Olivier Benoît – Orchestre National de Jazz, Europa – Berlin
ONJ OLIVIER BENOIT – EUROPA BERLIN Teaser from ONJAZZ on Vimeo.
Olivier Benoît – Orchestre National de Jazz
Europa – Berlin : la confirmation d’une œuvre en marche.
Après “Europa – Paris”, voici que sort, ce 27 avril, le deuxième opus de l’Orchestre National de Jazz sous la direction du guitariste Olivier Benoît : une vitrine marquante de la jeune scène française. Né à Valenciennes en 1969, Olivier Benoît a d’abord poursuivi des études de musicologie à l’Université de Lille, avant de rejoindre la classe de jazz du Conservatoire Nordiste, sous la férule du guitariste Gérard Marais et du trompettiste Jean-François Canape, avec une initiation à la musique improvisée sous la direction de notre compatriote Fred Van Hove et de la vocaliste Annick Nozati. En 1992, il fonde le quartet Happy House avec Nicolas Mahieux, le fils du batteur et, en 1995, il va s’établir à Paris où il fréquente la nouvelle scène jazz aux Instants Chavirés. En 1999, il enregistre “Franche Musique”, album de Jacques Mahieux avec Vincent Mascart au saxophone. En 2001, il rejoint l’ONJ dirigé par le violoncelliste italien Paolo Damiani (album “Charméditerranéen”). En 2002, il fait partie, en même temps que Philippe Deschepper, Daunik Lazro, Alain Vankenhove et Michel Massot, du sextet du batteur Christophe Marguet (album “Reflections”), avec qui il enregistre ensuite “Ecarlate”, avec Sébastien Texier au saxophone. Il enregistre ensuite trois albums avec le violoniste Régis Huby (“Simple Sound” en 2007, “All Around” en 2008 et “Furrox” en 2010), ce qui lui permet de rencontrer le contrebassiste Bruno Chevillon. Très attiré par la musique improvisée, comme par l’énergie du rock, il grave “Serendipity” en solo et deux albums avec la pianiste Sophie Agnel (“Rip Stop” en 2003 et “Reps” en 2014). Il n’oublie pas pour autant la région lilloise, collaborant à Circum, en petite formation (album “Hue” en 2008) comme avec le Circum Grand Orchestra.
Alors que plusieurs de ses prédécesseurs à la tête de l’ONJ, comme François Jeanneau, Denis Badault ou Antoine Hervé, avaient opté pour un grand orchestre réparti en sections (trompettes, trombones, saxophones), le Nordiste a préféré porté son choix sur une formation plus réduite au son d’ensemble dense et compact. Il s’est d’abord choisi une assise solide : à la contrebasse et basse électrique Bruno Chevillon, qui sera par la même occasion conseiller artistique, et, à la batterie, Éric Echampard, membre du Megaoctet d’Andy Emler, comme des groupes de Marc Ducret, Michel Portal ou Louis Sclavis. Aux claviers, Paul Brousseau que l’on avait déjà pu entendre dans “L’Imparfait des langues” de Louis Sclavis et “Le Sens de la marche” de Marc Ducret. Au piano, sa complice Sophie Agnel. Pour le reste, une série de jeunes musiciens issus pour la plupart du Conservatoire de Paris. C’est le cas de Jean Dousteyssier (clarinette, clarinette basse) sorti en 2013 et membre du Umlaut Big Band. Mais aussi de Hugues Mayot (saxophone alto), élève de François Théberge, qui a participé au projet Duke et Thelonious de la Compagnie des Musiques à Ouïr et a formé son propre groupe avec le claviériste Jozef Dumoulin. Au ténor, Alexandra Grimal, qui, après des études à Paris, a été l’élève de John Ruocco à La Haye. Elle a formé le groupe Dragons avec Nelson Veras (guitare), Jozef Dumoulin et Dré Pallemaerts (batterie) ainsi que Nâga avec Marc Ducret (guitare), Stéphane Galland (batterie) et Lynn Cassiers (voix). Véritable virtuose du trombone, Fidel Fourneyron a participé à l’album “Le Sens de la marche” de Marc Ducret et rejoint le collectif Radiation 10 avec Hugues Mayot. Soliste à l’opéra de Paris, le trompettiste Fabrice Martinez est l’un des plus “capés” du groupe puisqu’on le retrouve, à la fois, dans le Megaoctet (“Présences d’esprits”), le Sacre du Tympan de Fred Pallem, Archimusic de Jean-Rémy Guédon et Supersonic de Thomas de Pourquery pour le projet Sun Ra. Enfin, au violon alto, Théo Ceccaldi, qui, après des études classiques, a rejoint le quatuor IXI de Régis Huby et formé un trio avec son frère Valentin au violoncelle et Guillaume Atkine à la guitare. Un vrai concentré de talents prometteurs encadrés par des aînés expérimentés. Olivier Benoît commente la genèse de cet ONJ qui apparaît déjà comme l’un des meilleurs de cette histoire commencée par François Jeanneau.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Sur quels critères s’est faite la sélection des musiciens ?
Par appel à candidature : on a reçu plus de 300 candidatures. Nous avons tenu, avec Bruno Chevillon à faire le choix de la diversité, les musiciens s’inscrivant pleinement à leur manière, dans notre vision du jazz d’aujourd’hui.
Vous connaissiez bien certains musiciens comme Bruno Chevillon ou Sophie Agnel, d’autres moins : est-ce une volonté de provoquer des découvertes ?
C’est la conséquence de l’appel à candidature. Nous avons joué le jeu, écoutant chaque enregistrement, épluchant chaque candidature, prenant le parti de pouvoir choisir des musiciens que nous ne connaissions pas. Pour ma part, je ne connaissais pas la moitié des musiciens qui composent l’orchestre. Certains qui n’ont pas été pris ont pourtant été une découverte et nous ont interpelés. Mais un groupe, c’est aussi une alchimie, il a fallu faire des choix difficiles. cette expérience m’a permis de mieux connaître le paysage actuel.
A coup sûr, avec Bruno Chevillon et Éric Echampard, vous avez opté pour une rythmique solide et expérimentée…
Oui, j’en suis ravi, l’avis de Bruno a bien entendu été déterminant pour le choix d’Éric Echampard. Il était important que le batteur, son alter ego, soit une personne avec laquelle il est en fusion. C’était un choix si évident vu l’immense talent d’Éric qu’il n’était paradoxalement pas simple de par leur histoire commune !
Vous avez dirigé d’autres grandes formations, comme Circum ou la Pieuvre, on aurait pu s’attendre à retrouver certains de ces musiciens…
Nous n’avons pas voulu faire un orchestre d’amis. Il est vraiment le fruit d’une sélection la plus intègre possible, c’est l’intérêt d’une décision partagée, qui limite le recrutement parce que l’on connait, Je ne fais plus partie de Circum Grand Orchestra mais je suis toujours investi dans La Pieuvre. J’ai été très présent toutes ces années dans le Nord : les musiciens de Muzzix continuent désormais leur aventure vers d’autres contrées, ils en avaient l’envie, et j’avais un besoin vital de repartir à l’aventure.
Vous avez opté pour une formation réduite, par rapport aux 20 musiciens de François Jeanneau, 19 du premier ONJ de Claude Barthélemy ou des 16 de Denis Badault, est-ce un choix artistique : une volonté d’obtenir un son d’ensemble dense et compact plutôt qu’une division en sections comme dans les big bands traditionnels ?
C’est un choix prioritairement artistique : on est à mi-chemin entre le big band et le combo élargi. L’orchestre garde une certaine mobilité, les solistes ont pleinement leur place dans l’orchestre et ne sont pas des musiciens de sections. Être plus nombreux aurait été compliqué pour diverses raisons, y compris économiques. Je tenais vraiment à ce que les individualités s’expriment : chaque musicien est exceptionnel, ils sont bien plus que des exécutants, ce sont des figures singulières.
Pensez-vous vous inscrire dans une certaine lignée par rapport aux autres ONJ ou marquer une volonté de rupture ? Une constante : un rôle important accordé aux instruments électriques, comme chez Barthélemy, ou Antoine Hervé ?
Il y a probablement une rupture (non recherchée ceci dit) dans la mesure où je fais partie de cette génération de musiciens qui a grandi plus ou moins en collectif. Je suis un témoin de cette génération. Le rapport n’est probablement pas le même entre les musiciens, l’attention que l’on donne à la parole de chacun, même si l’ONJ n’est pas un collectif.
Vous avez la volonté de mélanger différents univers : l’énergie d’un certain rock, l’interactivité du jazz, l’invention de la musique improvisée… Quel rôle a pu jouer Fred van Hove dans ce choix de la musique improvisée ?
Fred Van Hove, extraordinaire pianiste a été avec Annick Nozati, la personne qui m’a fait découvrir la musique improvisée. Je repense avec émotion à ces premières rencontres à l’université de Lille, moi qui avais une soif irrépressible d’aventure, d’inconnu, après des années d’autarcie artistique !
Certains ONJ avaient choisi de revisiter une certain répertoire (Monk, Mingus Ellington chez Badault, Led Zeppelin chez Tortillier, Robert Wyatt chez Yvinec), vous avez choisi d’écrire un répertoire entièrement original…
Oui c’est mon obsession de compositeur : donner l’espace aux créateurs d’aujourd’hui pour exister. Je ne serai pas le seul à écrire pour l’orchestre. J’avoue avoir du mal psychologiquement à retravailler, arranger des musiques de compositeurs pour lesquels j’ai la plus profonde admiration. J’aurais tendance à penser que leur œuvre est intouchable, qu’eux seuls pouvaient la jouer, la comprendre. C’est faux probablement; il y a de notables exceptions surtout dans le jazz, une musique qui à la fois vénère et démythifie.
Vous avez participé à l’ONJ de Paolo Damiani, quel souvenir en gardez-vous ?
Excellent ! les musiciens que faisaient partie de l’orchestre à cette époque sont aujourd’hui des figures de la scène jazz européenne : Thomas de Pourquery, Médéric Collignon, Christophe Marguet, Régis Huby, Gianluca Petrella… En y repensant, ce fut une grand chance pour moi de faire partie de cette aventure et cela me sert beaucoup aujourd’hui en ce qui concerne le rapport avec les musiciens de l’ONJ actuel. Je m’efforce de ne pas perdre de vue une seule seconde, qui ils sont, les individualités, ce qui les motive dans un orchestre tel que le celui-là.
Personnellement, je vous ai découvert grâce à l’album “Franche Musique” de Jacques Mahieux, quel rôle a-t-il joué pour vous ?
Jacques a été tout comme Fred Van Hove pour l’improvisation mon guide. Un très grand batteur, avec un son incroyable à mi-chemin entre le jazz et la pop anglaise qu’il connait si bien, un homme d’une grande culture, Jacques m’a aussi appris le plaisir de jouer. Je me souviens encore des premiers jours chez lui en 1992. Nous répétions avec Nicolas, son fils, avec qui j’ai parcouru un long chemin et pour qui j’ai également beaucoup d’affection et d’admiration. Je n’en dormais pas la nuit : c’était un rêve. Un jour, en 1998, Jacques a décidé de monter son groupe avec Nicolas et Vincent Mascard. C’était, en parallèle de mes rencontres avec Christophe Marguet, Philippe Deschepper, Claude Tchamitchian mais aussi Jean-Luc Guionnet et Sophie Agnel, la concrétisation d’un projet qui a mûri lentement.
Comment le choix s’est-il porté sur Berlin pour le deuxième album ?
Berlin, c’était pour moi une évidence, je ne saurais dire pourquoi si ce n’est que cette ville est d’une vitalité unique au monde du point de vue de l’activité artistique. Cela est lié à plusieurs facteurs : son histoire bien sûr, le coût encore modeste des logements, sa situation géographique peut-être… C’est une ville qui savoure sa liberté retrouvée, et qui a soif d’échanges. Des artistes du monde entier ne s’y trompent pas et nombreux sont ceux qui la considèrent comme incontournable.
Comment s’est déroulée la résidence à Berlin ?
J’ai passé plus d’un mois et demi à me perdre dans cette ville que je ne connaissais pas. Mon approche, comme pour “Paris” a été, plutôt que de tenter une description musicale de la ville, de la vivre, de la respirer, et de cet état suspendu, loin de ma ville d’adoption, de composer.
L’ambition est la même que pour le premier album: faire le portrait d’une ville européenne et de sa population. Quelles différences avez-vous remarquées entre Paris et Berlin ?
Les deux villes sont incroyablement dissemblables ! Il règne à Berlin un calme, une sérénité, un bien-être, singulier. Ici, les gens ne courent pas après l’argent pour payer leur loyer. L’argent n’est d’ailleurs pas le centre de l’activité. Bien sûr, les choses évoluent mais on reste très loin de Paris. Et puis Berlin bouge sans cesse : les quartiers “en vue” car accessibles aux artistes (friches, coût du loyer…) sont très changeants; cela reflète également la liberté qu’ont les Berlinois à occuper un lieu, en faire un bar, un atelier, un lieu de concert, avec, semble-t-il, très peu de contraintes administratives. Paris est une ville que j’adore mais elle est difficile : loyers inaccessibles, ville étriquée, bondée, parfois usée, stressée, pétrie d’histoire, qui évolue difficilement.
Pourquoi avoir pris comme référence l’ouvrage “Berlin, l’effacement des traces” de Sonia Combe, Thierry Dufrêne et Régine Robin ?
C’est un hasard total. C’est au fil de mes lectures sur Berlin que j’ai découvert cet ouvrage, qui m’a touché. Il fait une lecture originale, loin des symboles évidents de l’histoire de la ville et questionne justement le concret des habitants et son rapport à son histoire, à ses symboles. On se rend compte que cela touche le quotidien des gens.
Ce deuxième album met en valeur, encore plus que le premier me semble-t-il, les différents membres de l’orchestre plus que votre guitare, et cela dans un dialogue constant entre le soliste et l’orchestre.
Est-ce exact ?
C’est probablement vrai, mais ça n’est pas conscient ! La différence entre les deux projets est que j’ai voulu Berlin non pas comme une longue suite mais comme des morceaux autonomes, avec des respirations, des arrêts. Il y a effectivement moins de passages en petites formations dans Berlin, qui est plus basé sur un tutti orchestral.
Les différentes compositions de l’album sont généralement précédées d’une “intro” : s’agit-il d’espaces d’improvisation ?
Certaines sont des improvisations dont je donne le caractère, d’autres sont des pièces introductives qui peuvent parfois servir de support. Par exemple l’introduction du premier morceau fait référence au coté industriel de la culture underground berlinoise. Cette couleur a découlé de dialogues avec Bruno Chevillon et Laïs Foulc qui a fait la création lumière.
La prochaine étape sera Rome en juin prochain, mais avec une autre perspective… Comment avez-vous choisi Andrea Agostini et Benjamin de la Fuente comme compositeurs? Avec quel objectif ?
Oui ! cette fois je ne serai pas le compositeur : j’ai confié l’écriture de “Rome” à Benjamin de la Fuente et Andrea Agostini. Ce sont deux compositeurs contemporains, qui devront écrire de la musique contemporaine pour un orchestre constitué de musiciens “de jazz”. Un défi qu’ils ont été ravis de relever. C’est une première, je crois et nous sommes nous aussi ravis de nous aventurer dans cette direction qui va sans nul doute nous enrichir !
L’un comme l’autre ont collaboré avec l’IRCAM, cela a-t-il joué dans ce choix ?
Non mais il n’est pas impossible que, par ailleurs, nous collaborions avec l’IRCAM un jour, comme nous le faisons de manière très fructueuse avec la Muse en Circuit. Par contre outre la qualité et la singularité de leur écriture, leur connaissance du son et du groove basse/batterie/guitare a été importante dans le choix, même si bien évidemment je n’ai eu aucune exigence/demande dans ce sens car je leur laisse une totale liberté, si ce n’est celle de nous emmener vers leur terrain d’action en tenant compte de nos moyens, nos spécificités.
Y a-t-il d’autres villes-étapes prévues ?
Oui une dernière avant la fin de ma mandature. Le nom de la ville reste à confirmer.