Keiji Haino – Natsuki Tamura : What happened there ?
La première fois que j’ai entendu Keiji Haino au début des années nonante, je suis resté interdit. Je n’avais jamais rien entendu rien de tel. Une voix sortie du néant, hallucinée, hallucinante. Toujours maintenant, cette voix me saisit. Haino éructe, rugit, meugle. Parfois, il marmonne. Ce n’est ni du chant ni de la chanson, ça tient à la fois de la complainte et de quelque chose de profondément, obscurément viscéral. Pas étonnant qu’il ait été inspiré par Antonin Artaud dans sa jeunesse ! Aujourd’hui dans la septantaine, on s’attendrait à ce qu’il se soit assagi. Musicalement, il n’en est rien. Avec plus de deux cents enregistrements à son actif et d’innombrables collaborations avec la crème de l’underground, il perpétue son personnage. A l’entame de l’année 2024, il s’est joint au trompettiste Natsuki Tamura pour une performance donnée au Shinjuku Pit Inn, un des clubs jazz les plus en vue à Tokyo. Pendant une grosse trentaine de minutes, Haino lance à qui veut l’entendre des phrases dont on ne sait au juste si elles sont improvisées ou écrites. Sa guitare, dissonante, distorsionnée l’accompagne par intermittence. Tamura s’emploie à arrondir les angles. Un peu de cuivre ci et là. Mais son jeu n’a rien de contenu. Parfois, il répond verbalement à Haino avec sa propre logorrhée, il frappe sur des poêles et fait couiner des petits canards en caoutchouc. C’était la toute première fois que ces deux-là partageaient une même scène. Ils ne s’étaient jamais concertés auparavant, se contentant juste d’une salutation réciproque façon nippone. Je dis chapeau !
