Octurn : Veress Variations
Avec Octurn, nous avons souvent éprouvé l’impression d’être à la lisière. Comme si nous nous tenions en bordure d’une musique qui ne serait plus tout à fait du jazz, mais qui en demeurerait imprégnée, qui ne cesserait de s’en nourrir, de s’en inspirer. Tout au long de son parcours – près de trois décennies aujourd’hui – l’ensemble emmené par Bo van der Werf s’est appliqué à faire percoler les genres. Depuis longtemps, le saxophoniste bruxellois s’est intéressé à la musique contemporaine, à la musique tibétaine, à Messiaen, au ballet et à bien d’autres champs d’exploration encore. Cette fois, c’est le compositeur hongrois Sándor Veress qu’il (re)visite. L’histoire de Veress est à la croisée d’autres destins musicaux célèbres. Il fut d’abord l’élève de Bartok et de Kodály, professeur ensuite de Ligeti et de Kurtag pour s’exiler en Suisse en 1949, fuyant le stalinisme qui avait gagné son pays d’origine. Son trio pour cordes « Trio per archi », l’unique qu’on lui connaisse, rapidement composé au cours de l’été 1954 (à peine un mois), fut présenté pour la première fois à la Biennale de Venise la même année. Il s’agit d’une œuvre inspirée du folklore hongrois, considérée comme une pièce maîtresse du courant dodécaphonique.
Octurn ne se contente pas d’interpréter cette pièce mais assume une véritable démarche de revisitation. « Plus qu’un hommage ou une relecture, la musique imaginée est une complète autre histoire comme seuls les jazzmen peuvent en raconter », commente son éditeur. Effectivement, vous ne trouverez ici ni transcription complète ni retranscription fidèle. Les extraits du « Trio per archi » sont entrecoupés tantôt de « variations » concoctées par Bo, tantôt d’un interlude signé Fabian Fiorini qui apostille également le long morceau final « dynamics », tantôt encore d’une magnifique composition proposée par Jozef Dumoulin : « X », qui s’inscrit comme un véritable point de suspension. À leurs côtés se tiennent l’épatant clarinettiste hollandais Joris Roelofs, le batteur Dré Pallemaerts, compagnon de toujours, et le trio de cordes composé par Laure Bardet, Eugénie Defraigne et Esther Coorevits. Avec ce – déjà ! – quinzième album, Octurn excelle dans le rôle qu’il incarne peut-être le mieux, celui d’un énigmatique ouvroir à géométrie variable.