Pépites #15, around jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Marcel Kanche, Juillet 94
Certains prétendront que sa musique est déprimante, ou que l’univers de Kanche, par sa complexité désolante, nourrit l’ego d’un homme prétentieux. Pour notre part, nous affirmons que cet univers-là, justement, ne se juge pas : il se vit et se ressent. Hormis quelques chansons écrites pour d’autres (celles qui paient le loyer), l’œuvre du chanteur de Touraine vacille, depuis quarante ans et en toute discrétion, entre l’attitude punk et un free jazz dont il faut reconnaître l’obscure beauté. Et tant que « Qui de nous deux » (M. Chedid) ou « Divine idylle » (Vanessa Paradis) – dont il n’a d’ailleurs pas à rougir – lui permettront de continuer à nous transmettre ses bons vœux glauques de façon intermittente, nous l’en remercierons. « Juillet 94 » réunit en dix chansons crépusculaires des textes écrits lors de cet été-là, lorsque Marcel Kanche, que l’on devine solitaire et le dos courbé, parcourait les chemins escarpés de France. Dix textes qu’il pensait perdus à jamais dans les caves inondées de son éditeur (un signe ?), mais qui ont ressurgi miraculeusement lors d’un déménagement (un autre signe ?). Dix chansons poisseuses qu’il murmure du bout d’un souffle défaillant (c’est son style) et dont les arrangements magnifiques nous envoûtent de leur charme incertain. Une guitare amphibie et la présence à ses côtés de deux pointures hexagonales (Fred Roudet à la trompette et Bruno Tocanne à la batterie) encadrent fraternellement ce périple poétique et hasardeux. Sur des sentiers que nous vous invitons à emprunter aveuglément.
Tonbruket, Live Salvation
Il y a quelques semaines, nous avons chroniqué « E.S.T. Live in London », un double « live » que le label Act a publié pour commémorer le dixième anniversaire de la disparation de Esbjörn Svensson, un homme qui aura posé sur le jazz moderne un regard neuf et révolutionnaire. De BadBadNotGood à GoGo Penguin, on ne compte plus ceux qui revendiquent l’influence marquante du pianiste suédois. Il ne faudrait toutefois pas oublier que E.S.T., c’était un… trio ! Et qu’en formant Tonbruket dans les mois qui ont suivi le drame (la mort de Esbjörn Svensson a été aussi accidentelle qu’inattendue), le bassiste Dan Berglund se dégageait sans aucun doute d’un fardeau émotionnel trop lourd à porter. De toute évidence, il ne s’agissait pas pour lui de poursuivre l’œuvre de E.S.T. là où son compagnon de route avait dû l’abandonner brutalement. Alors que E.S.T. développait un nouveau jazz au départ de croisements (un peu d’électronique, une touche classique…), Tonbruket actionne pour sa part une marche arrière qui nous renvoie à l’âge d’or du jazz-rock. On pense à certains moments au Weather Report, à d’autres au rock psychédélique ou progressif d’un Pink Floyd pré-Dark Side of the Moon. « Live Salvation » a été capté au Jazz Club Bix, à Stutgart et condense, en une bonne heure d’écoute un répertoire tiré des trois albums déjà enregistrés par le groupe, et acclamés par la critique internationale. Ce qui vous donne une bonne occasion de partir à sa découverte.
Jan Prax Quartet, Ascending
« Tu es si jeune et tu joues si bien. Je te déteste ! » Ce compliment, on le doit à David Sanborn, qui sait de quoi il parle lorsque l’on analyse le jeu d’un saxophoniste. Vous l’aurez compris, il l’a adressé au jeune musicien allemand Jan Prax, alors que celui-ci venait d’accomplir une prestation cinq étoiles sur la scène du Leverkusener Jazztage. A l’époque, Jan Prax est déjà bardé de récompenses et de diplômes. N’ayez crainte, les deux hommes se réconcilieront très vite, lorsque Sanborn accueillera Jan Prax en guest dans son band. De son côté, le saxophoniste allemand enregistrera « Keepin’ A Style Alive » pour le compte du label Act avant de poursuivre son apprentissage en tant que sideman auprès des plus grands, de Riccardo Del Frà à Richard Patterson, sans oublier Randy Brecker ou Dré Pallemaerts. Riche de toutes ces expériences, Jan Prax nous revient avec un « Ascending » mature et dédié pour une bonne partie au jeu coltrainien (de « It’s Time For 6 ! » à « Catchin’ the Trane »). Le rappeur Soweto Kinch accompagne le quartet dans une petite incursion réussie dans le hip-hop (« Lift Up Your Soul ») avant que le quartet ne poursuivre sa route vers d’autres perspectives artistiques qu’il s’est juré d’atteindre. Good job !
Yves « Joseph Boulier » T.