Pépites #81, Around Jazz
Around Jazz
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Wildflower,
Season 2
Pour tout vous dire, les nouvelles à la radio n’étaient pas bonnes ce matin-là. Le confinement, la crise sociale, la culture abandonnée… Bref, tout ça nous tombait dessus d’un seul coup, chaque jour, inlassablement. J’étais sans doute pas « le plus à plaindre », mais tout le monde disait ça ! Sans doute histoire de se rassurer un peu : il pourrait y avoir encore pire… Remarquez, je n’avais pas attendu de plonger dans le confinement pour constater que depuis quelques temps, notre belle planète bleue tournait un peu en carré. N’empêche, me changer les idées en était déjà une bonne (d’idée…). J’ai avalé mon café puis je suis monté fissa dans mon bureau qui tient lieu aussi d’observatoire. Devant la fenêtre, depuis laquelle j’ai une vue imprenable sur la Citadelle, juchée sur la colline juste en face… J’ai déballé le vinyle fraîchement reçu par la Poste, déjà convaincu que celui-là me ferait un effet bénéfique… Une pochette naïve, peinte à la gouache. Avec une petite souris dessinée dans un cœur et les mots « Love » écrits en grand au-dessus et « Wildflower » en orange en dessous. Déjà ça… Tu craques ! Et croyez bien que dès que vous entendez les premières notes de ce trio basé à Londres, votre ventre se remplit de chaleur… Vous ne pouvez pas trancher. Nonchalance ? Mélancolie ? Attitude cool dans tous les cas ! En l’occurrence, une formule basse/batterie/anches (saxophone, clarinette ou flûte) qui se laisse happer par la magie de l’instant. Une musique qui se suffit à elle-même, qui se construit devant vous. Un batteur qui semble être si proche que vous avez l’impression d’être assis sur ses genoux. Des basses qui résonnent méthodiquement en vibrations positives. Un soliste qui peut flamber à tout instant. Les moments de bonheur passent curieusement plus vite que les autres et c’est frustrant. J’avais déjà retourné le disque sur la platine. J’étais arrivé à présent au bout de la face B. Retour à la face A… Dans le bureau qui me tient lieu de laboratoire, il y a un fauteuil rouge. Confortable avec des coussins éparpillés dessus… Je me suis installé et j’ai souri… En fait, cette journée au ciel grisâtre s’annonçait radieuse ! Rien de moins !
Sophie Tassignon,
Mysteries Unfold
Discrètement, avec la patience d’un ange et au gré de rencontres fortuites, Sophie Tassignon a bâti une discographie personnelle respectable, que ce soit en compagnie de son mari, le saxophoniste canadien Peter Van Huffel, que ce soit au sein du projet Azolia (avec Susanne Folk) ou encore en prenant les traits de Charlotte aux côtés de Simon Vincent (Mr. Stone) pour un concept electro-aventureux. Pour la première fois de cette carrière entamée il y a une quinzaine d’années, la Bruxelloise (résidant aujourd’hui à Berlin) publie un album en solo. Un vrai album en solo, pour lequel seul son nom apparaît au générique… Son instrument : le chant. Ou presque, un sampler et quelques effets aussi pour développer les différentes textures sonores que cette voix céleste peut offrir… On sait que cette configuration minimaliste peut causer quelques lourdeurs sur l’estomac ou, à l’opposé, plonger le courageux auditeur dans un ennui profond. La chance nous sourit : ces « Mysteries Unfold » se situent à égales distances de ces deux tendances extrêmes. Pas d’avant-garde, pas de retour à la New Age… Une répartition équitable et équilibrée entre compositions personnelles et reprises sur un répertoire élargi (du groupe de country rock Cowboy Junkies à Vivaldi). Ce qui pouvait s’apparenter à un exercice de style casse-gueule (ou bonbons, au choix) s’avère en définitive être une expérience très plaisante à vivre et à entendre.
Super Ska,
Supernova
Au départ créé avec l’intention de reproduire le son jamaïcain caractéristique des années cinquante/soixante, le collectif Super Ska a depuis dérivé vers d’autres continents. Mais en toutes circonstances, le fond de commerce demeure intact. Une couche de cuivres colorés, une rythmique qui chaloupe et un brin de folle gaieté. Pour son troisième album, Super Ska a donc élargi le spectre et vu grand… Dans son carnet d’adresses le groupe a coché le nom de plein d’amis susceptibles de participer un peu ou beaucoup à la fête (le confinement n’existait pas encore à cette époque très ancienne…). Et vraiment, ils sont nombreux, ceux qui ont répondu positivement à l’invitation. Chacun à sa manière apporte une contribution qui lui est personnelle : un texte, une humeur, un style… Bien sûr, le reggae – un peu fuyant – est toujours bien présent (Sacha Toorop et Konoba s’en occupent), mais il devra composer avec le funk (Fonky Road featuring Melon Coke), la musique pop, la chanson (façon Katerine avec Muriel D’Ailleurs et Greg Houben), le jazz, voire le hip hop (avec les R’tardataires). Avec son groove à tous les étages, « Supernova » prend les allures d’une auberge espagnole ravissante où l’on vous sert un éclectisme d’une cohérence étonnante.
Joseph « YT » Boulier