Oxyd, Long Now

Oxyd, Long Now

Oxyd, Long Now

ONZE HEURES ONZE

C’est bien connu : le jazz se nourrit depuis toujours des musiques qui l’entourent. Le rock n’en est pas la composante la moins importante. Et d’emblée (Scentless Apprentice), avec son Fender saturé, le nouvel album d’Oxyd nous prend à la gorge, définitivement. Nous n’avions pas encore lu les notes intérieures du cédé; mais à y regarder de plus près, tout s’éclaire : « This album is inspired by Nirvana’s music and spirit ». Alors on y repense, non sans émotion, à Kurt Cobain… Sans doute la plus torturée des figures emblématiques que le rock ait connu. Rattrapé par le succès planétaire d’un tube plus qu’improbable et non souhaité (Smells Like Teen Spirit – la pire chose qui pouvait lui arriver), le leader de Nirvana se sera laissé lentement noyer dans ses propres doutes avant de mettre fin lui-même au naufrage existentiel qui le rongeait. Dépressif car perclus de douleurs chroniques à l’estomac et héroïnomane par dépit médical (bref la quadrature du cercle…), Cobain hurlait son désarroi comme on pleure pour échapper à une rage de dents tenace… Nirvana, c’était un « esprit » (davantage qu’une « musique » d’ailleurs). Un esprit qui a rassemblé autour des mêmes combats et des mêmes compromis, Américains et Européens, riches ou pauvres, rockers grisonnants et leurs propres enfants… On ne l’oubliera pas de si tôt ! Le groupe d’Alexandre Herer l’a parfaitement compris. « Reprendre » Nirvana, voire réadapter sa musique pour l’engager vers les chemins sinueux du jazz, aurait mené Oxyd à un échec inutile (The Bad Plus, pour ne citer qu’eux, l’ont déjà entrepris avec suffisamment de talent). Non : tout l’intérêt de ce disque réside dans l’intention du groupe de se réapproprier momentanément l’état d’esprit de Cobain pour en faire une bande son intitulée « Long Now ». L’album peut par ailleurs se découper selon trois tranches conciliables : une première partie du cédé est consacrée à la musique de Nirvana elle-même (essentiellement empruntée au dernier album studio du groupe, « In Utero »); une seconde partie a été composée par le groupe Oxyd pour cette occasion; et enfin, et c’est une très bonne idée, un petit tiers du disque rend hommage à des groupes alternatifs qui ont influencé la musique (et donc la vie) de Cobain (Sonic Youth, les Vaselines et Meat Puppets). Tout cela dans un canevas que nous rappelle instantanément les impressions que nous ressentions à l’écoute des disques de Nirvana : mélodies / rage / chaos / retour au calme… Bref, à l’image de la vie tourmentée de Cobain (qui, entre parenthèses, aurait eu cinquante ans dans quelques semaines). C’est plutôt bien vu, et c’est plutôt bien fait…

Joseph « YT » Boulier