Mattias De Craene : La lasagne
Le saxophoniste gantois se disperse entre trois projets : en solo, au sein de Nordmann et à présent entre deux batteurs, avec l’impeccable MDCIII… Pas d’inquiétude à avoir cependant : il adore ça ! Nous l’avons retrouvé à Beyrouth, à la recherche de musiciens tapis dans les caves de l’underground libanais.
Ta carrière musicale se divise en trois projets. A part toi, à part ton instrument, qu’est-ce qui relie ces trois projets ? Quel est le fil rouge ?
Mattias De Craene : Le fil rouge, c’est moi… Je suis la seule connexion existante entre ces trois projets qui sont très éloignés les uns des autres. C’est intéressant pour moi de poursuivre sur de nouvelles voies, avec d’autres musiciens.
Difficile de te cataloguer… Tu puises ton inspiration aussi bien dans le rock, avec Nordmann que dans l’ambient, comme ici…
MDC : C’est parce que j’aime créer des choses très différentes. C’est beaucoup plus intéressant que demeurer seul avec un projet solitaire.
Tu évites de te répéter…
MDC : Oui, c’est très important pour moi.
Les références au cinéma sont très nombreuses. Toi-même, tu es réalisateur.
MDC : Non, on ne peut pas dire ça. Je ne suis pas vraiment un réalisateur, mais je suis fan de cinéma. J’adore l’idée d’associer la musique à d’autres éléments de la culture. La poésie ou l’image par exemple. Ce n’est pas rationnel : j’aime ces vibrations extérieures que j’incorpore dans ma musique.
J’aime l’ambiguïté qui se dégage du titre de ton album solo : « Patterns for (A) Film ». Tu évoques un acteur, un modèle ? Ou bien la musique joue-t-elle un rôle précis dans un film imaginaire ?
MDC : Je ne tenais pas à faire un disque pour qu’il soit simplement écouté… J’aime cette idée d’ajouter constamment un plus. Si quelque chose m’inspire, je creuse le sillon et cela peut déboucher sur un texte, une courte histoire. La création peut être vaste.
Quand tu écris, tu sais vers quel projet cela ira ?
MDC : Pas toujours. Pour mon album solo, je tenais un cahier de route, ma farde à idées. Mais dans d’autres circonstances, je peux revenir vers Nordmann ou MCDIII.
Sur la pochette de « Drawn in Dusk », il est indiqué « arrangé et joué par MDCIII ». Cela veut-il dire que la part d’improvisation est importante ?
MDC : Non, pas vraiment. En général, je compose les bases mélodiques et je prévois les textures. Ensuite, nous travaillons en trio pour incorporer le rythme… On cherche ensemble la façon de faire évoluer les morceaux. Mais je travaille d’abord les structures chez moi avant de les soumettre aux autres.
Certes, il y a deux batteurs dans le trio, mais cela ne saute pas forcément à l’oreille pour celui qui ne le sait pas. Les machines occupent un espace important.
MDC : Oui en effet. Pour cet album-ci, nous avons utilisé des effets électro datés et des modulateurs. Ça sonne parfois « années 80 » … On fait de la recherche pour concilier ces sons et ces rythmes avec mon saxophone.
«Comme Coltrane, j’aime jouer à l’intuition. Mais je ne suis que Mattias et lui, c’était un géant !»
Si je devais cataloguer votre disque, je le rangerais dans le rayon « ambient ». A tort ?
MDC : Non, tu as tout à fait raison… J’apprécie beaucoup l’ambient. J’en ai écouté beaucoup durant la période de lockdown. Mon amour pour John Hassell a été une source d’inspiration pour composer les titres de l’album.
A ce sujet, quelle vérité se cache derrière le titre « Hasslebanks » ? Il me semble que la musique nous renvoie vers l’univers du trompettiste…
MDC : Ah bon ? Peut-être… (il rit) Oui, bien vu. C’est en effet un clin d’œil…
Pourtant, dans la biographie que j’ai reçue, on pointe davantage le travail pour saxophone et drums de Coltrane…
MDC : Non, c’est clair. On ne peut pas me comparer à Coltrane. Sinon que comme lui, j’aime jouer de façon intuitive. Mais je ne suis que Mattias alors que lui, c’est un géant ! Je l’adore !
Peut-être ne s’agissait-il pas de comparer vos jeux mais bien d’évoquer une source d’inspiration ?
MDC : Coltrane jouait constamment sa survie. Il jouait dans l’urgence, de façon spirituelle…
«Tout se passe en parallèle : une couche de solo, une de Nordmann puis une de MDCIII… Ma vie artistique est une lasagne !»
Quand on écoute ce disque, on s’évade, comme dans un rêve…
MDC : Oui, c’est possible, mais pas forcément recherché. On crée surtout quelque chose de différent. L’auditeur est libre de ressentir la musique comme il le souhaite.
Lorsque tu passes de cette musique à celle de Nordmann (par exemple), as-tu l’impression de retomber les pieds sur terre ?
MDC : Oui, c’est très différent. Et c’est ce que j’aime quand je joue de la musique. En ce moment je joue en configuration MDCIII, et en même temps, nous répétons avec Nordmann pour préparer l’enregistrement du prochain album. Tout se passe en parallèle : une couche de solo, une de Nordmann et une troisième de MDCIII… Ma vie musicale est une lasagne ! (Il rit) ça m’apporte beaucoup de choses au point de vue artistique…
Et point de vue concerts ? La date à l’Ancienne Belgique a été annulée…
MDC : Oui, pas assez de tickets partis en prévente. Mais ça bouge un peu à présent. Surtout à l’étranger : la France, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas, … Ensuite, on reviendra !
MDC III revient en effet à l’Ancienne Belgique le 9 avril (festival BRDCST)
MDCIII
Drawn in Dusk
W.E.R.F.