La Semaine du Son ‐ ouvrir toutes les portes de l’écoute

La Semaine du Son ‐ ouvrir toutes les portes de l’écoute

Depuis maintenant 12 ans, la Semaine du Son-Belgique animée par une équipe de passionnés, s’emploie à ouvrir toutes les portes du sonore sans restriction de genre mais toujours avec une prédilection pour la création, la participation, ainsi que de santé auditive, parmi laquelle l’initiative 90db, qui milite pour ne pas dépasser le niveau moyen acceptable par nos oreilles humaines. Cette année encore, le programme est impressionnant et réunit de nombreux lieux à Bruxelles, mais aussi d’autres villes en Fédération Wallonie-Bruxelles et, dans une moindre mesure en Flandre, là encore avec un souci d’accessibilité (gratuité) allié à celui de la qualité. Rencontre avec la coordinatrice Marianne Binard qui revient sur les motivations et l’évolution de cette « manifestason » à la fois exploratrice et fédératrice.

Alicia Jeannin ‐ Matrices © D.R.

Qu’est-ce qui a présidé à la création de La Semaine du Son d’abord à Bruxelles puis en Belgique ?
Marianne Binard : L’aventure a commencé en 2010, lorsque le compositeur Stephan Dunkelman et moi-même avons été invités au « Polygone étoilé » dans le cadre de la Semaine du Son de Marseille. Stephan pour un concert de musique acousmatique avec ses compositions et moi pour présenter des productions radiophoniques d’Halolalune, ma maison de production. Après les diffusions, les organisateurs ont proposé un échange sous forme de questions / réponses avec le public. Nous avions beaucoup apprécié l’ambiance détendue et conviviale de ces moments. De retour à Bruxelles, nous en avons parlé à nos amis, Sylvie De Roek, metteuse en scène et auteure de création radiophonique, et Philippe Ohsé opérateur son à la RTBF, ayant participé à de nombreux projets radiophoniques et complice d’autres aventures radiophoniques. Notre équipe était formée !

Animés par le même désir de partager notre amour du son, nous avons contacté et rencontré le fondateur de la Semaine du Son française, Christian Hugonnet. Ingénieur acousticien, il regrettait de voir les questions liées au sonore se cloisonner entre professionnels. Il a créé la première Semaine du Son à Paris en 2004. Ce projet s’est développé au point qu’il existe aujourd’hui dans 40 villes françaises. Au fil des années, d’autres villes ont rejoint le projet et organisent cet événement dans une douzaine de pays. Nous avons décidé, à quatre, de créer l’événement à Bruxelles. Notre première édition a vu le jour en janvier 2011.

Œuvrant tous sous le même label, chaque Semaine du Son de par le monde a ses spécificités et une totale indépendance concernant son fonctionnement et sa programmation. Ce qui nous rassemble, c’est la volonté d’explorer quatre ou cinq axes en lien avec le son : la production artistique sonore sous toutes ses formes, l’exploration de nouveaux moyens de diffusion, le rapport entre son et image, la santé auditive, nos environnements sonores… Certaines Semaines du Son sont plus institutionnelles, d’autres liées au monde académique, certaines proposent seulement quelques activités ciblées.

Initialement cantonnée à Bruxelles, La Semaine du Son a très vite été sollicitée par des acteurs culturels implantés dans d’autres villes en Belgique. Ce n’est qu’en 2018 que nous nous sommes ouverts aux trois régions. Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait mais bien les moyens. Chaque année de nouvelles villes nous proposent un partenariat pour l’une ou l’autre activité. Anvers, Namur, Mons et Charleroi sont des partenaires récurrents. Mouscron, Tournai, Louvain se sont ajoutées cette année.

Lucile Bertrand, Chanter comme des oiseaux. Détail © Lucile Bertrand

«L’objectif est de partager, avec un public très large, toutes les facettes du son, dans ses effets bénéfiques ou négatifs.»

Quelle est la spécificité de la Semaine du Son en Belgique par rapport à sa « mère » française ?
M.B. : La Semaine du Son belge se caractérise par la multiplicité des propositions, particulièrement artistiques.
Les activités proposées ont comme objectif de partager avec un public très large toutes les facettes du son, tant dans son écoute que dans son utilisation, dans ses effets bénéfiques ou négatifs.

Durant une semaine, le public peut participer à une série de manifestations sur les questions liées au son par une approche transversale : une réflexion ouverte, informative, ludique et didactique dans le domaine de la création, soit les écritures du sonore, la musique, la radio, le cinéma, les installations vidéo, le domaine de la diffusion, c’est-à-dire qualité, moyens et formes de diffusion et les supports, de l’environnement (sons de la ville, de la nature, des espaces publics…) et de la santé (niveaux sonores, santé auditive…).

L’aspect participatif est aussi une des priorités et une des spécificités de la Semaine du Son belge. L’idée est vraiment d’encourager un large public à participer à l’événement, de toucher également des gens qui n’ont pas l’habitude de se rendre aux concerts ou aux spectacles.

Quelle vision du son est ici défendue ?
M.B. : Notre but est de faire découvrir les nombreuses facettes du son à un public le plus large possible.
La plus grande part de la programmation est réservée à la création artistique, abordant non seulement de multiples pratiques du son mais aussi un large panel des différents courants artistiques dans le domaine de la musique, de la création sonore et des nouvelles technologies en lien avec le son. De la musique classique avec un chanteur d’opéra, José Van Dam ou Abdel Rahman El Bacha, à la Musique contemporaine avec Jean-Paul Dessy (Musiques Nouvelles), Jean-Philippe Collard-Neven, Jean-Louis Rassinfosse, en passant par le jazz avec Fabrizio Cassol, An Pierlé, Bram De Looze ou des musiques électroacoustiques et expérimentales. Sans oublier tous les jeunes talents émergeants qui trouvent également, chaque année, une place importante dans la programmation.

Contrairement à d’autres festivals qui ont chacun leur spécificité, La Semaine du Son peut se permettre d’accueillir des projets hors circuit qui ne trouveraient peut-être pas, ou pas encore, de place dans les festivals spécifiques. La Semaine du Son est avant tout un espace de découverte. Nous organisons de nombreux ateliers et nous proposons au public de s’initier à différentes pratiques du son, atelier voix, prise de sons, bruitage, création sonore collective…

«Lors des premières éditions, c’est nous qui allions à la rencontre des artistes. Mais très vite, le mouvement s’est inversé.»

Comment le projet a-t-il évolué et que représente-t-il aujourd’hui pour les artistes et partenaires participants mais aussi dans le rapport au public ?
M.B. : La Semaine du Son propose un espace de découverte de créations innovantes et expérimentales hors des circuits de productions habituelles, une sorte de laboratoire où les artistes peuvent expérimenter des projets en cours de création ou des projets marginaux qui ne trouvent pas, ou pas encore, de visibilité dans les circuits habituels. Lors des premières éditions, c’est nous qui allions à la rencontre des artistes mais très vite le mouvement s’est inversé et aujourd’hui, nous sommes abondamment sollicités par les artistes, connus ou moins connus. La manifestation rassemble un public fidèle qui suit chaque édition. Nous démarchons cependant, chaque année, activement pour attirer de nouveaux publics, que ce soit vers des écoles, des maisons de jeunes, des groupes d’handicapés ou autres que nous sollicitons pour participer aux événements, aux concours ou aux ateliers.

Concours sonorisation ‐ Le scarabée d’or © D.R.

A chaque édition, La Semaine du Son permet à une centaine d’artistes de se produire dans les différents lieux d’accueil, une vingtaine environ. Cela prend des formes très diverses telle que installations sonores, ballades sonores, de la danse, concerts ouverts aux créateurs de tous genre, jazz, musique du monde, créations contemporaines, chant, musique acousmatique sur un orchestre de haut-parleurs, musique de rue, concours de « sonorisation d’un film muet », concours thématique de « field recording » (enregistrement de terrain)…

Les éditions belges ont aussi à cœur de systématiquement organiser des échanges entre artistes et public, que ce soient des introductions pour donner des clefs d’écoute, des « bords scène », questions / réponses ou encore des Master class.

Quels sont les grands axes de cette édition 2023 ?
M.B. : Pour cette édition, nous avons choisi, comme thème, la voix au sens très large du terme. Quel est le rôle de la voix humaine dans un monde de plus en plus dominé par la technologie ? Quelles sont les possibilités de notre propre voix ? Quelles sont les différentes voix qui nous entourent et que nous pouvons apprendre à écouter ? Comment faire entendre les voix de ceux qu’on entend trop rarement ? De quelles manières peut-on capter et enregistrer des voix ? Cela prend plusieurs formes : des ateliers, des concerts, des performances, un concours centré sur la voix des animaux à Bruxelles, des expériences sonores… Nous avons reçu des projets magnifiques et parfois complètement inattendus, comme « Early Voices » de Joost Van Duppen qui amène les chants d’oiseaux de la Forêt de Soignes dans le métro. On pourra l’entendre dans toutes les stations de métro bruxelloises dès 4h30 jusqu’à midi, et durant toute la Semaine du Son !

«Pour nous, c’est toujours un déchirement de devoir faire des choix, tant nous recevons des propositions intéressantes et originales.»

Pour nous, c’est toujours un déchirement de devoir faire des choix, tant nous recevons des propositions intéressantes et originales. Une tendance que l’on peut remarquer cette année, c’est que de très nombreux projets rejoignaient une préoccupation commune qui est de donner une voix aux personnes que l’on n’entend pas ou moins. Il y a entre autres, plusieurs performances portées par différents groupes qui invitent le public à participer.

La Semaine du Son a lancé un concours « field recording » et un autre sur la « sonorisation » de film muet, comment sont nées ces initiatives et quels sont leurs objectifs ?
M.B. : Le concours « field recording » a été initié en 2014, lors de la quatrième édition de la Semaine du Son.
Dès les premières éditions, nous avons invité des praticiens du « field recording », Peter Cuziak, Marc Namblard, Sophie Beger. L’idée de compléter ces interventions par un concours s’est imposée naturellement et permet lors de la soirée dévolue au « field recording » de proposer à la fois un regard pointu de spécialiste et de le confronter à des passionnés et praticiens de l’enregistrement hors studio.

Field Recording ‐ Monatagna ‐ Carol © D.R.

Le concours « sonorisation d’un film muet » a été initié quelques années plus tard, en 2017. Nous avions comme partenaire régulier la CINEMATEK, avait laquelle nous programmions des films dont les bandes sons étaient remarquables ou alors des films en audiodescription ou en langues des signes ou des films muets accompagnés au piano. C’est cette dernière forme qui nous a donné l’idée du concours. La CINEMATEK a accueilli le projet avec enthousiasme et est toujours partenaire à ce jour. Découvrir l’importance du son par ce biais est une démarche très intéressante car on peut comprendre, de manière plus générale, l’importance et surtout la portée du son qui peut donner une autre perception des mêmes images.

«Le monde du travail, l’Union Européenne et l’OMS se rejoignent pour affirmer qu’avec 90dB, le niveau permet à tout un chacun de profiter d’un concert sans risque à long terme et sans bouchons d’oreilles.»

Outre le volet purement artistique, on note aussi dès le début un souci écologique au sens large. Dans cette perspective, s’inscrit le projet 90db associé qui milite pour que les salles et les événements ne dépassent pas un niveau dommageable pour l’ouïe. Pouvez-vous nous en dire plus sur celui-ci et plus largement sur cette dimension d’écologie accompagnée d’une médiation sonore ?
M.B. : Oui, écologie et santé publique se rencontrent ici. Lors de la première édition, les pouvoirs publics de la région de Flandre annonçaient un nouveau décret régulant les niveaux sonores des sons et musiques amplifiées. Nous avons, dans le cadre de la Semaine du Son, en collaboration avec des lieux culturels, organisé une table ronde réunissant des structures (festivals et salles) afin de réfléchir à la question en Région bruxelloise. Nous proposons régulièrement des conférences permettant à des les professionnels de la santé auditive, des audioprothésistes et un praticien de l’amplification, particulièrement du jazz, Daniel Léon, d’aborder les questions liées aux excès sonores. Actuellement, la législation bruxelloise impose, en fonction de divers critères, des concerts à 85 dB (A) en moyenne pendant la durée du concert, 95 dB (A) et 100 dB(A). C’est une belle avancée, mais le monde du travail, l’Union Européenne, l’OMS et nos partenaires se rejoignent pour affirmer qu’avec 90 dB (A) en moyenne, le temps d’un concert, le niveau permet à tout un chacun de profiter du son sans risque à long terme et sans bouchons d’oreilles. C’est pourquoi nous avons créé et promotionné le label « 90 dB Concert ».

Stephan Dunkelman © Transcultures

L’équipe de la Semaine du Son a perdu, en 2020, un fidèle pilier, particulièrement actif dans son développement et apprécié tant des artistes que des partenaires, en la personne de Stephan Dunkelman, par ailleurs designer sonore et compositeur de musique électronique de grand talent. Vous aviez tenu, avec d’autres de ses amis, à lui rendre hommage lors des deux éditions précédentes. Quel souvenir gardez-vous de lui et quel a été son rôle dans cette aventure ?
M.B. : Stephan, était une personnalité hors norme. C’était un des piliers de La Semaine du Son. Sa connaissance du milieu artistique belge et sa proximité avec de très nombreux artistes de talents nous a permis, édition après édition, de monter des programmes extraordinaires. Je pense tout particulièrement à la « Journée John Cage » en 2018, où nous occupions toutes les salles de Flagey avec pas moins de huit concerts, deux conférences, deux ateliers et une expo ! C’était un moment magique, inoubliable ! C’était du Stephan ! Il était également très polyvalent et n’hésitait pas à mettre la main à la pâte, à transporter des haut-parleurs, à câbler des installations ou à convoyer du matériel jusqu’à la Semaine du Son roumaine… Dans les moments de rush, il arrivait à détendre l’atmosphère avec son humour particulier, tout en finesse… Il avait aussi le talent de poser un regard décalé sur les choses. Lorsqu’une question se pose aujourd’hui, le réflexe est là : qu’aurait fait, qu’aurait répondu Stephan ? Il nous accompagnera toujours !

Du 30 janvier au 5 février 2023 à Bruxelles et du 6 au 12 février en Wallonie et en Flandre.
Programme complet : www.lasemaineduson.be

Propos recueillis par Philippe Franck