Label Bleu, 30 ans !
30ème anniversaire de Label Bleu
@Maison de la Culture d’Amiens
Le jazz dans tous ses états.
par Claude Loxhay
Du 3 au 5 mars, Label Bleu, la maison de disques d’Amiens, a fêté dignement son 30ème anniversaire au sein de la Maison de la Culture qui abrite son studio d’enregistrement. Inaugurée voici 50 ans par André Malraux, la prestigieuse institution culturelle picarde comprend de vastes salles d’exposition au rez de chaussée, et, au premier étage, les salles du Grand Théâtre, du Petit Théâtre et du cinéma Orson Welles, ainsi qu’une cafétéria bien achalandée où Alex Dutilh de Radio France avait installé son studio d’enregistrement, ouvert au public, pour quelques jours.
Jeudi 3 mars, 20 h 30.
Une grande première : la carte blanche offerte à Henri Texier qui a enregistré tous ses albums dans les studios de Label Bleu, depuis 30 ans, de “Paris-Batignolles” en 1986 à “Sky Dancers Sextet” en 2015. Pour ce concert unique, le contrebassiste parisien a rassemblé quelques compagnons de route parmi les plus fidèles : Michel Portal (saxophone, clarinettes), avec qui il a souvent joué au sein de son Unit et qu’il avait invité pour l’album “An Indian’s week”; Bojan Z, le pianiste de son Azur Quartet puis Quintet et du Sonjal Septet dans les années 1990 et, enfin, Manu Codjia, le guitariste de son Strada Sextet, du Red Route Quartet et du Nord-Sud Quintet dans les années 2000. Et, dans un esprit d’ouverture et de découverte, deux musiciens qui viennent de rejoindre Label Bleu : d’une part, Thomas de Pourquery, le saxophoniste alto du MegaOctet d’Andy Emler et leader du groupe Supersonic interprétant la musique de Sun Ra; d’autre part, Edward Perraud, le batteur du trio Das Kapital et du quartet de Sylvain Kassap que l’on avait vu, en 2006, au festival Jazz Brugge. Dès l’entame du concert, on sent que le courant passe entre les six musiciens, tous solistes à part entière, unis dans le désir de revisiter quelques-unes des plus belles compositions d’Henri Texier : une manière de parcourir une carrière longue de plus de 50 ans. Vont ainsi se succéder des thèmes d’époques très différentes : SOS Mir de l’album “Mad Nomad(s)” de 1995 mais repris aussi sur “Water Alert” (2006) et “Hope Quartet” (2013), Desaparecido de l’album “Colonel Skopje” enregistré avec Joe Lovano et John Abercrombie en 1989, puis repris sur “An Indian’s Week” (1993) et “At l’Improviste” du Hope Quartet (2013), O Elvin, dédié à Elvin Jones, des albums “Water Alert” et “Hope Quartet”, “Don’t Buy Ivory Anymore” de l’Azur Quartet, Sacrifice de “Remparts d’argile” (2000) ou Mucho Calor de l’album “Canto Negro” gravé avec Francesco Bearzatti. Henri Texier sait modeler ses arrangements pour user à merveille de la large palette sonore du sextet: subtiles alliances entre l’alto de Thomas de Pourquery et les clarinette, clarinette basse, saxophone soprano et bandonéon langoureux de Michel Portal, entre le piano et le Fender Rhodes de Bojan Z (main gauche au piano, main droite au Fender Rhodes) ainsi que les multiples effets de distorsion de la guitare de Manu Codjia. Tout cela en laissant de larges espaces d’improvisation pour chacun et des déchaînements free propulsés par la batterie iconoclaste de Perraud. Dans son esthétique de “tension-détente”, il scinde la formation en petites cellules : duo piano-clarinette basse pour un extrait de “Bailador” de Portal, trio gorgé d’émotion entre piano, guitare et contrebasse sur Don’t Buy Ivory Anymore. Un concert enflammé de plus de deux heures, avec rappel et standing ovation largement méritée.
Vendredi 4 mars, 19 heures.
Henri Texier et son Sky Dancers Sextet, sa nouvelle formation, avec Sébastien Texier (saxophone alto, clarinette), François Corneloup (saxophone baryton), Nguyên Lê (guitare), Armel Dupas (piano, Nord synthé) et Louis Moutin (batterie). L’occasion de revisiter les nouvelles mélodies du dernier album Label Bleu dédié aux Amérindiens : Mapuche et son tempo d’enfer, Clouds Warriors, un émouvant He Was Just Shining dédié à la mémoire de Paul Motian et joué sans le piano ni la guitare, Mic Mac avec Armel Dupas au Nord synthé, Hopi avec Armel Dupas au piano, Dakota Mab et Comanche avec d’éblouissants solos de Nguyên Lê et, en rappel, l’apaisement de Paco Atao emmené par la clarinette de Sébastien Texier. Louis Moutin, le plus souvent aux balais mais aussi parfois à mains nues, impose un tempo d’enfer, l’entente entre alto et baryton est totale et s’ouvre sur des déchaînements free, Nguyên Lê, avec de multiples effets de pédales, fait preuve de son extraordinaire sonorité aux accents asiatiques, le tout jeune Armel Dupas, qui s’est intégré au groupe sans le moindre complexe, se partage entre envolées au piano et Nord synthé aux sonorités de Wurlitzer et, comme à l’accoutumée, Henri Texier prend de magnifiques solos. A quand un concert de ce magnifique sextet en Belgique ? Ce Sky Dancers Sextet fait partie des meilleures formations réunies par le contrebassiste parisien.
Vendredi 4 mars, 21 heures.
Changement radical d’univers musical (et de public?) : le Red Star Orchestra et ses 17 musiciens emmenés par Johane Myran (saxophone ténor) revisitent quelques grands classiques de la période swing, avec Thomas de Pourquery… en version crooner. La référence à Sinatra est d’ailleurs évidente quand celui-ci ponctue sa version de My Way par : “Hey Frank, I’m speaking to you, man”. Vont ainsi se succéder, entre autres, You Don’t Know What Love Is, Bye Bye Blackbird, My Funny Valentine ou I’ll Be Seeing You. En subtil arrangeur, Johan Myran utilise la large palette sonore de sa grande formation : quintet de saxophones qui se mue en alliance flûtes, clarinettes et clarinette basse, section de cuivre éclatante qui peut aussi bien jouer avec sourdines et la guitare électrique de Marc Antoine Perrio qui, en électron libre, bouscule cette belle ordonnance avec des séquences bruitistes : c’est ainsi que s’ouvre Bye Bye Blackbird avant que Mathieu Jérôme n’expose le thème en sourdine au piano. Johane Myran sait aussi faire alterner séquences orchestrales, avec solos de Mathieu Haage à la trompette, Julien Raffin à l’alto et Stéphane Montigny au trombone basse, et parties chantées ou passer d’un thème à l’autre, dans un subtil medley : le Speak Low langoureux du début s’ouvre ainsi sur Lush Life et My Way s’enchaîne sur le trépidant Night and Day. Le succès auprès d’un certain public fervent d’une certaine époque swing est total : après un premier rappel consacré à Summertime, un thème qui ne figure pas sur le disque, l’orchestre et le chanteur aux souliers rouges vernis doivent se résoudre à reprendre My Way. Le public est debout. Une question vient pourtant à l’esprit, celle-là même qu’Alex Dutilh a posée à Michel Orier au cours de son émission du vendredi : “Label Bleu se tourne-t-il vers un répertoire plus classique ?” L’ancien directeur de la MCA s’est dit convaincu par la qualité des arrangements. Au vu de l’empressement de certains vers le stand de disques, Label Bleu s’ouvre là à un autre public.
Samedi 5 mars, 21 heures.
Hommage à la collection Indigo ouverte aux musiques du monde : la chanteuse malienne Rokia Traoré, entourée notamment de Mamah Diabé au n’gono et Bintou Soumbounou au chant, chante l’Afrique. Encore un autre monde.
Réécouter l’émission Open Jazz d’Alex Dutilh avec Henri Texier, Michel Orier…