Little Willie Littlefield & Champion Jack Dupree : Good Rockin’ Blues & Boogie – Live With the Big Town Playboys 1986 & 1989
JSP Records ‐ Référence catalogue JSP 2506 (box 2 CD)
Je suis fan inconditionnel de Little Willie Littlefield depuis ma découverte des rééditions par Ace Records (UK) dans les années ’80 et ’90, de ses enregistrements Federal et Modern des années ’40 et ’50. J’ai suivi, en leur temps, ses gravures Blues Connoisseur (USA, 1975), Rib Tone (USA, 1980), Paris Album (F, 1980), Oldie Blues (Hollande, 1982, 1983,…), Serrano (Espagne, 1984), JSP (U.K., 1982, 1990), Schubert (D, 1987), etc. Mais cela fait des années maintenant que, comme beaucoup, j’attendais d’autres rééditions de ce pianiste / chanteur talentueux et ne voyais rien venir, jusqu’à ce que John Steadman et JSP Records prennent l’initiative de rééditer 3 faces de LWL au Belgian R&B Festival, Peer (B), en juillet 1986 en compagnie des Big Town Playboys (1) (faces enregistrées par la BBC, diffusées dans le show radio de Paul Jones et parues à l’époque sur JSP CD210, un album devenu difficile à trouver) et d’autres faces gravées au premier Festival de Blues de Burnley (UK) en 1989, avec le même groupe anglais mais restées inédites en disque (2).
On a donc ici 21 faces des festivals de Peer (B) et de Burnley (U.K.) qui brillent par l’exubérance extravertie de Little Willie dans ses blues et boogie-woogies, avec ses accompagnateurs en état de grâce et sur la même longueur d’onde que le leader. Prestations publiques en festival obligent, les morceaux sont plus longs et on retrouve beaucoup de reprises connues du public, c’est normal et ce n’est pas un souci, l’interprétation étant sans faille. Bien entendu, « Kansas City (Here I Come) » est au programme. Rappelons que c’est Littlefield qui l’a composée, même si la version de Wilbert Harrison est la plus connue. Willie s’en donne à cœur joie avec les Playboys, autant dans un classique du jazz comme « Round Around Midnight », traité en boogie, que dans le « Good Rocking Tonight » de Roy Brown et « Undecided Boogie » (avec quelques mesures de la « Marche Nuptiale » de Felix Mendelssohn) ou « Shake Rattle And Roll » (Joe Turner), « Let The Good Time Roll » et « Rock And Roll All Night Long ». On notera aussi 3 faces en solo et en folie, « Chicken Shack Boogie », « Undecided Boogie » et un « Stormy Monday Blues » qui commence en slow puis s’emballe et passe en roue libre, et encore 2 faces instrumentales comme « Honky Tonk Train » (hommage à un de ses mentors, Meade Lux Lewis) et un mystérieux « Water in My Ear »… sans texte, on se demande ce qu’est cette eau dans son oreille ? Le reste est à l’avenant, bourré d’humour, de bonne humeur et de rythmes enfiévrés.
En bonus, JSP propose 12 faces de Champion Jack Dupree, lui aussi présent au Festival de Burnley en 1989, accompagné également par les Big Town Playboys. On peut ainsi comparer Dupree et LWL. Tant sur le plan vocal que pianistique, ils ont de nombreux points communs : ils font partie du Gotha du Piano blues, ils sont tous deux actifs depuis la fin des années ’40, tous deux installés à demeure en Europe depuis belle lurette et tous deux partagent un répertoire voisin, au point que Dupree lui aussi s’inspire de la « Marche Nuptiale » dans « Wine, Wine, Wine ». Toutefois, Dupree n’est pas constamment dans l’exaltation ou la jubilation intenses. On le constate dans trois faces slow, introverties, prenantes et dramatiques comme « Bring Me Flowers While I’m Living » (de B.L. Jefferson), dans « Junker’s Blues », la complainte du drogué, ou dans un « Freedom Blues » autobiographique et en solo. Il affectionne la pratique des floating verses (3), mais il va parfois jusqu’à reprendre non pas un seul vers mais carrément une strophe entière, comme dans le medley « I Keep on Drifting » avec des fragments de « Last Night » de Little Walter, « I Had My Fun » (St Louis Jimmy), etc. De même, dans « I Used to Love You », il introduit une strophe de « Ain’t Gonna Be Your Low Down Dog no More » (Big Joe Turner). Dans plusieurs faces, Dupree donne l’occasion à ses partenaires de se distinguer (plus souvent que Littlefield), comme dans « One Scotch, One Bourbon, One Beer » (solos de drums et de saxophone). Au total, un bilan positif. Proficiat.
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(1) Mike Sanchez (vo, p), Andy Silvester (gt), Ian Jennings (bs), Alan Nicholls (sax ténor et baryton), Clive Deamer (dms).
(2) Sauf deux faces parues sur JSP CD 228 (« The First Burnley National Blues Festival »).
(3) Les vers flottants, ayant parfois peu de rapports avec le reste du chant, servent de « bouche-trou-de-mémoire » : cela donne au chanteur le temps de se remémorer la suite de la chanson… Technique très courante avant l’époque moderne des assistances via oreillettes en public et correcteurs informatiques en studio.