Photos de Robert Hansenne (couleurs) et de Dominique “Goldo” Houcmant (noir et blanc)
Depuis la création de LG Jazz Collective, ton rôle a complètement évolué: non plus seulement arrangeur mais unique compositeur du répertoire…
Oui, le pari du premier concert à Jazz à Liège était de revisiter des compositions de grands noms du jazz liégeois. Pour l’album “New Feel”, à côté de quatre reprises, j’avais déjà écrit six compositions personnelles. Ici, j’ai composé les neuf plages de l’album, pour constituer un répertoire qui soit propre au septet.
Comment composes-tu ?
C’est très simple, je compose comme on écrit une chanson : j’ai fonctionné de cette façon pour “Strange Deal”. Je compose une mélodie et imagine des accords, sur ma guitare ou au piano : j’écris comme un songwriter. Une fois la mélodie écrite, j’arrange le morceau en imaginant comment faire intervenir les différents instruments. Petit à petit, la composition prend de l’ampleur en travaillant sur l’arrangement et l’orchestration.
Ce sont des compositions à l’architecture très élaborée…
Oui, tout à fait, c’est rarement des AABA traditionnels, je n’écris pas dans une structure standard. Je prends beaucoup de liberté, je me laisse aller à de larges espaces avec les musiciens qui sont avec moi.
Le septet s’est ainsi trouvé un son d’ensemble très personnel…
Oui, d’autant plus qu’il s’agit d’un répertoire original, ce qui me laisse beaucoup plus de liberté. Quand on réarrange un morceau d’un autre compositeur, même si je me sens libre, je dois respecter la mélodie initiale pour que la personnalité du compositeur soit présente. Ici, comme il s’agit de compositions personnelles, je suis totalement libre de faire exactement ce que je veux, que ce soit au niveau de la mélodie ou de l’harmonie. L’album est donc plus personnel que le premier.
Si la guitare reste l’élément central, tu laisses beaucoup d’espace à tes musiciens, les souffleurs comme la rythmique…
C’est très important pour moi, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai gardé le nom LG Jazz Collective, parce qu’il y a, au sein du septet, la notion de collectif, même s’il ne s’agit pas d’un collectif au sens propre : c’est moi qui écris, qui arrange, j’ai la mainmise sur beaucoup de choses au niveau de la direction artistique mais la guitare n’est pas mise plus en avant que les autres instruments. Je ne voulais pas appeler le groupe “Guillaume Vierset Septet”. “Strange Deal” n’est pas un album de guitariste mais un disque de groupe. Je laisse beaucoup d’espace pour chaque soliste quel que soit l’instrument : c’est très important pour moi.
Certains morceaux sont d’ailleurs dédiés à l’un ou l’autre des musiciens : Steven Delannoye pour Strange Deal par exemple…
Oui, sur le premier album, Steven avait fait un superbe solo, je l’ai relevé, j’en ai pris certains extraits. Des idées rythmiques ou mélodiques et, à partir de là, j’en ai fait une nouvelle composition : Strange Deal, soit S. D. pour Steven Delannoye. Mais on peut faire une deuxième lecture de ce titre : un “étrange marché”. On est en Belgique, mettre sur pied un septet, faire tourner un tel projet, c’est un pari risqué. Surtout de sortir un deuxième album, même si le premier a bien marché. Heureusement, le label Igloo a accepté et est bien derrière moi : sans eux, je n’aurais pas pu le faire.
Le pari est d’autant plus risqué qu’il existe d’autres septets ou octets sur ce marché : Urbex d’Antoine Pierre ou Heptatomic d’Eve Beuvens, mais chacun avec sa propre personnalité…
Oui, je crois qu’il y a actuellement une mode de telles formations, ce qui est arrivé après LG Jazz Collective qui a débuté en 2011. Un tel groupe offre une large palette sonore, de grandes possibilités d’orchestration.
Et JP’s Mood, est-ce en référence à Jean-Paul Estiévenart qui y prend un superbe solo ?
C’est un morceau que j’ai écrit en pensant à Jean-Paul, il est taillé sur mesure pour lui : un morceau très difficile harmoniquement et rythmiquement et Jean-Paul a le background nécessaire pour pouvoir assurer cela. Mais, là aussi, on peut en faire une double lecture : JP’s Mood fait aussi référence à Jacques Pelzer. Il faut rappeler que c’est à Liège que le groupe s’est créé, grâce au festival Jazz à Liège, c’est important de faire ce petit clin d’œil.
Et Maëlle ? Une référence au graphiste de l’album ?
Ce n’est pas en rapport avec Gaël Lagadec qui s’est occupé du design graphique de l’album. Ici, c’est Maëlle au féminin, la fille de Félix Zurstrassen. Il a deux petites filles et la première s’appelle Maëlle. Elle est née prématurée, elle s’est battue de façon très courageuse. J’ai écrit un morceau pour elle parce que, dans notre groupe d’amis, de jeunes musiciens de jazz belges, Félix a été le premier à avoir eu un enfant, ce qui a marqué le groupe.
Et Goldo ?
C’est une référence à Dominique Houcmant, le photographe surnommé Goldo. C’est un morceau qui a une longue structure, avec plein de parties différentes, bien distinctes les unes des autres. Dans chaque partie, il y a une harmonie qui bouge et, rythmiquement, cela bouge aussi. Goldo est un peu le photographe type, ici à Liège : entre 20 heures et 5 heures du matin, là où il y a de la culture, Goldo est là et fait une photo de ce qui se passe. J’avais envie de rendre hommage à ce photographe que j’adore et qui a fait des photos pour le premier album. Ce morceau-là reflète bien les clichés que Goldo prend un peu partout.
Et Oguhara ?
Il faut lire le titre à l’envers A Ra Hugo. J’ai un élève qui s’appelle Hugo : il m’a apporté un morceau qui s’appelle A Ra, écrit par le compositeur brésilien Joao Donato. C’est un morceau avec de nombreuses répétitions de notes et une harmonie qui bouge. Cela m’a donné l’idée et l’envie de partir de cela pour écrire un morceau avec des notes qui se répètent tout le temps (il fredonne l’air), des notes qui se répètent en trois et la rythmique derrière est en quatre : c’est pour cela qu’il se passe quelque chose au niveau de l’harmonie et de la mélodie.
Il y a une très grande complicité dans le groupe : Jean-Paul Estiévenart et Steven Delannoye étaient là avec Félix Zurstrassen et Antoine Pierre dès le premier album et ils se retrouvent aussi au sein d’Urbex…
Il y a effectivement de nombreuses interconnections entre les musiciens que j’avais réunis pour “New Feel”. Le fait qu’ils se retrouvent dans d’autres formations accroît leur complicité.
Il y a aussi deux nouveaux : au saxophone alto et soprano, Rob Banken que tu croises au sein du Bravo Big Band…
C’est par le Bravo qu’on s’est rencontré, on s’est retrouvé ensemble pour l’album “Another Story”. C’est lui déjà qui avait fait la tournée du premier album puisque Laurent Barbier était déjà parti vers d’autres découvertes en Amérique. C’est un super musicien, humainement aussi. Je trouvais que c’était important aussi d’avoir autant de musiciens flamands que wallons dans la formation, même si le groupe s’appelle LG Jazz Collective.
Le second, c’est le pianiste Alex Koo…
C’est un musicien flamand aussi, il a étudié à Amsterdam puis a vécu à New York, il n’y a pas très longtemps : il me fallait un pianiste qui puisse assurer le boulot. Igor était pris par d’autres projets et il fallait lui trouver très vite un remplaçant…
Aux Etats-Unis, Alex Koo a fait d’intéressantes rencontres, notamment avec le saxophoniste Mark Turner et le trompettiste Ralph Alessi…
Oui, ils ont formé un trio sans rythmique, en Belgique, il a constitué un trio avec Dre Pallemaerts. C’est un pianiste qui a compris tout de suite la musique de LG, c’est un bon lecteur. Je lui ai donné les partitions et on n’a répété qu’une fois : c’était tout de suite parfait. C’est un super pianiste qui intègre parfaitement les structures et les passages plus écrits mais qui réussit à les jouer avec un esprit d’ouverture : il prend plein de liberté avec ce qui est écrit.
Tu joues le morceau Sad Walk en duo avec lui…
C’est important pour moi d’avoir ce passage en duo dans une musique qui est très chargée, écrite avec plein d’arrangements. Avoir ce morceau-là au milieu de l’album permet d’avoir une belle respiration. Je suis très admiratif de Jim Hall : ses deux disques en duo avec Bill Evans (“Undercurrent” et “Intermodulation”). Ce sont des disques que j’ai beaucoup écoutés. C’est une respiration qu’on va aussi jouer en live : un clin d’œil à ce que j’écoute chez moi. Je reste un amoureux de la tradition : quand je travaille l’instrument chez moi, je joue des standards. C’est ce que j’écoute le plus : Jim Hall et Joe Pass.
Durant tes études, tu as eu Fabien Degryse comme professeur…
Les professeurs que j’ai eu au Conservatoire de Bruxelles m’ont surtout aidé dans tout ce qui est apprentissage de l’instrument, au niveau technique ou harmonique. Fabien Degryse m’a influencé mais pas consciemment. J’ai beaucoup joué avec lui. Ce qui m’a le plus influencé, au niveau de la sonorité, c’est ce que j’ai écouté sur le côté et les masterclasses que j’ai faites avec Philip Catherine et surtout avec Kurt Rosenwinkel qui est un de mes guitaristes préférés pour le moment. J’aime beaucoup sa sonorité.
Tu apprécies également Gilad Hekselman, le guitariste d’origine israélienne…
C’est un guitariste que j’aime beaucoup, je n’ai jamais relevé un de ses solos mais le morceau Home est parti de lui. J’ai beaucoup écouté ses disques, son trio avec Joe Martin à la contrebasse et, à la batterie, Marcus Gilmore, le petit-fils de Roy Haynes (Homes) et celui avec Mark Turner (This Just In). Je l’ai vu aussi à New York dans des clubs. C’est au Cornelia Street Café que j’ai vraiment apprécié sa musique : j’ai eu un vrai coup de foudre.
A côté du LG Jazz Collective, il y a Random House qui vient de sortir l’album “Sweet Day”…
Oui, le projet de Thomas Champagne, un quartet dans lequel je me suis beaucoup investi : j’ai écrit quelques morceaux. C’est dans ma personnalité : dès qu’il y a un projet dans lequel je joue, j’aime écrire de manière naturelle. Thomas et moi, on s’entend très bien. On a réussi à faire un disque très cohérent, même si on est deux à composer, cela fonctionne très bien. C’est un projet avec lequel j’aime beaucoup jouer, c’est aussi un projet dans lequel j’ai plus de place, guitaristiquement parlant.
Le LG est un projet dans lequel j’ai un gros travail au niveau de l’écriture, de l’arrangement et de l’orchestration. Dans “Random House”, j’ai plus de place pour la guitare. C’est important d’avoir ce double rôle, comme dans Harvest Group. Je viens aussi d’écrire un nouveau répertoire pour un trio guitare, contrebasse et batterie, avec, à la batterie, Fabio Zamagni ou Lionel Beuvens et, à la contrebasse, Victor Foulon qui a un très beau son. On a fait quelques concerts. J’ai plein de projets, avec des groupes différents. On enregistre un nouvel album avec Harvest en juillet, avec des compositions originales et avec la même équipe : Mathieu Robert au soprano, Marine Horbaczewski au violoncelle, Yannick Peeters à la contrebasse et Yves Peeters à la batterie. L’album sera différent du premier. Le Harvest Group propose une musique différente du LG : d’un côté, un jazz moderne très énergique avec le LG, de l’autre, une musique plus acoustique, plus feutrée, avec une sonorité originale entre soprano et violoncelle. Tout le répertoire est déjà écrit. On a fait une grosse tournée avec le premier : 30 dates mais seulement deux en Flandre.
Il y a aussi le projet Griboujazz…
Griboujazz est un projet lancé par Thomas Champagne et Nicolas Yates, le contrebassiste de son trio. C’est un projet destiné aux enfants, entre trois et six ans: le “jazz raconté aux enfants”. C’est un super projet, avec un écran, des projections et des réalisations graphiques imaginées par Renato Baccarat, un musicien brésilien qui réside à Bruxelles et qui joue dans le groupe UTZ. On a commencé cette année, juste au moment où je devenais papa. Là aussi,il y a Fabio Zamagni à la batterie. Griboujazz, c’est vraiment le jazz raconté aux enfants, avec une partie visuelle qui attire les enfants : s’ils ne comprennent pas ce que l’on dit, ils retiennent des choses au niveau visuel : des notions comme le swing ou l’improvisation sont représentées par des personnages.
C’est important de faire découvrir le jazz aux enfants : il n’y a plus de grand media qui le fasse, pas de jazz à la télé… Et c’est important de passer par la musique live…
Oui, parce que sur scène, il se passe plein de choses, on arrive à leur expliquer l’évolution du jazz : ce qu’est l’improvisation, le swing, le mainstream, le bebop, la bossa nova, le jazz rock ou même le free jazz: on en fait devant les enfants qui sont captivés.
Pour le LG Jazz Collective, à part les actuels concerts de sortie d’album, y a-t-il d’autres dates prévues?
En plus des concerts de sortie d’album en janvier, au Jazz Club de Dinant et au Senghor de Bruxelles, puis Les Chiroux à Liège le 9 février, on a quelques dates : la Jazz Station, le Pelzer Jazz Club, Mazy et la Brasserie Sauvenière en août. Mais pour le moment aucun festival : pas de Jazz à Liège, par exemple, parce qu’on aura joué aux Chiroux trois mois plus tôt. On espère que cela sera pour l’année prochaine : “Strange Deal” n’est pas le projet d’une seule année. D’ailleurs, j’ai déjà des idées pour un troisième album, dans trois ou quatre ans.