la tête avec ça… J’ai composé les chansons, on les a enregistrées, on présente quelque chose de cohérent. Pour le reste, c’est pas mon business…

C’est toi qui a filmé les vidéos qui décorent le fond de scène lors des concerts ?

Oui. Ca fait partie intégrante du processus. Il s’agit de vidéos bricolées… Parfois, j’ai re-filmé ma propre vidéo… Ce qui donne cet effet un peu flou ou obscur… Ca donne une atmosphère pas très nette qui colle bien à la musique qu’on fait, je pense.

La suite ? Après cette tournée-ci ?

J’aimerais enregistrer avec des synthétiseurs modulaires et semi-modulaires… Ca me rappelle mon enfance… J’ai été scotché lorsque j’ai découvert la musique de Jean-Michel Jarre… Si j’entends « Equinoxe » à la radio, ça me fait encore quelque chose ! Il y avait Tangerine Dream et Vangelis aussi… J’adorais ! Ca m’impressionnait terriblement quand j’étais gamin ! Ceci s’inscrit dans un autre projet : Thamel, pour lequel nous projetons de sortir un album vinyle l’année prochaine. C’est une musique ambient, sans structures… En vérité, la guitare me passionne moins qu’avant…

Est-ce que, plus encore aujourd’hui qu’hier, les Américains te font peur ?

(il rit) Non ! Je n’ai pas peur des Américains… J’ai eu la chance de m’y rendre quelques fois… Ils sont charmants, consternés par ce qu’il se passe… Cette reprise de Bowie est une allusion post 11 septembre… Ce qui me fait peur, c’est le système obscur qui trafique tout ça… Je ne suis pas complotiste, mais je pense que Trump, Macron ou les Tours, ça se décide plus haut ou ailleurs… On ne connaît pas la vérité… Par contre, j’imagine que ces fausses démocraties, c’est sans doute un moindre mal… Je suis prêt à le croire en tous cas…

Tu as reçu une réaction de Bowie ?

On a dû demander l’autorisation pour enregistrer cette reprise… J’ai donc été en contact avec son éditeur… Et j’ai reçu un mail (que j’ai malheureusement perdu…) : « David a dit oui ! »… Un grand jour dans ma vie !   

Propos recueillis par Yves « Joseph Boulier » T. / Photos concert et interview © France Paquay 

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INFOS

Album « Raid aérien » publié par Granvia Records / La chronique Jazz Around ICI

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