Pépites #61, Around Jazz
Around jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Esbjörn Svensson Trio,
E.s.t. Live in Gothenburg
(Très) régulièrement, le label allemand ACT nous rappelle au bon souvenir de E.S.T. en publiant ça, un concert inédit (“Live In London”), et là, un coffret commémoratif (“Essentials”)… En période de fêtes, on ne pourrait leur en vouloir de proposer à nouveau aux acheteurs potentiels, les bandes enregistrées lors d’une soirée (sans doute) mémorable qui a réuni le trio. Car offrir un double cédé (ou mieux, un triple LP vinyle) de l’Esbjörn Svensson Trio, c’est faire preuve d’amour, une marque de bon goût, l’assurance de ne pas retrouver son offrande sur un site de ventes en ligne dans la semaine qui suit. Et puis chaque nouvelle publication d’E.S.T. nous offre à nous, scribouilleurs plus ou moins éclairés, l’occasion de vous rappeler à quel point Esbjörn Svensson a apposé son empreinte sur le nouveau jazz. Que nul ne sait où ce trio aurait abandonné les balises sans cet accident de plongée qui a ôté la vie au pianiste il y a un peu plus de dix ans. Les regrets sont éternels, tout comme la musique du trio d’ailleurs, enregistrée ici dans leur jardin, un 10 octobre 2001, au Concert Hall de Göteborg. Ils y défendaient leur dernier album « Good Morning Susie Soho ». Et comme d’habitude (car l’Histoire se répète), c’est tout simplement fantastique, d’une cohésion inouïe, avec, pour chaque titre, au moins deux bonnes idées développées. Achetez cet album en deux exemplaires : un pour offrir à votre meilleur ami, l’autre pour vous faire plaisir…
Piotr Paluch Trio,
Trio ?
Sans vouloir utiliser des raccourcis trop faciles ou des transitions qui ne tiennent pas la route on peut néanmoins oser une comparaison Piotr Paluch/Esbjörn Svensson. Elle tiendrait sur un point commun essentiel : la musique classique. C’est bien de ce milieu que proviennent ces deux pianistes. Et ça s’entend. La tendre jeunesse du pianiste bruxellois a en effet été baignée par la musique classique. Tout comme celle de E.S.T., la musique du P.P.T. croise les centres d’intérêt et multiplie les variantes. Qu’elles soient personnelles, dues à Chopin ou à David Guetta, les compositions interprétées par ce Trio (avec un point d’interrogation sous forme de suspensio) survolent les plaines où on ne les attend pas, comme un drone lâché sur le tarmac de Zaventem. Parfois, le trio, qui sort en effet un peu des balises, s’offre le réconfort d’un quatuor à cordes. Oser le changement. Les traditionnelles reprises des Beatles sont remplacées ici par celles de Lady Gaga, Black Eyed Peas ou encore du duo Estelle / Kanye West. Histoire de rappeler que l’Histoire du jazz est en marche depuis plus de cent ans et qu’elle se perpétuera longtemps encore après nous.
The Bad Plus,
Activate Infinity
Il était prédit que ce volet des « pépites » serait consacré aux trios basse/batterie/piano (ou claviers). On ne pouvait pas terminer cette chronique sans aborder l’un des plus essentiels de ces vingts dernières années ! Le Bad Plus ! Au classement des trios les plus intéressants de l’ère moderne, il occupe une place sur le podium, sans aucun doute ! Ces Américains de l’extrême Nord sont les maîtres incontestés de la reprise décalée de chansons populaires. Kraftwerk, Nirvana, Radiohead et tant d’autres sont passés sous cette moulinette. Des reprises façon avant-garde d’une finesse improbable et que seuls des musiciens aguerris et ouverts aux métissages pouvaient mener à la réussite. Prenez pour exemple l’incontrôlable Comfortably Numb du Floyd pour vous en convaincre. Comment font-ils ? Comment la chanteuse Wendy Lewis, invitée (sacrifiée ?) sur ce titre parvient-elle à chanter juste ?! Mais tout cela, c’était le Bad Plus. Pion essentiel de l’échiquier, le pianiste Ethan Iverson a jeté l’éponge de façon imprévisible il y a deux ans. Ses deux compères ont néanmoins conservé le nom (explicite) du groupe et proposé le tabouret à Orrin Evans, pas un novice non plus. Place au Bad Plus dans sa version #2. Plus sage oserions-nous dire, tout aussi puissant, voire plus mélodieux. Et là, on doit admettre leur et notre erreur. La comparaison est inutile. Avons-nous comparé E.S.T. et Rymden, qui en a récupéré la section rythmique ? L’erreur du trio est d’avoir conservé ce nom qui nous incitait à la comparaison. La fracture semble pourtant être relativement nette. Pas une seule reprise ici, les musiciens se sont répartis les compositions originales. On aurait voulu (dû) vous parler de cet « Activate Infinity » uniquement pour ses qualités : puissance, modernité, dextérité. Notre amour pour le Bad Plus nous a détourné de notre devoir…
Joseph « YT » Boulier