Pépites #7, around jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
E.S.T, Live in London
Ce fameux « Art du Trio »… ! Lorsqu’il a choisi ce titre pour identifier sa musique, Brad Mehldau pensait-t-il déjà à ce jeune pianiste suédois, alors en pleine ascension, et bientôt rendu célèbre pour son approche différente et originale de la formule piano/(contre)basse/batterie ? Au mitan des nineties, pouvait-t-on encore pratiquer le jazz dans sa combinaison la plus classique sans manquer d’originalité ? On en doutait, Esbjorn Svensson nous a rassurés. Sa recette, il ne l’a pas puisée dans un grimoire oublié au fond d’une armoire. En vérité, l’homme s’est contenté d’incorporer l’ensemble des différents langages qu’il connaissait au jazz (soit le rock, la musique classique, la soul). Plus de dynamisme, d’autres sons, des rythmes binaires, une fine pointe d’effets électroniques. Le nouveau dialecte qui naîtra de cette transgression des genres aura, c’est certain, suscité de nouvelles vocations (nous en reparlerons) et rajeuni l’audience du jazz. Combien de trios se sont infiltrés dans la brèche dégagée par E.S.T. ? Trop tôt pour le dire : le renouvellement de « l’Art du Trio » se poursuit encore aujourd’hui. Une douzaine d’albums rencontrant un large succès auront suffi pour qu’Esbjorn Svensson et son trio marquent à jamais le futur du jazz. A l’image d’un Jeff Buckley pour le rock, nul ne sait jusqu’où le musicien aurait emmené la meute, si sa carrière n’avait explosé en plein vol, interrompue par un stupide accident… de plongée sous-marine qui lui a ôté la vie. C’était il y a dix ans, un chiffre rond que le label ACT a souhaité commémorer en publiant ce double cédé enregistré en 2005, à l’occasion d’un concert donné dans un Barbican Center conquis. Le groupe, en pleine forme, y défendait « Viaticum », un album sombre et distingué. Encore légèrement plus « Jarrett » que « Radiohead », E.S.T., comme a son habitude, nous offre un set abrasif et concis. Le trio n’a pas encore atteint son apogée, mais on devine clairement quelle voie il est en train de prendre. Je me souviens avoir vu E.S.T. au festival « Jazz à Liège » un soir du mois de mai 2007 et de la sensation de puissance ressentie. RIEN ne pouvait arrêter cette marche en avant… Si ce ne sont les abîmes d’un archipel de Stockholm.
GoGo Penguin, A Humdrum Star
Chef de file d’un mouvement qui aurait pu être parrainé par Esbjorn Svensson, les GoGo Penguin en sont déjà à leur quatrième album. Ce trio de Manchester est un adepte des métissages énergiques (« Raven ») et des recherches sonores, qui le dégagent définitivement de la formule éprouvée piano/basse/batterie… Si elle s’inspire des soirées techno/house que les membres du groupe ont dû multiplier dans leur jeunesse, la musique des GoGo Penguin puise aussi une part de son originalité hypnotique dans le mouvement minimaliste américain. Il y a en effet un peu de Philip Glass dans un morceau comme « Strid » et un peu de Steve Reich dans un morceau comme « Transient State ». Avec ce « Humdrum Star » ravageur, le trio mancunien maintient sa position dans le top du nouveau jazz (r)évolutionnaire. Un jazz comme on l’aime : puissant, inventif, suggestif… ou tout simplement imprévisible !
Donder, Donder
J’ai rencontré les trois (très) jeunes musiciens de Donder il y a tout juste un an, à l’occasion d’un concert bluffant qu’ils donnaient dans un petit club liégeois. Lors de l’interview qui a suivi celui-ci, nous avons abordé le sujet des influences (E.S.T., Mark Hollis, …) dont aucun des musiciens n’avait conscience. De même, le trio n’a aucune idée quant à la méthode de travail utilisée par les autres groupes de jazz en général. Pour leur part, ils griffonnent un mot sur une feuille de papier. Ce mot sera la source d’inspiration (ou non) de la bande sonore largement improvisée qui l’illustrera. Voici donc venir la suite très attendue au premier album « Still » paru en 2016. Enregistré en un jour dans une église à Copenhague, le deuxième album de Donder plonge un peu plus ses membres dans l’introspection. Les Anversois s’éloignent de la clarté diffuse de « Still », pour prendre une voie plus ténébreuse encore, à l’image de la pochette (sans titre) très sombre et belle qui accompagne le disque. On note la quasi absence de rythme. La contrebasse se joue à l’archet, le batteur (Casper Van De Velde, dont le projet parallèle SCHTNZL rencontre un succès grandissant) caresse les peaux plutôt que de les frapper. Le fait d’avoir adjoint le souffleur danois Lars Greve (Girls in Airports) au trio pour une majorité des titres n’y changera rien. La musique de Donder déborde des cadres conventionnels pour atteindre une dimension presque concrète. Comme un enfant qui quitte la maison familiale, le trio déjà mature, s’émancipe un peu plus encore. Il l’assume, nous le respectons… Donder en « release tour » en Flandre à partir du 19 mai (Gand, Lanaken, Tirlemont et Ostende).
Joseph « YT » Boulier