Michel Legrand : Legrand Jazz

Michel Legrand : Legrand Jazz

Michel Legrand: Legrand Jazz

Michel Legrand est mort le 26 janvier. Beaucoup d’articles/reportages concernant ses musiques de film, ses chansons de la part des journalistes patentés. Mais peu d’allusion à son amour réel du jazz. Petit retour sur un entretien accordé à Jazz in Time. En 1994, Michel Legrand est en tournée en Belgique avec son trio “jazz”. Dispositif prévu : un quart d’heure/20 minutes par journaliste. Pas vraiment l’optique du magazine cornaqué par J.P. Schroeder. Après contact avec l’attaché de presse, rendez vous est prévu après un concert à Seraing. Las, l’attaché de presse n’a pas prévenu le pianiste. Etonnement et colère de Michel Legrand qui ne lâche rien : rendez vous est pris pour le lendemain à son hôtel. Plus de smoking et nœud papillon, relaxé, Michel Legrand arrive en jogging et  chaussures de sport.

Propos recueillis par Claude Loxhay

Michel_Legrand © DR

Comment avez-vous découvert le jazz ?
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai été en contact avec la musique de jazz. Quand je me mettais au piano, pour faire croire à ma grand-mère que je travaillais, je répétais ce que j’entendais à la radio. Je voulais être musicien. Tout petit, j’avais décidé d’être vraiment un technicien : pas seulement être un musicien de jazz ou d’instinct. Je suis entré au Conservatoire de Paris à dix ans : il m’a fallu une dispense spéciale. J’ai travaillé avec de grands maîtres comme Henri Chaland ou Nadia Boulanger : je suis resté 7 ans dans sa classe. J’ai suivi la classe de solfège puis de composition mais, en même temps, j’écoutais du jazz. De 40 à 45, on n’a pas entendu de jazz à cause de l’occupation allemande. On entendait uniquement le Hot Club de France avec Django et Hubert Rostaing : Stéphane Grappelli était en Angleterre. Puis,tout à coup, à la Libération, l’armée américaine est arrivée avec le be-bop : Charlie Parker et Dizzy Gillespie et ça a été la révélation de ma vie. J’ai aussi découvert la musique de Miles, de Gerry Mulligan. Je me souviens des premiers disques. J’adorais cela : j’aimerai cette musique toute ma vie.
Parlez nous des fabuleuses sessions de l’album Legrand jazz en 1958…
J’avais d’abord fait un disque en France pour Columbia : “I Love Paris”, les Américains voulaient faire un disque sur Paris. Ils avaient contacté différents arrangeurs américains, comme Percy Faith et ils avaient décliné l’offre. Jacques Canetti m’a demandé si  ce projet pouvait m’intéresser. Moi, je n’avais pas encore fait de disque. Ce disque a remporté un succès fou aux Etats Unis, sans  me  verser  un centime : il n’y avait pas de royalties prévues. En échange, Columbia m’a proposé d’enregistrer un album de mon choix Je leur ai dit que je voulais faire un disque de jazz et j’ai dressé la liste des musiciens que je désirais avoir : Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans. Ils ont accepté. Avec Boris Vian, j’ai dressé la liste des titres dont je devais écrire les arrangements : Wild Man Blues, Stompin At The Savoy, Round Midnight ou Django de John Lewis. C’étai le première rencontre avec Miles.
Vous avez écrit des arrangements très originaux, comme cette session avec 4 trombones pour Nuages…
Ce qui m’amusait, c’était d’imaginer des formations un peu différentes. Les trombones, c’était Franck Rehak, Jimmy Cleveland, Billy Byers et Eddie Bert, plus Ben Webster au ténor.
Certains arrangements ne sont pas sans parentés avec ce que gil Evans allait faire plus tard…
Il y a effectivement une recherches de sonorités nouvelles : la flûte d’Herbie Mann, une harpe, un vibraphone, un cor…
Vous avez retrouvé Miles plus tard pour la musique de Dingo…
Oui, c’est étrange : j’ai fait appel à Miles pour mon premier disque de jazz et lui m’a contacté pour ce qui allait être son dernier enregistrement. On lui avait proposé de participer à ce film. C’est lui qui a cité mon nom pour écrire la musique. Un jour, il m’a appelé de sa voix rauque pour me parler de ce projet et j’ai tout de suite accepté. Miles et moi, nous ne nous étions pas perdus de vue. je suis allé régulièrement le voir en concert et lui m’appelait de temps en temps au téléphone.
La plupart de vos disques de jazz ont été enregistrés aux Etats-Unis: pourquoi ?
Ils ont été gravés au fil de mes voyages. J’aimais bien me produire dans les clubs en Amérique. Certains albums ont été enregistrés en public. Shelly Mann avait un club en Californie : le Shelly Mann’s Hole. Il m’y a invité, j’ai joué avec lui à la batterie et RayBrown à la basse. C’est un bon souvenir.
Vous avez enregistré plusieurs fois avec Phil Woods…
Oui, cela s’est fait un peu par hasard. Je jouais en quintet, dans un club qui s’appelait At Jimmy’s, avec le trompettiste Marvin Stamm et le saxophoniste Eddie Daniels, mais celui-ci avait un autre gig et il m’a présenté Phil Woods. J’ai enregistré avec lui en 1973. A la basse, il y avait Ron Carter et, à la batterie, Grady Tate.  Je l’ai aussi retrouvé pour l’album  After the rain avec Zoot Sims. Il est aussi présent sur Le Jazz Grand. J’ai aussi écrit la musique d’un film de Joseph Losey, Les Routes du Sud. J’ai voulu en faire une suite pour orchestre de jazz avec Phil Woods et Gerry Mulligan et, à la trompette, Jon Faddis. En réalité, les solos devaient être joués par Chet Baker. Mais, le jour de l’enregistrement, il ne s’est pas présenté : on l’a attendu pendant des heures. J’ai alors proposé à Jon Faddis d’interpréter ces solos.  Chet est arrivé le lendemain, tout étonné que la session soit terminée.

En 1985, vous avez enregistré à New York avec une formation 100 pourcent française… Il a fallu attendre 1991/92 pour que vous graviez des albums jazz en France…

C’est exact. En 1985, je jouais en quintet au club qui s’appelle Fat Tuesday’s à New York : Jean-Lou Longnon à la trompette, Denis Leloup au trombone, Marc Michel à la contrebasse et François Laizeau à la batterie. Nous avons enregistré un album en public avec des thèmes comme Watch What Happens. J’ai aussi écrit un blues pour Ray Brown. Quant aux disques enregistrés en France, figurez-vous que ce sont des Japonais qui me l’ont proposé. J’ai enregistré Parisian Blue puis Autumn in Paris avec Marc-Michel Lebévillon à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie. Plus récemment, j’ai eu cet album avec Stéphane Grappelli, avec de vieilles chansons françaises comme Parlez-moi d’amour, avec un orchestre à cordes et la même rythmique qu’auparavant. Mais il y a aussi Nuages et le thème du film Milou en mai que Stéphane a composé pour Louis Malle. 
Il reste à évoquer un musicien avec qui vous avez joué à de multiples reprises: Toots…
Ah Toots, quel merveilleux musicien. C’est bien sûr un très bon guitariste: il a joué longtemps avec George Shearing et il a enregistré avec Dizzy. Mais, comme harmoniciste, il est vraiment unique. Maintenant, il est devenu le meilleur harmoniciste du monde. C’est toujours un grand plaisir de jouer avec lui.

suite…

Michel Legrand se lache…

JazzMania fêtait ses 15 ans, Philippe Schoonbrood et Claude Loxhay, accompagnés d’une équipe de tournage de MOODIO TV, partaient à la rencontre de Michel Legrand. Il nous accueille dans sa suite de l’Hôtel du Lac, à Genval, à l’occasion de la sortie du double album « Musicales Comédies » (Naîve). Voici un entretien émaillé de révélations et de surprises, et mis en ligne par nos amis de Radio Rectangle.