Pépites #41, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Alim Qasimov and Michel Godard,
Awakening
Quand on assiste, comme ici, à une collision de cultures, on est méfiant de prime abord. Non pas qu’on n’aime pas ça, les échanges transculturels (bien au contraire d’ailleurs). Mais il faut bien admettre que parfois, les bonnes volontés ne suffisent pas et que le résultat part quelque peu en vrille… Pas de noms, restons positifs et vénérons à nouveau les choix stratégiques du label Buda Musiques. On ne pourra en effet jamais lui reprocher de mener une politique putassière. Si un disque du catalogue ne vous plaît pas, c’est tout simplement parce que vous n’êtes pas sensible à la musique de son auteur. Vous pourriez très bien tomber amoureux du suivant, comme de ce « Awakening » par exemple, attribué à la paire Alim Qasimov (voix et percussions)/Michel Godard (basse et serpent, un instrument à vent dont la tessiture grave se marie magnifiquement avec la voix plaintive de son complice). Ils ne sont pas seuls. Le rôle joué par la paire Salman Gambarov (piano) et Rauf Islamov (Kamânche) est loin d’être insignifiant. Qasimov et Godard se sont bien souvent confrontés aux sphères musicales éloignées de leur base… Souvenez-vous par exemple que le chanteur azerbaïdjanais avait déjà enregistré en duo avec Jeff Buckley (What Will You Say, en live sur l’album « Mystery White Boy »). Quant au musicien français, vous retrouverez son nom sur des pochettes de l’oudiste Rabih Abou-Khalil… On perçoit bien la juxtaposition des genres sur cet album-ci. La musique sacrée (Qasimov pratique l’art du mugham) et un jazz mélancolique interagissent harmonieusement pour nous offrir de véritables envols paradisiaques (les onze minutes de Kimler geldi kimler getdi… superbe!). « Awakening » est destiné aux âmes sensibles. La sensibilité : le fil rouge qui nous accompagne tout au long de ce recueil spirituel qui nous rapproche tous.
The Cinematic Orchestra,
To Believe
« Quand on aime, on ne compte pas ». Balivernes ! Ces douze années passées sans le Cinematic Orchestra, on les a comptées ! La dernière fois que nous nous sommes emballés pour les envolées bleues du duo, c’était à l’occasion de l’écoute de « Ma fleur »… Depuis, si l’on excepte l’un ou l’autre remix, pratiquement plus rien ! Au juste, que s’est-il passé durant tout ce temps ? Le jazz a pris de nouvelles couleurs, de nouveaux sons et de nouveaux rythmes. A l’instar d’un E.S.T. hier (disparu d’ailleurs à la même époque), et de toute une nouvelle génération de musiciens aujourd’hui, le jazz s’est construit une nouvelle identité. En vérité, ce nouveau jazz (ainsi que le « Nu » jazz), le Cinematic Orchestra en est l’un des fers de lance principaux. Lorsqu’il a eu l’idée de (re)construire les bandes originales pour les films de son choix, à l’aide de sons qu’il glanait dans son immense collection de vinyles, Jason Swinscoe posait les bases d’un mouvement dont il mesurera l’ampleur bien plus tard. L’autre question qui se pose : dans quel état d’esprit le DJ londonien revient-il ? D’abord, il s’interroge : en quoi et en qui devons-nous croire ? Swinscoe n’apporte pas de réponses franches, il les suggère… Alors qu’il était autrefois attentif aux effets rythmiques de sa musique, on le sent plus (re)posé aujourd’hui. Les claviers et les cordes remplacent les guitares et la batterie (largement absentes ici) sur ces sept longs titres qui alternent le down… et le without tempo. Le Cinematic Orchestra a aussi fait appel à quelques voix de choix : le rappeur Roots Manuva, la chanteuse néo-soul Tawiah, leur complice de toujours Heidi Vogel ou encore le trop méconnu Grey Reverend… « To Believe » ne s’inscrit pas dans le cadre d’un retour aux affaires du Cinematic Orchestra. Il trace les contours d’une renaissance.
Daniel Herskedal,
Voyage
Le tuba n’est certes pas l’instrument le plus sexy qui soit. Original, sans doute. Impressionnant même, sont les adjectifs qui semblent le mieux lui correspondre. Celui qui a déjà vu Theon Cross ou Michel Massot s’époumoner sur une scène peuvent témoigner de l’énergie que cet instrument exige de dépenser. Tout ceci pour en arriver à la conclusion que ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit à la Rédaction le disque d’un leader tubiste. Voici celui d’un musicien norvégien (oui, encore un…) : Daniel Herskedal, entouré ici d’un groupe aux allures saugrenues. Outre le tuba, vous retrouverez sur cet album un alto, des percussions un piano et l’oud de Maher Mahmoud, invité sur deux titres. Le bien nommé « Voyage » nous embarque en effet à bord d’une felouque pour une destination incertaine. Il sera question de mouettes, mais aussi de réfugiés en Méditerranée et de sauvetages à mener. Car à l’instar de celle que l’on aperçoit sur la pochette, la mer est houleuse. Davantage que les mélodies et les arrangements magnifiques qui figurent à un programme qui pourrait se retrouver dans le catalogue ECM. Derrière cette beauté un peu étrange se cachent tristesse et colère… Splendide et interpellant !
Joseph « YT » Boulier