Moers Festival (06-09/06/25)

Moers Festival (06-09/06/25)

Maya Dunietz & Hayden Chisholm © André Symann

Quand on revient du Moers, on en revient comme enchanté, l’oreille ragaillardie, rechargée. Le festival est un kaléidoscope de sons, d’émotions, de sensations. Il est aussi un formidable terrain de rencontres et d’excursions musicales hors sentiers battus. Cette édition 2025 – la 54ème – n’a pas failli à la règle.

J’aurais aimé vous parler du jeu acrobatique d’Angelica Sanchez. J’aurais aimé vous rapporter la performance de Caspar Brötzmann perché sur une grue élévatrice dans les airs, défiant le vent et la pluie tandis que, le lendemain, il rejoignait la scène de la vaste Halle avec son combo Massaker, tentant vaillamment de nous massacrer nos conduits auditifs ! Il m’aurait plu de vous dire en quoi The Sleep Of Reason Produces Monsters est un des projets les plus novateurs et prometteurs de cette année. Il m’aurait été agréable de vous conter les douces incantations de Nduduzo Makhathini et d’Omagugu, sous les arbres, dans le parc, à la faveur de la lumière d’une fin d’après-midi mitigée. Ou celles de Bart Maris, un des parrains de l’édition de cette année. Il m’aurait paru intéressant d’expliciter ce qui se cachait derrière cette formation au nom curieux : Orchestre d’occasion. Ou vous narrer le concert phare, celui de Vijay Iyer et de Wadada Leo Smith interprétant, magistralement, « Defiant Life ».

© Eric Therer

Un événement plus particulier a retenu mon attention. Celui d’un panel de discussion intitulé : « Kunst, Kritik oder Antisemitismus » qui se tenait le samedi en fin de journée. Derrière ce thème intéressant, crucial, se profile la question : peut-on accueillir des artistes israéliens, israéliennes tout en critiquant Israël ? J’ai assisté, avec attention, aux différentes interventions, pour la plupart assez mesurées. Pour autant, il se dégageait de ce petit colloque singulier une impression désagréable et biaisée qu’annonçait d’ailleurs le programme écrit rédigé par l’équipe du Moers, reprenant l’habituelle doxa : le Hamas poursuit l’holocauste des juifs et propage l’antisémitisme… A croire qu’il n’y avait aucune autre voix pour expliquer que notre vision euro-centrée de la résistance n’est pas la seule qui soit légitime. En Allemagne, critiquer Israël peut vite s’ériger en comportement constitutif d’un délit. Le lendemain, un petit encart (un seul et unique !) photocopié vite placardé tentait de remettre les pendules à l’heure. Tardivement. Trop tardivement.

A Moers, il ne flottait aucun drapeau Palestinien cette année. Sur les quatre journées durant lesquelles s’est tenu le festival, plusieurs dizaines d’enfants, de femmes et d’innocents ont été massacrés par l’armée régulière israélienne. Ces actes constituent, en droit international, des éléments constitutifs d’un nettoyage ethnique et des actes génocidaires. Si Moers se targue – et c’est tout à son honneur – d’être un festival politique, au sens le moins étriqué du terme, alors il aurait dû voir la réalité en face. Un putain de génocide a lieu sur les rives de la Méditerranée. Il est mené par un Etat ethnocratique, messianique et raciste. On ne peut pas le taire ou rester cloîtrés dans un silence complice. Il n’y a pas d’avant-garde artistique sans avant-garde idéologique.

Il n’en demeure pas moins que mon coup de cœur pour cette année va à une Israélienne : Maya Dunietz. S’appropriant l’orgue de l’église évangéliste de Moers, jouant d’abord en solo pour accompagner, dans un second temps, le saxophoniste néo-zélandais Hayden Chisholm, elle a fait montre d’une performance d’une intense humilité, donnant à la maxime « Less is more » sa véritable portée.

Eric Therer